2 janvier 2024. Bonne année

 Ce n’est pas obligatoirement une joie folle qui nous vient à l’esprit à l’entrée de cette nouvelle année. Le ciel est sombre du côté de l’Ukraine, de Gaza, du Yémen et de tant d’autres régions du globe. La France, l’Europe ne manquent pas de problèmes. Et chacun, dans sa famille, peut lister les soucis qu’il aimerait voir s’envoler au plus vite. Mais le rite revient annuellement, et finalement il permet de renforcer les liens entre personnes qui ne se perdent pas complètement de vue, quand bien même elles n’ont plus que peu d’occasions de communiquer. Envoyer des vœux en Normandie, en Lorraine, en Italie, au Québec, en Afrique me permet de revivre en souvenir des belles périodes de la vie, et cela est un bel exercice. Le meilleur soit pour vous tous, chers amis. 

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5 décembre 2023. De la morosité des temps

J’ai enfin créé la page de mon voyage sur la Côte Ouest des USA (Voir Espace Horizons). Voyage datant du printemps 2011 ! Le temps ne nous fait pas de cadeau. Pour la réaliser, j’ai profité d’un moment de loisir après la relecture des épreuves du troisième volume de Ulysse, à paraître aux éditions Gallimard Jeunesse en février 2024. Le titre : Ulysse 3. Marin perdu. Ce tome sera légèrement plus long que les deux précédents. Il y avait beaucoup à dire avec ce retour interminable d’Ulysse vers son Ithaque natale. Voilà la trilogie finie. Et je relis actuellement les idées de projets éparpillées sur des notes jetées à la va-vite. Il se peut que je revienne à l’histoire du christianisme, en littérature adulte. J’en suis au stade des essais. Pas de décision décisive encore.

On me signale que La Bible de Lucile est épuisée. On ne la trouve plus chez l’éditeur. Je me renseigne sur ce point. Il s’est vendu environ 5000 exemplaires de ce gros livre de plus de 1200 pages, paru en 2014. Les témoignages des lecteurs me montrent que les quatre années mises pour l’écrire n’ont pas été inutiles. 

Les critères ne manquent pas pour qualifier ces années actuelles de moroses. Crise du réchauffement climatique, guerres en plusieurs endroits de la planète, dont une en Europe, phénomènes migratoires, tout cela après le Covid qui a modifié bien des perspectives avec, par exemple, l’augmentation du télétravail, le désir de vivre loin des villes. 

J’ai lu et entendu que certaines nouvelles techniques et pratiques nous barrent définitivement le retour en arrière. Et l’on cite les réseaux sociaux qui sont devenus une sorte de déversoir de bien des frustrations, des inélégances et des n’importe-quoi. Je n’ai pas assez l’expérience de ces nouveaux médias pour en juger avec compétence. Mais juste un point : ce qui à l’origine était présenté comme un plus dans la communication apparaît comme un moyen redoutable de faire perdre du temps à tout le monde dans la mesure où il faut déployer beaucoup plus d’enquêtes pour trier le vrai du faux au milieu d’informations et d’affirmations contradictoires. Je lisais aussi dans un journal que l’utilisation  invasive d’algorithmes risque à terme d’anéantir la possibilité du dialogue démocratique puisqu’ils renforcent la bulle dans laquelle vos centres d’intérêt vous situent. Moins d'écoute et d'attention à l'autre, donc. Je reçois de fait, non sans agacement parfois, des recommandations de lecture de la part de plusieurs instances. « Nous avons pensé que ceci pourrait vous intéresser ». Une association internationale de niveau universitaire, qui promeut la recherche, m’inonde de toutes les citations qu’on fait de mes travaux dans les publications du monde entier. Vous pouvez aussi y charger vos propres publications à destination des autres chercheurs, ce que je n’ai pas fait. En revanche, je reçois presque quotidiennement des articles tournant autour des voyages sur les mers du XVe et du XVIe siècle, ceci parce que j’ai lu une ou deux des publications sur ce sujet, en m’intéressant à Christophe Colomb. Impression, à la longue, d’être épié et pressé dans l’orientation de mes lectures.

J’ai suivi à la TV l’interview d’une journaliste, ancienne de Science Po, Eugénie Bastié, à propos de son dernier livre la dictature du ressenti, chez Plon. Elle y établit le fait que le ressenti prend une place de plus en plus grande dans nos approches du monde, au détriment de la raison. Temps court de la réaction, du sentiment-éclair versus la raison et le temps long. " Notre civilisation reposait sur la raison, l'écrit, la lenteur, la longueur et la capacité d'abstraction. La nouvelle civilisation numérique repose sur l'émotion, l'image, la vitesse, l'extrait et le témoignage ("moi je'). Chacun se replie sur son moi, sur sa tribu ». Il est vrai que les « like » déversés en abondance dispensent de la réflexion ou du commentaire, comme je l’ai déjà écrit. Une émission concernant un réseau social d’origine chinoise (suivez mon regard) signalait récemment l’importance du complotisme dans le contenu. Les Américains ne sont jamais allés sur la lune. L’alunissage de Apollo 11 est une fake news produite en studio. Le monde se remodèle ainsi en fonction des rhétoriques politiques et des stratégies de la déstabilisation de l’autre.

On voit à la TV se développer des émissions consacrées au démêlage du vrai et des faux, que naturellement ni les complotistes, ni les accros des réseaux ne consultent. Impression de devoir consacrer du temps, et donc d’en perdre, pour rétablir une certaine objectivité dans les faits et les informations qui, naguère, nous étaient données moins embrouillées.

Mes dernières lectures. Les deux Beunes, de Pierre-Michon, chez Verdier, m’ont laissé quelque désillusion. J’avais beaucoup aimé la grande Beune, il y a quelque 25 ans et qui fait la première partie de la nouvelle publication, Les deux Beunes, la seconde étant La petite Beune. Impression que l’auteur, cette fois, pousse à l’excès la puissance métaphorique de son écriture, gorgée d’obsessions, pour mobiliser les éléments matériels du monde vers une célébration vertigineuse du désir amoureux. L’écriture se fait plus tourmentée, plus violente et comme déstructurée. J’ai pensé parfois aux touches de Van Gogh s’emparant d’un paysage et le métamorphosant. Maintenant, je lis le théâtre de Sophocle et je retrouve avec intérêt ces tensions tragiques entre des personnages. Oedipe m’impressionne, mais aussi des pièces moins connues que je découvre, comme les Trachiniennes, autour d’Héraklès. Après avoir baigné longtemps dans l’épique avec Homère, j’apprécie ici un genre nouveau, le tragique, qui obéit à ses propres lois et m’emporte dans un univers bien différent de celui des aèdes. 

25 Septembre 2023. Un été loin de mon site.

Je m’aperçois que les intervalles s’allongent entre les interventions dans ce journal. Je deviens plus lent avec l’âge. L’âge, ce coupable de nos petites misères quand ce n’est pas de nos grands maux. 

Cet été, je suis resté en Normandie, où, comme on le sait, sont mes racines. J’y retrouve certains membres de la famille et les amis qui s’éloigneraient dans les brumes de l’oubli si l’on ne faisait pas cet effort de se rencontrer tous les ans. Avec le réchauffement climatique, je note que la région est en train de convertir en atouts maîtres ce que l’on considérait comme des handicaps. La température assez fraîche, même le crachin de Cherbourg n’apparaissent plus être des raisons pour courir se dorer au soleil de la côte d’Azur, en train de rivaliser avec les températures de l’Afrique. 

Je prépare actuellement la parution du dernier tome de ma trilogie : Ulysse 3. Marin perdu. Il paraîtra vers la mi-février 2024. Se conclura ainsi un travail intéressant, qui m’a replongé dans la lecture des traditions antiques, grecques et romaines, sur le personnage et son entourage. Le troisième volume raconte les grands épisodes de l’Odyssée. Un volume moins guerrier que le précédent donc, avec le développement de passages plus rêvés autour de figures devenues légendaires, comme le Cyclope Polyphème, Circé la magicienne, Calypso qui propose à notre héros l’immortalité. 

On est toujours un peu hésitant quand il s’agit de décider de l’opportunité d’une carte géographique de l’Odyssée. Celle de Victor Bérard, grand helléniste mort en 1931, est critiquée à juste titre pour son positivisme scientiste tel qu’il sévissait alors. Quel intérêt y a-il à vouloir inscrire sur une carte de la Méditerranée un récit mythologique moins riche en précisions topographiques que ce qu’on en prétend tirer ? Dans Homère, l’île d’Éole, le maître des vents, est décrite comme se déplaçant lentement sur la mer (comme les îles Baladar de Jacques Prévert, vingt-huit siècles plus tard !) Quel intérêt y a-t-il à la fixer dans les îles éoliennes (fort belles au demeurant, je les ai visitées) ? Et comment tracer l’itinéraire  du voyage chez Hadès et Perséphone, au royaume des morts, que Circé recommande à Ulysse d’entreprendre pour y rencontrer le devin Tirésias et où il rencontre aussi sa mère, morte pendant son absence ? Le royaume des morts est situé du côté de la nuit, on passe au pays des Cimmériens qui ne connaissent pas la lumière du jour, on franchit le fleuve Océan qui encercle le disque de la terre, on se retrouve dans un marais de saules pourris. On comprend qu’un tel voyage ait disparu de la carte de V. Bérard. Et l’île d’Ogygie, où réside Calypso ? La repousser au loin de la terre habitée, c’est l’envoyer près de Gibraltar, où franchement elle n’a pas sa place. Il y a quelques années, j’ai fait en bateau la traversée aller-retour de Tanger à la côte espagnole, je n’y ai pas rencontré l’île de la nymphe qui ne meurt pas. Je pense que pour de jeunes lecteurs, la carte peut être un élément important pour fixer l’attention. Et je compte bien sûr sur la pédagogie des enseignants pour initier à la dimension mythologique du texte d’Homère.

Du côté de mes lectures, rien à signaler. Je ne cours pas plus que d’habitude vers les sélections des prix littéraires. Attendre plus d’informations, écouter des amis qui auront lu, me paraît essentiel avant de me décider à lire à mon tour. Il m’arrive aussi de lire des critiques, mais pas trop. Le sentiment, me semble-t-il, y gagne du terrain au détriment d’arguments littéraires. Sans doute une influence des « like » et des « coups de cœur » qui peuvent conduire à une hypertrophie de l’émotion au détriment de toute considération esthétique. À ce sujet, je trouve bien malheureux le fait que, sur certains sites, l’on propose les ouvrages à la notation. Noter quoi ? Au nom de quoi ?  Est-on à l’école ? « Ce livre est nul, il manque d’action ». « Ce livre n’est pas un bon roman, il est trop court ». Il ne me viendrait pas à l’esprit de noter aussi cavalièrement des peintures ou de donner une meilleure  ou moins bonne note aux Demoiselles d’Avignon qu’à un portrait de Modigliani.  Dire qu’un roman est trop court, cela revient, à mes yeux, à juger négativement une aquarelle parce qu’elle n’est pas une peinture à l’huile. Il y a des romans courts, avec moins de moyens, moins de personnages, moins de parcours figuratifs que des romans symphoniques. Il y a des romans pour piano seul, ou pour piano et violon, ou pour ensemble symphonique. J’aime les romans d’Antoine Choplin, ou de Erri de Luca, et tant pis s’ils sont courts. Ils n’empêchent pas les romans longs d’exister. Ils ne font d’ombre ni à Guerre et paix, ni aux frères Karamazov.  

Devant le déferlement des parutions dans le secteur des livres, et leurs orchestrations médiatiques, quoi faire ? Prendre conseil auprès des gens en qui l’on a confiance, libraires, enseignants, amateurs de littérature pour faire son choix. Et, bien sûr, quand on est dans un poste d’enseignant, éduquer au goût, aider l’élève ou l’étudiant à enrichir son vocabulaire critique, afin de ne pas se contenter de ces expressions toutes faites telles que « l’écriture ciselée » qu’on retrouve un peu partout quand on veut encenser un ouvrage. Je lisais récemment une étude sur un homme de presse bien connu qui avait démultiplié la force de son empire en réunissant sous sa coupe des tabloïds anglo-saxons et des réseaux sociaux. Ce gigantisme des médias risque tout simplement de produire des lecteurs formatés directement connectables aux publications et spectacles formatés. Dans un voyage sur la côte ouest des États-Unis, la guide, habitante de Los Angeles, nous faisait visiter Las Vegas en nous disant qu’elle n’avait pas besoin de chercher ailleurs des spectacles de qualité. Elle était sûre en effet que tout ce qui se faisait de mieux dans le monde finissait par se retrouver sur une scène de la ville. Je n’ai pas senti l’ombre d’une hésitation dans ses affirmations. L’étude dont je parle insistait sur le fait que le conservatisme sociétal va souvent de pair avec la créativité technologique. Sommes-nous condamnés à tomber sous les stratégies des influenceurs de mode et de goût ? Où sont les veilleurs, les guetteurs, les empêcheurs de penser tout-fait ? Ils existent plus que je ne le laisse entendre ici.  En parler nous conduirait trop loin. Ce sera pour une autre fois.

20 juin 2023. Ulysse représenté au collège.

Vendredi dernier, une représentation de Ulysse 1. Prince d’Ithaque  était donnée au collège Notre-Dame de Reims. Professeurs et élèves d’une classe de sixième, 32 élèves, s’étaient mis en tête de porter mon livre à la scène. Belle performance de mise en scène par la professeure d’Histoire Géo, forte d’une expérience théâtrale bien établie. Travail de résumé des chapitres par les élèves avec la professeure principale. Les élèves m’ont offert, en fin de spectacle, le document original de tout le processus mené à terme. Les acteurs étaient en pantalons noirs et chemise blanche. Les narrateurs changeaient régulièrement. Filles comme garçons pouvaient jouer un personnage féminin ou masculin. Les élèves ont mémorisé une masse impressionnante de répliques, car le spectacle durait environ 45 minutes. Toutes mes félicitations aux profs et aux élèves. Jouer devant les parents suscite bien entendu de l’émotion. Mais le résultat était au rendez-vous.

Petite pause après l’écriture de Ulysse 3. 02 avril 2023

Je viens de terminer l’écriture du troisième volume de ma trilogie sur Ulysse. A paraître en début 2024. Et maintenant, je me laisse aller au farniente provisoire, en attendant d’être happé par un nouveau projet. Réflexions du genre essai ? Nouveau roman jeunesse ? Relecture romancée de classiques ? Je ne sais pas encore. Les projets ne manquent pas. Mais dans le monde de la littérature, les choses ne sont jamais simples, quand il pleut tant de publications au début des saisons, pour tous les goûts, en tous genres.

Ayant eu peu de temps pour écrire sur mon site, je viens de relancer l’espace « horizons » en ouvrant une page sur un petit voyage à New-York, voici quelques années. Je vais continuer par une autre page sur la Côte West. Mais finissons d’abord New-York. 

Parmi mes dernières lectures : Erik L’Homme, Les Murmures du ciel ou quand revient Jeanne, chez Héloïse d’Ormesson. Un livre singulier, où l’auteur manie avec beaucoup de maîtrise les lexiques de la chevalerie et de la politique du XVe siècle. Comme autrefois D. H. Lawence avait offert un supplément de vie à Jésus, après sa crucifixion, dans l’homme qui était mort, l’auteur fait sortir Jeanne des geôles anglaises (une sorcière est brûlée à sa place) et l’accompagne dans une chevauchée qui la conduit dans tous les lieux qu’elle a connus, de la Lorraine à la Loire, en une sorte de voyage d’au-revoir. Jeanne y est campée dans un bel équilibre de femme, croyante, guerrière, politique dans un monde de cours, de villes, de campagnes dont l’auteur restitue la saveur concrète. Livre sans doute loin des préoccupations du grand public, mais d’une singulière beauté.

 Guerres et tremblements. 22 février 2023

Les visages des gamins rescapés du tremblement de terre en Syrie et Turquie ne me quittent pas l’esprit. Cet air perdu, dans les bras du sauveteur, des yeux immobiles plus qu’apeurés, incertains, anesthésiés. On parle de cinquante mille morts, peut-être plus, et l’on ne peut s’empêcher de comparer avec le nombre de morts de la guerre en Ukraine, qui dépasse sans doute, les deux camps compris, les deux cents mille victimes. Les tas de ruines se ressemblent, sauf que dans un cas, elles sont provoquées par la mécanique de plaques tectoniques et dans l’autre par la folie d’une décision géopolitique. Comme si les tremblements de terre n’étaient pas assez destructeurs, et qu’il fallait en rajouter en horreur. Une violence est aveugle, d’origine « tellurique », l’autre est délibérée et provoquée par « l’espoir » de gains géostratégiques dont on se demande vraiment si leur importance mérite de tels massacres. Je suis né, comme déjà dit, durant la guerre de 1939 et j’ai quitté en pleine nuit une maison touchée par un obus incendiaire. Nous étions six enfants à nous enfuir dans les champs. Je n’avais pas trois ans. Et c’est avec ce vécu que je pense aux traumatismes des enfants sous les bombardements d’Ukraine, me demandant combien d’années il leur faudra, si cela est seulement possible, pour les évacuer de leur conscience et de leur inconscient. Tristesse infinie.

Coïncidence, demain paraît en librairie le second volume de ma trilogie sur Ulysse : Ulysse.2. Vainqueur de Troie. Dans le premier volume, je racontais la naissance du héros, son enfance et sa jeunesse sur son île aimée. Ile aimée, enchanteresse, mais malheureusement pas à l’abri de l’histoire. C’est là qu’Agamemnon vient chercher Ulysse pour l’enrôler dans l’expédition militaire décidée pour reprendre Hélène aux Troyens. Le second volume commence donc sur le bateau qui emporte le héros vers Troie. Une guerre ? Pensez-vous ! Tout juste une opération militaire, qui durera... dix ans. Ce volume a donc une tout autre couleur que le premier. Il s’agit de raconter la guerre. Une guerre aux facettes multiples, vue du côté d’Ulysse, d’Achille le grand héros qui, un temps, refuse de combattre, d’Agamemnon l’orgueilleux chef, de Ménélas, mari d’Hélène, de Pâris son amant, du vieux Priam et de son épouse Hécube, d’Hector, l’immense chef de guerre troyen, et de sa femme Andromaque. Il s’agit aussi de retourner sur Ithaque pour décrire ce qu’est l’attente. Au total, dix années d’une guerre inscrite, comme une sorte d’archétype, dans la mémoire littéraire de presque trois millénaires.

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Voeux pour 2023. 26 décembre 2022

Chers lecteurs, cette année nouvelle s’ouvre sur de bien grandes incertitudes. Aucun homme sensé ne s’en réjouit. La crise de la Covid nous a tous ébranlés mentalement. Il faut y ajouter les sautes d’humeur climatiques de plus en plus inquiétantes. Et voilà que la guerre revient en Europe, elle qu’on avait crue chassée pour toujours. Vous souhaiter une bonne année peut donc sembler un propos parfaitement utopique. Pourtant, chacun de nous sait qu’on ne conduit bien sa vie qu’en tissant et produisant du sens, de l’amour, de l’amitié, du beau, chacun selon sa propre mesure. Je fais donc le vœu que le meilleur de notre être puisse, malgré les heures difficiles, trouver ne serait-ce que le début d’un épanouissement.

Nous sommes dans la saison des courriers de bons vœux. Et soudain, un mail, un sms, un appel font surgir un visage,  plus ou moins ancien, plus ou moins éloigné. Merci pour tous ces témoignages que vous êtes bien là, respirants et désirants.

Cette année va voir, en février, la publication du tome deux de ma trilogie sur Ulysse : Ulysse 2. Vainqueur de Troie. Et plusieurs d’entre vous me parlent  des Contes des mille et une nuits, album illustré et musical arrivé en librairie début décembre. Ce sont pour moi des bons moments de partage avec vous, amis lecteurs. Et vive 2023 ! 1.man-mer.gif

 

Contes des mille et une nuits. 21 novembre 2022

Je viens de recevoir un exemplaire de cet album sur les contes des mille et une nuits. Je ne suis que modestement l'auteur du texte (non des mille et une nuits, mais de l'album !) Vous y trouverez donc une introduction, trois contes, et une conclusion. Le texte est raconté par Rebecca Marder. La musique résulte d'un travail de l'ensemble Agora. En voici la couverture, réalisée, comme les autres illustrations, par Nathalie Ragondet.

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Album illustré et musical avec CD. Texte de Pierre-Marie Beaude. Raconté par Rebecca Marder. Illustré par Nathalie Ragondet. Musique de l’ensemble Agora, dirigé par David Pastor. Editions Gallimard Jeunesse, 2022.24,90 Euros.  Durée de l’écoute : 60 minutes. Dès six ans.

 Le vieil homme que je suis. 20 octobre 2022

J’ai tant tardé à reprendre le fil de ce « Quoi de neuf ? » qu’on me demande, d’ici ou là, si je suis encore vivant. La réponse est positive, et je m’apprête même à fêter mes quatre-vingt-un ans. Une fête toute relative, car je n’ai jamais beaucoup célébré ce décompte des années qui nous rappelle surtout que nous ne sommes pas éternels. Ma mère, certes, a vécu jusqu’à 99 ans, après avoir élevé sept enfants et nous avoir parlé souvent de « sa petite santé ». Mon père, lui, qui avait une grande forme physique, l’aurait sans doute suivie dans cette compétition pour atteindre le siècle, mais il  est parti à l’orée de ses 80 ans, à cause du cancer de l’amiante qui toucha un bon nombre d’ouvriers des Arsenaux français. 

Jean Grosjean m’a dit un jour qu’un des aspects du vieillissement est de voir l’espace se rétrécir. On s’aventure moins au loin. On rechigne à faire des déplacements qui ne posaient aucun problème quelques années auparavant. Un de mes amis d’enfance vient de troquer sa grande propriété contre un appartement plus facile d’entretien. Pour lui aussi, qui a exactement mon âge, l’espace se rétrécit.  Rien de bien exceptionnel donc. Un autre ami, de vingt ans mon aîné, m’écrivait peu de temps après sa retraite : « j’apprends à vieillir ». 

Si on a l’âge de ses artères, on a aussi celui de son esprit. Et je suis heureux de constater que les projets ne me manquent pas. Le tome deux de ma trilogie sur Ulysse va paraître en février 2023. Il est intitulé Ulysse 2. Vainqueur de Troie. Je viens d’en corriger les épreuves, et j’ai reçu la une de couverture. C’est un volume plus difficile à écrire, surtout pour de jeunes lecteurs, car j’y traite essentiellement de la guerre de Troie. Place est donnée à la grande querelle entre Achille et Agamemnon. L’Iliade en effet ne fait que raconter une quarantaine de jours de la guerre, commençant avec cette fâcherie et se terminant avec la mort d’Hector, avec ce dernier vers : « Ainsi se souciaient-ils des funérailles d’Hector, maître des chevaux ».

Si, aux dires mêmes d’une amie helléniste, les batailles racontées sont répétitives et assez ennuyeuses, j’ai trouvé qu’il existe une  étonnante densité humaine dans bien des passages. D’abord, il y a le sort des victimes de la guerre, omniprésentes. Les familles décimées, les femmes capturées et réduites en esclavage après la destruction des cités. Il y a aussi le destin tragique des héros, celui de Sarpédon, l’allié des Troyens, celui de Patrocle et enfin d’Hector. Tout cela est raconté avec un excès de détails et de précisions, sur le ton de l’évidence non dénuée de froideur. Et soudain, comme en contrepoint, arrive un passage de ton différent, tel ce long passage où le fleuve Xanthe se rebelle devant l’horrible boucherie perpétrée par Achille poursuivant les Troyens pour venger Patrocle. Une superbe scène épique où le héros principal est un fleuve en colère. Et encore ce passage, comme suspendu en marge du temps et du récit guerrier, où le vieux Priam s’en va, contre l’avis de tous, réclamer le corps de son fils dans la tente d’Achille le meurtrier. La rencontre est sublime. Le vieux roi avoue à Achille qu’il ne dort pas depuis la mort de son fils Hector et demande à dormir, là, sans attendre. Achille lui fait préparer un lit et devient, en quelque sorte, l’ange gardien de son sommeil.

Je parlerai un autre jour du tome 3 de ma trilogie. Autre ambiance, bien sûr, s’agissant du voyage retour dans la patrie, en grec le nostos, alors que la guerre de Troie se limite géographiquement à la Troade. Le récit y prend, là encore, des tons épiques, et s’aventure dans la fiction d’un voyage d’Ulysse chez les morts, pour y retrouver, sur conseil de Circé la magicienne, le devin Tirésias de Thèbes. De très belles scènes qui rejoignent dans mon esprit des textes littéraires du même niveau. Je pense par exemple à l’Épopée de Gilgamesh. 

Mais ma prochaine publication est toute proche. Elle s’annonce avant la fin de l’année. Il s’agit d’un album illustré accompagné d’un CD musical sur les Contes des mille et une nuits. J’ai eu grand plaisir à en écrire le texte. Et je m’en expliquerai dès sa parution, sans doute en Novembre.  Bonne fin d’année à vous, amis lecteurs. 

22 mai 2022. On travaille Gargantua au collège Pierre de Ronsard.

À Hautmont, dans le Nord, deux classes, la cinquième Arthaud et la cinquième Noah, ont entrepris de lire et étudier mon adaptation de Gargantua. J’ai été très impressionné par la qualité des réflexions. Il y a beaucoup à découvrir par l’intermédiaire de ce texte : ce qu’est le langage populaire de la Renaissance, repris par Rabelais, langage tout aussi salé que les saucisses que mangent à profusion les héros. Les propos de taverne. Le genre carnavalesque, étudié par M. Bakhtine dans l’œuvre de Rabelais.  Ce qu’est la naissance d’un monde qui se dégage progressivement du Moyen-Age. La dureté de l’époque à cause des guerres (Charles Quint et François premier), les horreurs des guerres de religion. Le personnage fantastique de Rabelais, moine, médecin, écrivain, bon vivant, critique de la pensée aristotélicienne commune depuis le XIIIe siècle, adepte des sciences expérimentales. Adepte également de la pensée évangélique, telle que l’a initiée Martin Luther et qui attire les penseurs ouverts du catholicisme (Montaigne, Érasme, Rabelais) sans toutefois franchir le pas en quittant l’église romaine. Merci aux professeurs, particulièrement à Philippe Jacques, et aux élèves du Ronsard, qui en plus de lire mon Gargantua, ont constitué un jury littéraire pour lire plusieurs de mes livres (Laomer, Le livre des merveilles, Archéopolis…). Voici un texte d’accueil écrit par Aleksa à la façon de Rabelais, alias Maître Alcofribas.

« Nous avons l'horreur de vous souhaiter la bienvenue dans ces classes classes et classées avec la classe d'un classeur : la 5ème Arthard et la 5ème Noisette. J'espère que vous n'allez pas trop vous ennuyer avec nous et que vous n'allez pas perdre le goût de la langue française !

Nous avons étudié votre adaptation de Gargantua durant ce chapitre et, pour être sincère, c'était le moins ennuyeux de l'année ! J'ai tout particulièrement apprécié ce livre car il n'est pas trop long à lire et qu'il fait rire (comme mon discours). Je ne vais pas me ridiculiser plus longtemps et j'ai hâte de vous voir répondre à nos 300 017 questions.

Abreuvez-nous de votre vin de savoir ! Vous pouvez applaudir !

Aleksa Parun »

 

11 avril 2022. Ulysse, prince d’Ithaque

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       Voici donc en librairie le premier tome de ma trilogie sur Ulysse, pour lecteurs à partir de 9 ou 10 ans. Ulysse est sans doute le héros le plus connu de l’Antiquité. Qui n’a pas en tête, depuis toujours en quelque sorte, l’image du cheval de Troie ? Ulysse est un héros indémodable, associé à l’un de ses traits de caractère prédominant, la ruse. Ulysse aux mille tours (en grec Odusseus polimétis)rappelle en cela un autre personnage de l’Antiquité bien connu pour ses ruses lui aussi : Jacob, l’ancêtre des tribus d’Israël.

Ce premier tome commence avec la naissance du personnage à Ithaque, au palais de son père, le roi Laërte, et de sa mère Anticlée. Il se termine au moment où Agamemnon vient chercher Ulysse pour l’emmener à la guerre de Troie. Jeune en effet, Ulysse s’était cru intelligent et rusé en proposant de lier par serment tous ceux qui acceptaient de secourir Hélène, la reine de Sparte, si jamais elle se trouvait en danger. Or Hélène a été enlevée. Notre héros est donc rattrapé par son serment, et doit quitter Ithaque où il vient de prendre la succession de son père sur le trône et d’épouser Pénélope qui lui donne un fils, Télémaque. Quitter Ithaque lui fend le cœur.

Certains auteurs anciens ont écrit leur biographie, l’historien Flavius Josèphe par exemple. Ce n’est pas le cas pour Ulysse.  Les renseignements sur sa jeunesse se recueillent au fil de la lecture de l’Iliade, de l’Odyssée et d’autres auteurs grecs et latins.

À la recherche d’Ulysse chez Homère et les auteurs anciens, j’ai eu le bonheur de rencontrer de très beaux personnages, et j’ai cherché à mettre à leur service mon art de romancier. Je pense à Briséis, au tragique destin. Fille de roi, elle devient esclave de guerre chez Achille qui en tombe amoureux. Quand on la lui reprend, il entre dans une terrible colère et cesse de combattre, au risque de faire perdre la guerre aux Grecs. Je pense à Iphitos, jeune Grec que le destin conduit à affronter le terrible demi-dieu Héraclès pour venger son père. C’est avec son arc reçu en cadeau qu’Ulysse, de retour de la guerre, éliminera les prétendants qui se pressent dans son palais pour épouser Pénélope. Je pense aussi à Eumée, jeune prince enlevé par des pirates ; racheté par le roi Laërte, il devient un fidèle ami d’Ulysse et de sa sœur Ctimène. Il faudrait aussi et encore parler de Patrocle, et du vieux roi Priam au merveilleux courage, et d’Euryclée qui fut la nourrice d’Ulysse et de Télémaque.

Je vous souhaite, amis lecteurs, de remplir vos yeux de la douce lumière des îles grecques, et d’accueillir avec le même bonheur que j’ai éprouvé tous ces personnages du récit. Ils ressemblent à ces voyageurs qu’on s’empresse, dans l’œuvre d’Homère, de recevoir à la maison, selon les lois sacrées de l’hospitalité.  

 

29 mars 2022. La guerre 

 

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La photo ci-dessus est celle d’une « carte de charbon, pour attribution exceptionnelle à un consommateur de catégorie E. » Elle fut délivrée le 2 11 45, c’est-à-dire le jour de la naissance de ma sœur, destinataire de la carte. Ce supplément d’attribution de charbon (la carte comporte quatre coupons dont trois ont été utilisés) fut très certainement la bienvenue, dans une famille de sept enfants, au lendemain d’une guerre qui nous laissa tous au bord de la misère.

La guerre en Ukraine me ramène ainsi, après quelque 80 ans, à mes premières années de vie. Comme je l’ai raconté dans « Espace Manuscrits – Ma bibliothèque – Journal de temps de guerre », j’ai vécu les bombardements de la contre-attaque de Mortain à l’âge de trois ans. Je n’en ai gardé aucun souvenir, mais mon subconscient en a été marqué, si j’en juge par le nombre de maisons détruites dont j’ai pu rêver une fois devenu adulte. 

La guerre est donc de retour en Europe, et elle n’a jamais vraiment cessé dans le monde. Je me souviens, pour le temps de ma jeunesse, de la guerre de Corée, de celle de l’Indochine, de celle d’Algérie,  ensuite, de la guerre des Six jours, de celle du Koweit, de l’Afghanistan, de l’Irak, des Malouines, et j’en oublie beaucoup. La pulsion de guerre s’endort et se réveille, condamnant l’humanité qui aimerait vivre en paix au rythme des accès individuels de parano, des gestions agressives des rapports inter-états, des intérêts économiques accompagnés de toutes ces idéologies qui collent à nos sociétés.  Certaines idéologies que nous avons connues nous paraissent mortes mais d’autres produisent d’incessants rejetons, racisme, autocraties, tyrannies, absolutismes des idées et des régimes. Des années de prison pour oser dire son désaccord à propos de guerre. Même des journalistes  indépendants ont fermé leurs bureaux. Trop chère payée la liberté d’informer.

Il se trouve que, durant ce retour du tragique sur notre continent, je lis l’Iliade. J’ai écrit déjà combien sa seule lecture m’effraie. Ce réalisme dans la description des batailles, ces détails anatomiques concernant les blessures et les morts sont presque insupportables. D’autres passages se font surréalistes, oniriques, comme celui où l’on voit le fleuve Xanthe sortir de son lit et courir après Achille, obligé de se sauver pour ne pas mourir noyé. Puis l’eau du fleuve se mélange au feu jeté du haut de sa forge par Héphaïstos. Fleuve et feu se rencontrent sur la plaine, le feu brûle toute végétation, l’eau en feu carbonise les poissons et les cadavres descendants au fil de l’eau. Il y a une morale dans cette histoire : le fleuve créé par Zeus n'aime pas l'accumulation de cadavres provoquée par les exploits d'Achille. Elle dérange l'ordre du monde.

 Il reste que les Grecs se battaient si souvent entre cités qu’ils en arrivaient à considérer que la guerre est une partie nécessaire du temps, comme le printemps, ou l’automne.  Quand Héphaïstos, le forgeron boiteux, forge sur demande de Thétis un bouclier pour Achille, il y représente l’univers, le ciel, la terre, les eaux, les villes et les campagnes, les réjouissances dans les cités et les malheurs des guerres, et il entoure le tout du grand fleuve qui fait cercle autour de l’univers. La guerre est ainsi présentée par l’auteur de l’Iliade comme une chose inévitable, rythmant la vie avec cruauté, revenant comme reviennent les saisons. 

Instruits par des siècles d’histoire, nous n’avons toujours pas réussi à juguler la guerre. Il s’en faudra encore de beaucoup, tellement la violence s’inscrit dans nos sociétés, depuis les origines. On est pris de colère et d’effroi en pensant à cet « infantilisme » comme dit le pape, qui génère tout autocratisme. Possédant des armes, l’autocrate produit malheureusement tout autre chose que des enfantillages. Il n’a pas plus d’égards pour la vie qu’un enfant qui arrache les ailes des mouches. Et son pouvoir n’est plus restreint à la cour de récréation, mais détruit de grands espaces du monde habité. Mes pensées vont aux victimes, blessés, esprits terrorisés qui supporteront toute leur vie de tels traumatismes. Terrible impression d’impuissance face aux géo-stratégies qu’on croyait d’un autre temps, le temps des colonialismes, des guerres d’empire, celui du National-Socialisme, celui du Stalinisme. Je repense soudain à l’écrasante vérité de Guernica, captée par le pinceau de Picasso.

20 janvier 2022. Petit bilan de mes réflexions de l’année.

En ce mois de janvier, je me suis demandé ce que m’a apporté l’année qui vient de finir, en termes de réflexion, de questionnements, d’observations. Voici un petit bilan, très incomplet, qui a au moins pour mérite de m’aider à mettre un peu de clarté dans mes pensées.

1. La pandémie. En traversant la crise de la Covid, j’ai découvert, comme beaucoup, combien la société française est fracturée. Difficile de la cerner comme un tout homogène. J’avais cru naïvement que l’arrivée d’un vaccin ferait l’unanimité, et... je me suis trompé. J’éprouve quelque difficulté à me représenter les motivations de ceux qui se disent anti-vaccin et donc anti-pass, celles des anti-pass mais non anti-vaccin, des anti-bigpharma, des complotistes et des anti-majorité. Il me vient une sorte de tournis devant ces mélanges de rationnel, d’émotionnel, de conviction individuelle, de considérations socio-politiques, d’inconscient sociétal, de souvenirs singuliers ou collectifs encore douloureux,  et de bien d’autres ingrédients qui s’activent, voire sur-réagissent, dans le déroulement de cette crise majeure. Ces deux années nous ont paru pesantes par le manque de voyages, de contacts « en présentiel » que ne remplacent pas les moyens de communication virtuels, bien pratiques au demeurant. Mais je ne fais là que dire des banalités. 

2. La raison critique. L’année écoulée m’a renforcé dans l’idée que la raison critique perd beaucoup de terrain dans notre société. Les fausses nouvelles circulent beaucoup depuis la crise sanitaire, tellement étranges parfois, qu’on se demande si elles ne sortent pas de quelque film de science-fiction. J’ai vu également se renforcer la dimension rhétorique du langage et du « process » de communication sociale. Les mots sont devenus une arme qu’on peut distribuer à ses troupes sous forme d’ « éléments de langage », telles des munitions en temps de guerre, pour « arroser » l’adversaire, ou encore pour « cibler » les indécis.  Le langage (il faudrait sans doute plutôt dire les discours qu’on en tire) est utilisé comme une machine à persuader, à rallier à sa cause. Utilisé dans cette fonction, il est le fait de gens sûrs d’eux, convaincus qu’ils ont raison. Cette dimension n’est pas nouvelle, certes. Elle existait déjà, chez les orateurs et les avocats de l’Antiquité. Mais aujourd’hui, elle s’est mise au service de l’économie de marché. Elle nous suit comme notre ombre dans nos vies, en particulier par le biais de la publicité. Celle-ci n’a pas vocation à nous apprendre à raisonner. Elle fait « « comme si ». Une blouse blanche jetée sur un comédien sera suffisante pour vous vanter le meilleur dentifrice. 

J’ai lu et entendu que les réseaux sociaux accentuent le remplacement de la raison critique au bénéfice du sentiment et de l’opinion. Quelqu’un émet une idée. Une multitude de « like » vient s’agglutiner autour, et devient une arme persuasive. Pas besoin d’exercer un raisonnement critique pour « liker ». Celui qui a le plus de « like » a gagné. Monde du sentiment, de la doxa. 

Les penseurs « people » aident-ils la raison critique ? Vaste débat. Impression que beaucoup n’utilisent plus le raisonnement. Leurs moyens de communiquer, télévision, radio, presse écrite et livres personnels, ne les mettent pas dans la situation de se laisser autocritiquer. Ils possèdent un ego suffisamment averti pour éviter les endroits où le dialogue adversatif et constructif pourrait les aider à affiner leur pensée. On ne les voit quasiment pas, ou même pas du tout, dans les colloques de recherche universitaire. 

Peut-être un début de raison critique est-il à chercher chez les « comiques ». Il m’est arrivé de bien rire en regardant les sketches que des amis ont pris sur les réseaux sociaux. Le rire, oui, et aussi, certainement, l’art, qui nous a fait tant défaut durant la pandémie. Ce sont encore, me semble-t-il, l’artiste, le danseur, le poète, le dramaturge, le peintre, le musicien, qui font de leur langue, de leur corps, de leur plume, de leur pinceau, de leur instrument, un moyen d’expression et de communication non soumis à la dictature des rhéteurs ou des « influenceurs ». 

3. Les politiques. Je crois bien qu’ils prennent de plus en plus le virus ... de la pensée anti-critique. Il n’a jamais été de bon ton, en politique, de s’autocritiquer ou de se laisser critiquer. Mais aujourd’hui,  qui accepte la discussion ? Il me semble que les politiques s’écoutent vraiment très peu et assènent leurs convictions, surtout en période d’élection, plus qu’ils ne raisonnent. Et les chaînes d’information continue, elles-mêmes en concurrence avec les réseaux sociaux, favorisent les débats qui se terminent en pugilat verbal. Inaudible pour le téléspectateur. Le cocktail "information, débats, publicité" nous plonge dans un univers de mélanges thématiques, fait de reprises continuelles d’infos si lassantes que des éditorialistes se demandent quel impact cela peut-il avoir sur notre bonne santé mentale. J’ai lu que certains journalistes seraient pour trier et sanctuariser les informations importantes qu’on pourrait aller consulter librement. Est-ce vraiment réalisable ? Comment choisir ce qui est important sans tomber dans la censure ?

L’information, sa valeur, la désinformation, l’intoxication sont des sujets que n’ignore pas la recherche universitaire, heureusement. En mai, par exemple, se tiendra à l’université de Lorraine (CREM de Metz) un colloque de l’International  Communication Association : « Post-Truth and Affective Public’s Challenges to Social Ties. Disinformation, Populism, Data-Driven Propaganda. » 

4. Les cathos. Les voici en plein marasme. Appelés à reconnaître les défauts systémiques de leur institution, en particulier sur les abus sexuels renseignés pour l’église de France dans le rapport Sauvé, ils voient certains membres éminents de leur hiérarchie proposer leur démission. Et voici, pour augmenter le marasme, qu’une lutte frontale se fait entre le pape et les « tradis ». Ceux-ci se montrent d’autant plus influents que nombre de catholiques ont quitté tout simplement l’église romaine, jugée irréformable. Nous voyons donc renaître des courants que le sociologue J.-L. Schlegel nomme les « contre-révolutionnaires » (La Croix, 06, 01, 22). Ce sont des instituts de vie, des paroisses, des monastères, des associations tirant en effet leur inspiration de ces courants qui refusèrent la révolution française, et avant elle, la pensée des Lumières. Quelle que forme institutionnelle qu’ils prennent, les contre-révolutionnaires s’inscrivent peu ou prou dans le courant de la pensée maurrassienne. Adeptes de la royauté pour certains, pour le conservatisme politique pour d’autres, pour une église aux rites immuables, ils ont toujours eu leurs entrées à la curie romaine dont on ne peut pas dire qu’elle brille par ses idées novatrices. Mais aujourd’hui, la surprise vient, bien sûr, du pape François. Né sur un continent très différent de l’Europe par son histoire, il fustige le cléricalisme, la verticalité hiérarchique, appelle à la fraternité et au dialogue avec les autres religions, au point que certains cardinaux américains vont jusqu’à dénoncer ses hérésies. Après deux papes très enclins à tendre l’oreille aux courants tradis, on comprend que la colère gronde, d’une « rare violence » comme l’écrit encore J.-L. Schlegel, contre le pape François. Où cela conduira-t-il ? Un schisme n’est pas à écarter. Le pape a d’ailleurs assuré qu’il en envisageait la possibilité et n’en avait pas peur. Ou bien, son successeur prônera un retour au « bon catholicisme » des deux papes précédents qui redonnera aux tradis la place qu’ils avaient sous leur pontificat. Il est donc possible qu’après une période où les cathos avaient accès à des instances de réflexion et d’action critique (je pense à la période de l’Action catholique  de l’après-guerre, qui forma des gens éclairés, implantés dans leur milieu social), l’église catholique se rétrécisse autour de convictions identitaires, incapable de s’intéresser au bien commun et aux enjeux d’une société pluraliste. 

5. Préservation de la planète et homme transformé. Nous vivons dans un monde sensibilisé à la préservation de la planète. Nous sommes soucieux du manger naturel, non trafiqué, de la médecine non-agressive ; certains refusent qu’on leur injecte des produits vaccinaux dans le corps, estimant qu’il vaut mieux laisser celui-ci créer ses propres défenses. Dans le même temps, en Californie et en Chine, un nombre important de chercheurs travaillent sur l’intelligence artificielle et sur la réalisation d’un homme connecté, dont les possibilités cérébrales seraient centuplées. Je doute que les puces d’intelligence artificielle qu’ils projettent de connecter au cerveau aient moins d’agressivité que les produits vaccinaux contre la Covid. En d’autres termes, deux rêves antagonistes restent à réaliser et annoncent de grandes dissensions. Je mets le premier sous le patronage de Giono qui aspirait à une nature paisible ; on comprend qu’après avoir connu l’usine à tuer de la grande guerre, il ait porté ses rêves du côté du naturel. Il écrivit un jour son étonnement d’avoir rencontré un enfant qui ne savait pas les noms des arbres mais connaissait toutes les marques de voiture automobile.  Je mets le second sous le patronage de Jules Verne, l’ingénieur, qui aurait sans doute applaudi les développeurs d’utopie résidant en Californie. Difficile, ici encore, de réconcilier les deux. 

Bonne année 2022

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 Difficile d’offrir les vœux habituels de bonne santé, de sérénité et de bonheur alors que nous entrons dans le nouveau en traînant derrière nous tous les problèmes causés par un virus qui ne semble pas plus disposé à s’arrêter aux fins d’année qu’aux frontières.

Je me suis essayé à quelques cartes de vœux et vous offre donc cette photo des environs de Marsala. Au nord de la ville, le long du littoral, se trouve cette zone de marais salants, toujours exploités. On peut s’y promener, on y rencontre des flamants roses et divers autres oiseaux fort gracieux.

Cette année verra la publication d’un premier volume d’une trilogie dont je vous parlerai en temps voulu. Ce devrait être pour avril.

Merci à vous tous pour vos courriers, vos réactions, votre fidèle amitié de lecteurs. Et... bonne année, malgré tout !

 

11 novembre 2021. Mutuzo, Borges et Homère

Chers « followers » devrais-je dire, mais je préfère vous appeler amis, vous tous qui me suivez et dont je contrôle le nombre par add-on. Depuis la création de mon site, nous en sommes à environ 40.000 visites. Je ne suis pas encore un « influenceur », mais ça vient ! Ou plutôt, non. Je ne désire rien d’autre que ce que j’ai déjà, cet instrument qui me permet de vous donner de mes nouvelles, vous annoncer mes publications, vous dire mon sentiment sur l’air du temps.

Je viens de terminer la partie italienne de ma balade dans ma bibliothèque. C’est une visite bien rapide, avec des manques voire des béances, mais cela reste un petit fil conducteur pour qui veut se promener. Je n'ai rien dit, par exemple, de Nicolo’ Ammaniti, dont les séries télévisées (Miracolo et Anna) ne laissent pas de me fasciner par leur esthétique baroque. À la page Manuscrits, j’ai mis à votre disposition un nouveau téléchargement. Il s’agit d’un roman écrit, il y a deux ans environ, sur l’immigration. Vient-il en contre temps ? C’est possible. L’heure est peut-être plus au témoignage de ceux qui vivent les dures aventures des migrants. Ma parole et mon écriture ne peuvent pas rivaliser avec de tels témoignages. Si j’ai écrit ce roman, c’est parce que j’ai rencontré bon nombre de migrants dans ma vie, que je suis allé dans plusieurs pays d’Afrique, que j’y ai rencontré des « humanitaires ». Et puis, je me suis souvenu que ma vie a commencé avec un exode, celui de la guerre de 1939-45. Je n’avais pas trois ans quand ma famille a dû quitter la région de Cherbourg pour rejoindre une terre plus sûre vers le sud. En fait de sécurité, nous nous sommes retrouvés pris sous le feu de la contre-attaque allemande de Mortain. Une bombe ou un obus incendiaire a mis le feu au grenier où nous dormions. Nous avons dû nous enfuir en pleine nuit.

Mes lectures actuelles : je me suis plongé dans Jorge Luis Borges, Le rapport de Brodie.  Je connais mal cet auteur important. Je n’ai lu surtout que des appréciations de son œuvre. Je découvre son côté dérangeant, étrange, ses histoires brutales, et cette fine attention aux phénomènes de l’écriture, à la mise en scène de l’écrivain, des souvenirs. Un monde qui ne manque pas d’épaisseur et fascine. Je poursuis aussi ma plongée dans le monde d’Homère. Grande œuvre, difficile parfois, à propos de laquelle je viens de lire cette phrase que Borges prête à l’un de ses héros : « Il se dit aussi que les hommes, au cours des âges, ont toujours répété deux histoires : celle d’un navire perdu qui cherche à travers les flots méditerranéens une île bien-aimée, et celle d’un dieu qui se fait crucifier sur le Golgotha » (Le rapport de Brodie, folio, nouvelle édition,  p. 124)

2 octobre 2021. Humble respect des faits historiques et gnose.

L’élection présidentielle mobilise déjà la classe politique. Comme beaucoup, je suis les mouvements d’opinion rythmés par les sondages. Les chaînes d’info continue nous en donneraient la nausée, à toujours répéter. Nous sommes, depuis longtemps déjà, soumis à la contrainte répétitive des publicités. Leur but étant de faire vendre, elles n’ont pas vocation première à développer l’esprit critique. Elles s’adressent à la partie émotionnelle en nous, même quand elles se parent d’apparences rationnelles. Tel détergent est « deux fois plus efficace ». « Deux fois plus efficace que quoi ? », demanderait l’esprit critique. Telle voiture, c’est deux cents euros par mois. « Combien de mois ? » aurait envie de demander l’esprit critique.

      En cherchant à faire passer leurs idées, les politiques utilisent des procédés de marketing, qui finalement n’aident pas plus l’esprit critique. Ils en arrivent à tordre la réalité pour la remplacer par un avatar du réel. On se retrouve ainsi dans une sorte de gnose, qui fait référence plus ou moins fantaisiste au réel et au factuel. La gnose, si je me réfère aux premiers siècles de l’ère chrétienne, c’est l’affirmation que le monde matériel et la chair sont mauvais, et que seuls sont sauvés les esprits supérieurs, atteints par l’illumination qui leur donne la connaissance (en grec gnôsis). Écoutant un essayiste, probable futur candidat, interviewé par une journaliste, sur la chaîne 26, je l’entends parler des guerres de religion au... XVe siècle. Lapsus ? On se dit en effet qu’il ne peut pas ignorer que les guerres de religion naissent au XVIe siècle, et se développent surtout dans la seconde moitié de ce siècle. En sont l’écho, en littérature française, Rabelais (mort en 1553) Montaigne (mort en 1592), Ronsard (mort en 1585) et bien d’autres. L’essayiste annonce alors que lesdites guerres de religion ont mis cinquante ans à s’éteindre ! Or l’édit de Nantes, de François Ier, roi de France, censé apporter la tolérance entre protestants et catholiques est de 1598 ! Et les persécutions religieuses continuèrent et conduisirent à la révocation de l’édit de Nantes, par Louis XIV, en 1685. Nous sommes loin des cinquante ans annoncés par notre essayiste. En fait, les guerres de religion empoisonnèrent, par vagues successives, deux bons siècles de notre histoire. Parlant ensuite de ses obsessions, l’essayiste nous apprend que le mot obsession nous vient d’un mot grec qui désigne le siège d’une ville. Mauvaise pioche, car le mot « obsessio » est d’origine latine. Je chicane, me dira-t-on. Peut-être, mais je vois surtout ici des indices d’une pensée qui ne prend pas la peine de respecter la chronologie et la matérialité des faits. L’important est d’interpréter, de faire passer le message. Un message qui perd son ancrage dans l’humble respect des faits et des dates risque bien, effectivement, de se transformer en gnose. Il faut nous habituer à cette pensée « médiatique » qui s’éloigne de plus en plus du savoir scientifique, pratiqué dans les laboratoires universitaires. Je repense à ce mot de M. de Certeau qui, en son temps (il est mort en 1986) parlait de la « demi-science ». On tire à soi l’histoire, à coups d’à peu-près et de citations.

     La transition est toute trouvée pour signaler un livre de l’historien François Dosse, Amitiés philosophiques, chez Odile Jacob. Je lis qu’il y traite des relations amicales entre Aron et Sartre, Foucault et Deleuze, Ricœur et Derrida, Derrida et Lévinas… Je n’en sais pas plus pour l’instant, mais je vais lire ce livre. Il me replongera dans un temps où la philosophie et les sciences humaines étaient servies par de grands esprits, qui prenaient le temps, eux, d’ancrer leurs interprétations et leurs affirmations sur un respect scrupuleux des données matérielles, qu’elles soient issues d’archives, des textes anciens ou des enquêtes de terrain.

Mes lectures : toujours Homère. Quelques romans italiens des éditions Sellerio, de Palerme. Et aussi du théâtre, par Laurent Gaudé.

23 août 2021. Covid, vacances d’été et lectures.

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Si je réfléchis aux effets de la pandémique, je dirais qu’elle me plonge dans un monde plus compliqué qu’avant. La crise sanitaire, par exemple, a fait rebondir le complotisme, m’oblige à dépenser plus d’énergie pour savoir ce qu’il en est de fait, de la dangerosité du vaccin, des stratégies cachées des gros laboratoires, du rôle de la Chine dans l’origine de la pandémie, etc. Les réseaux sociaux disant tout et le contraire de tout, je me trouve devant des affirmations tenues par des amis ou des relations, qui vont de la fantaisie la plus échevelée à l’exposé de pseudo-théories qui se couvrent d’apparence rationnelle. Il faut donc du temps pour orienter son raisonnement, établir ses certitudes, se faire une raison critique. Hier encore, sortant de ma maison pour aller jusqu’à ma voiture, un seul chemin s’offrait à moi, sous forme de ces dalles traversant la pelouse en direction du garage. Aujourd’hui, c’est comme si, ouvrant ma porte, je découvrais un entrelacement de chemins sur ma pelouse et que je devais vérifier un à un lequel effectivement conduit à mon garage. Temps perdu ! Temps perdu encore à discuter avec quelques amis qui se révèlent soudain anti-vaccin, sans y être vraiment, tout en y étant. Ce sera le manque de motivation pour les uns, le choix de la médecine naturelle pour les autres. Laissons faire la nature, me dit-on : elle est bien capable de se créer des défenses et des anticorps pour résister. Mais la même personne vous informe que sa vigne, non traitée, est dévorée par l’oïdium et le mildiou. Là aussi, faute de traitements, elle a laissé faire la nature.

Je rentre de Normandie, où le virus m’avait empêché de me rendre l’an dernier. Aujourd’hui, grâce au vaccin, temps béni des retrouvailles en famille et entre amis. Nous avions tant à nous raconter. Le havre de Regnéville, que je partageais avec les moutons des marais, est d’une grande beauté. Une amie, habitante du havre voisin de la Venlée, nous apportait une partie du produit de sa pêche. Elle est experte en palourdes, que nous mangeons chaudes, acompagnée d’une sauce au beurre, à l’huile, à l’ail et à l’échalote, ou avec des spaghetti. Parmi mes lectures, j’ai pris plaisir à découvrir Antoine Choplin, que je ne connaissais pas. Une nièce m’a recommandé Le héron de Guernica, fort intéressant. Je continue l’exploration de cet écrivain par Partiellement nuageux, éditions La fosse aux ours. Autre lecture : Alessandro Baricco, Homère, Iliade, en folio.  Il s’agit d’un texte écrit pour être lu en public. L’auteur fait parler les personnages importants, même le fleuve, et trouve ainsi une excellente façon de résumer les 24 chants de l’Iliade. Très belle réussite. Un ami m’a offert le tome 10 du chat du rabbin, où Sfar continue la réflexion sur ses thèmes favoris sous le titre Rentrez chez vous ! Vaste programme, car il faut naturellement savoir où est son chez soi. Enfin, si vous aimez l’Italie, n’hésitez pas à vous procurer le gros livre de François-Régis Gaudry et ses amis, On va déguster l’Italie, Marabout. Plus de 460 pages, qui vous promènent dans la cuisine italienne mais plus largement aussi dans la culture des différentes régions. Enfin, j’ai fait découvrir à des amis italiens le fort livre de Erri de Lucca, Impossibile, qu’ils ignoraient. Ils ont été enthousiastes. Il est traduit en français sous le même titre.

30 mai 2021. Air marin.

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 De retour de Baie de Somme, où je me suis ventilé le cerveau à l’air iodé et au vent, particulièrement insistant les deux derniers jours. Les kite-surfeurs s’en donnaient à cœur joie. Belles balades sur les plages du Crotoy, à la pointe du Hourdel, puis, au nord de la Baie, sur l’immense plage de Fort-Mahon où est prise la photo des chevaux. Né au bord de la mer, je me surprends souvent à comparer les côtes de France et de Navarre, qui m’attirent toujours, avec ma Manche natale. Ici, les couleurs me semblent moins pastel, un peu plus rudes, sous une lumière très intense. Tout me paraît nettement plus austère. Les phoques font de grasses matinées sur les bancs de sable et semblent nous ignorer. L’un ou l’autre s’aventure dans le courant à marée montante pour y trouver la nourriture. L’idée me vient que ce sont des phoques à touristes ! Si vous voulez comprendre  cette idée un peu négative, il vous suffit de vous reporter, en Espace Horizons, à mes pages sur le Groenland. J’y ai découvert une véritable culture de chasseurs centrée autour des phoques, des narvals et des baleines, de l’ours polaire, des isatis et des bœufs musqués. Dans tous les villages de la côte nord-ouest (Savissivik, Siorapaluk...), les chiens sont au piquet en attendant l’hiver, les phoques éventrés sont en attente dans des caisses pour leur servir de nourriture,  les gens se promènent en bottes en peau de phoque et avec des fourrures pour vêtements inuit.

Si j’ai profité de ces journées pour de belles marches aux heures de soleil, j’ai ajouté le plaisir de la lecture. J’avais pris sur mes rayons un Jack London pas encore lu, Les Mutinés de l’ « Elseneur ». Roman très noir, sur un des derniers voiliers qui passe le cap Horn, avec un équipage qui m’évoque les dessins de Jérôme Bosch. London livre une peinture de l’âme et des corps humains sans concession, c’est le moins qu’on puisse dire. Je viens de terminer un autre roman, pour ados, écrit à quatre mains : Olympe de Roquedor, par Jean-Philippe Arrou-Vignod et François Place. On est emmené vers la période de mousquetaires du roi ou de la reine, mais c’est moins la cour qui intéresse les auteurs que le monde réel des campagnes soumises à leurs seigneurs, aux bandits de grand chemin, aux coupe-jarrets et aux pendards de toute espèce. Une nature occitane minutieusement décrite, omniprésente, des personnages forts, dont certains paraissent sortir tout droit des livres de Dickens. L’intrigue tourne autour d’une jeune marquise, remisée au couvent et qui en ressort pour faire un mariage forcé avec le fils d’un seigneur dont les buts ne sont pas très altruistes. Beau roman qui trouvera, j’en suis sûr, son public. Et puisque j’en suis à la littérature de jeunesse, je salue la très belle reconnaissance internationale d’un auteur français, Jean-Claude Mourlevat. Il vient de recevoir le prix suédois Alma-Astrid Lindgren Memorial Award. Mourlevat était nommé depuis pas mal d’années, mais jamais primé. C’est chose faite, et c’est une très bonne chose pour la littérature française. Si vous n’avez jamais lu un livre de Mourlevat, vous avez de la chance, car de très belles lectures vous attendent ! Personnellement, je vous conseillerais l’enfant et l’océan, la ballade de Cornebique ou encore, pour les ados, le combat d’hiver. Très bonne lecture à vous !

2 avril 2021. La Pâque des pinsons.

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Cette photo surprenante m’est parvenue de Claude, mon ami d’enfance. Je n’avais jamais vu un oiseau demeurer auprès du cadavre de son conjoint. Le pinson mâle s'est assommé contre les vitres de la véranda, comme cela arrive régulièrement chez moi. J’ai ramassé des merles et de rutilants chardonnerets. La femelle pinson semble attendre. Claude commente sobrement : « ils s’aimaient… je veille sur toi... ». Belle parabole ou belle fable. On en ferait aussi un conte.

A tous mes lecteurs, je souhaite une bonne entrée dans le printemps. Pâques, aux origines, avant la reprise par la Synagogue et le Christianisme, semble bien avoir été une fête de bergers semi-nomades. Sans doute un rite de passage, la fin d’une saison délicate et l’entrée dans une séquence meilleure avec la naissance des agneaux. En cette fête, les bergers prélevaient l’animal du troupeau qui était leur grand bien, ils en sacrifiaient un petit. On mangeait l’agneau rôti, comme cela se fait au désert, et non pas bouilli dans une marmite. Le rite se faisait une nuit de pleine lune, pour bien éclairer les participants. Et puis, le jour, on était occupé.

La pandémie qui dure depuis maintenant plus d’un an fait se ressembler les jours. Une certaine monotonie s’installe. « Voilà un an que je n’ai pas quitté mon trou », m’écrivait un correspondant. Peut-être la fête de Pâques permettra-t-elle de secouer la monotonie, malgré les gestes barrière et les masques et les limitations de déplacements.

Des amis écrivains m’ont dit qu’ils avaient profité des confinements pour avancer leurs manuscrits, et même les finaliser. Il est vrai que le travail d’écriture supporte assez bien la monotonie, l’espace sédentaire, et le silence. Personnellement, j’en ai profité pour avancer mon projet de page racontant ma bibliothèque. Projet que je vous invite à aller voir en « Espace Manuscrits ». Je le continuerai un peu plus tard, car j’ai dû revenir à mes manuscrits en cours de réalisation. L’un d’eux, je l’ai dit, me plonge dans Homère. J’y découvre un monde passionnant, dur et cruel s’agissant de l’Iliade, mais aussi fascinant comme tous les textes anciens, à cause des visions du monde qu’ils rapportent, de l’anthropologie, des classes sociales (faire le guerrier, être roi d’une île grecque, faire le berger). Je parlerai plus aisément de tout cela quand viendra la parution.

Très bonnes fêtes de printemps à tous mes lecteurs.

 

Années 2015 à 2021

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Le livres des merveilles de Marco Polo 15 02 2015.

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15 février 2015. Marco Polo.

Je viens de terminer mon manuscrit sur Marco Polo, à paraître en début juin aux éditions Gallimard Jeunesse. Le Livre des merveilles, encore appelé Le devisement du monde et Le million, est assez surprenant pour un lecteur actuel. C’est un genre littéraire typiquement médiéval, dans lequel les frontières entre les observations faites par le voyageur et les légendes entendues sont assez poreuses. Il faut s’y habituer, car nous classons différemment et sans doute plus strictement nos savoirs et nos croyances. Les choses sont moins surprenantes pour qui a fréquenté les Histoires du grec Hérodote, ou encore L’histoire naturelle du romain Pline l’Ancien. Hérodote, souvent appelé le père de l’histoire, était aussi appelé… le menteur. En fait, l’historiographie existait déjà bien avant les Grecs. Il suffit de penser aux chroniques des Égyptiens, racontées sur les murs de temples. Ce que les Grecs ont inventé, c’est l’historien-témoin, qui enquête et rapporte en utilisant le « je ». Mais il faut savoir qu’au début, chez les Grecs, être historien n’était pas vraiment un métier. Et que les Grecs avaient d’autres moyens que l’histoire pour assurer un rapport au passé, par exemple avec ces poètes qu’étaient les aèdes. Avant les historiens venaient les auteurs de l’Illiade et de l’Odyssée.  On retrouve dans le livre des merveilles bien des interrogations et des légendes qui étaient déjà là chez les Anciens : la salamandre, par exemple, et son rapport avec le feu dans lequel elle est censée vivre. Autre difficulté du livre des merveilles : les régions et les villes décrites ressemblent à des sortes de fiches destinées aux futurs voyageurs. Le voyage proprement dit occupe les premiers chapitres du livre I, après quoi on passe à des descriptions de régions et de cités, aux modes de vie des habitants, à leur agriculture, leur artisanat, à leurs coutumes, leurs croyances. Le début du livre II est consacré à la cour de l’empereur Kubilaï, puis on reprend les descriptions des régions fréquentées par Marco durant les années où il était au service du Grand Khan. Le livre III, qui commence par le Japon, continue le même genre littéraire. Il y a finalement dans ce livre très peu d’intérêt pour les individus. L’intérêt est sur les groupes sociaux, non sur la psychologie humaine. De Marco Polo, on n’apprend que très peu. À noter – j’ai omis de le signaler – que le livre fut rédigé par un certain Rustichello, auteur de romans de chevalerie, à qui Marco confia ses souvenirs. J’aime beaucoup me plonger dans la littérature dont l’intrigue se présente sous forme de voyage. L’Odyssée, bien sûr, m’a toujours passionné. Et j’ai pris beaucoup d’intérêt à adapter L’épopée de Gilgamesh, longue quête conduisant le héros jusqu’au bout du monde. C’est là que vit Outanapistî, de qui Gilgamesh espère trouver un remède contre la mort. Je m’intéresse aussi depuis longtemps aux journaux de voyage. Ce genre s’est développé avec les grandes découvertes de Christophe Colomb et de tous les navigateurs de son temps. Vers la fin du XVIe siècle, on voit naître l’ethnologie, avec Jean de Léry et son Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil (1578). Claude Lévi-Strauss considérait ce livre comme « un chef-d’œuvre de la littérature ethnographique ». Ce type de littérature  pose la question de l’autre, de son « altérité », et remet donc en question les propres certitudes sur  ma propre identité. Qu’est-ce qu’un sauvage ? Pourquoi va-t-il nu ? Pourquoi a-t-il plusieurs femmes ? Pourquoi brûle-t-il ses morts ? A quoi servent ses dieux, ses totems, ses sacrifices ? La conscience de ma propre identité s’en trouve-t-elle mise en cause ? Devant une si grande diversité du monde, que devient la notion même d’homme et celle d’humanité ? La force du Livre des merveilles est dans le fait que deux siècles avant Colomb et trois siècles avant Léry, il rapporte déjà des observations ethnologiques, par exemple sur les fêtes des Tartares.

La Bible de Lucile 2 02 2015.

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2 février 2015. La Bible de Lucile.

Ce dernier-né de mes livres a demandé quatre ans d’une rédaction assidue, de quatre à six heures à peu près quotidiennes. Le défi à relever était de taille : offrir au lecteur intéressé par la lecture de la Bible, mais démuni devant un tel monument, un itinéraire accompagné. D’où cette idée d’un texte à deux voix, sous forme d’échange de courriels, entre Lucile, une jeune femme mariée, mère de deux enfants, et son oncle, spécialiste de la question, et disponible pour une telle entreprise depuis qu’il est à la retraite.

Le spécialiste me ressemble bien sûr, mais pas complètement. J’en ai fait par exemple un ancien étudiant de l’École Biblique de Jérusalem (EBAF) ce qui n’est pas mon cas.  J’ajoute que tout auteur de fiction se sent partie prenante de tous les personnages qu’il crée. Lucile m’exprime également dans ce que je suis. Certains lecteurs qui me connaissent bien me l’ont d’ailleurs fait très vite remarquer.  

Pourquoi le nom de Lucile ? J’ai pensé à Sénèque et à ses Lettres à Lucilius. Plus tard, je me suis aperçu qu’au XIXe siècle, un pasteur protestant, Adolphe Monod, avait publié un dialogue intitulé Lucile ou la lecture de la Bible. J’ai trouvé intéressant de maintenir mon titre, en clin d’œil à un prédécesseur. Peut-être pourra-t-on un jour comparer les deux textes et estimer ainsi la distance entre deux lectures pratiquées à un bon siècle de distance. 

Interview dans Le temps, de Genève 4 04 2015.

4 avril 2015. Interview et info.

Interview : Ignace Jeannerat publie une longue interview  de moi à propos de La Bible de Lucile, dans le Journal de Genève, Le temps, du samedi 4 avril 2015. 

Info : La page Romans et récits adultes de ce site est (enfin) ouverte. Non définitive, bien sûr.

Lecteurs de la Bible de Lucile 4 05 2015.

4 mai 2015. Lecteurs de Lucile.

Publiée en octobre 2014, la Bible de Lucile, bien couverte par la presse, me vaut aussi quelques courriers des lecteurs, parmi ceux qui ont opté pour la lecture en continu de l’ouvrage, soit 1248 pages. Les lecteurs les plus assidus sortent de l’aventure au bout de quatre à cinq mois. Une belle performance. D’autres préfèrent ranger sagement le livre dans leur bibliothèque pour le ressortir de temps en temps et se concentrer sur un chapitre, au gré de leur intérêt du moment. Un lecteur retraité (Françpois T.) m'écrit qu'il en lit régulièrement un passage au petit déjeuner, en compagnie de sa femme. Voici un commentaire d’une lectrice assidue, qui a opoté pour la lecture continue. La_Bible_selon__Michelle.pdf

Traduction roumaine et prix littéraire 10 03 2015.

10 mars 2015. Deux infos.

1) j’ai reçu la traduction roumaine de mon livre Marie la passante. Un grand merci à la traductrice, Madame Paula Hristescu, qui s’est prise de passion pour ce portrait de Marie Madeleine, et aux éditions Vicovia. Je n’ai pas encore parlé de ce récit, car ma page Romans et récits adultes est encore en chantier. Patience. Il y a tant à dire sur ce véritable mythe littéraire de la Madeleine, qui traverse pratiquement les 20 siècles de l’histoire occidentale. 2) La Bible de Lucile, éditée chez Bayard, vient de recevoir le Prix 2015 du Syndicat des Libraires de Littérature religieuse, prix qui me sera remis au Salon du Livre de Paris, le lundi 23 mars à 11 heures, au stand des libraires religieux. Ce très gros livre de 1248 pages a trouvé visiblement son public. 

Retour à Cefalù 20 06 2015.

20 juin 2015.  Retour à Cefalù.

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Je n’ai pas avancé beaucoup sur ce site depuis quelques semaines. La raison en est due en partie à un voyage en Sicile, le troisième de mon existence. J’ai découvert cette île en juin 1968. Avec trois amis étudiants, j'en avais fait le tour en voiture. Des souvenirs précis m'étaient restés, comme la montée, par grand beau temps, au sommet de l’Etna, tout près d’un cratère latéral qui crachait régulièrement et envoyait quelques bombes fort visibles sur les photos que j’en avais prises et que… je recherche sans succès depuis quelques semaines. Les temples d’Agrigente, de Sélinonte, de Ségeste avaient survécu dans ma mémoire de façon assez vague. J’avais en tête une sorte de paradigme du temple grec par excellence, le temple idéal, tout en équilibre, avec ses colonnes tapissées de ciel bleu. Était-ce Ségeste ? Agrigente ?

Les Grecs savaient placer leurs temples et leurs théâtres dans des sites magnifiques. Je pense au théâtre de Ségeste, perché sur sa colline d’où l’on aperçoit la mer, à celui de Taormine à qui la mer et l’Etna servaient de décor. À Taormine, malheureusement, les Romains, pragmatiques, ont construit des murs de brique pesants et du plus mauvais effet.

Depuis ce voyage initiatique de ma jeunesse, je suis retourné deux fois en Sicile, en septembre 2014 et en mai de cette année. J’ai choisi les lieux à visiter un peu en fonction de mes souvenirs qui associaient les objets et les ambiances. Comme pour Rome où je suis retourné il y a deux ou trois ans après y avoir vécu quatre ans, j’ai constaté qu’avec le temps, l’esprit réorganise fortement les lieux. En les revoyant, j’ai dû accepter l’évidence qu’ils n’étaient  pas conformes aux souvenirs que j’en avais. L’esprit travaille, marie les ambiances et les objets, oublie des détails et même des aspects importants. Dans mon souvenir, certaines églises de Rome comme Sant’Andrea della valle, ou encore le palais Farnèse, étaient logés à plusieurs centaines de mètres de leur vraie localisation ! Et la rue des boutiques obscures, chère à Modiano, n'était plus celle que je croyais ! De Cefalù, sur la côte nord de la Sicile, j’avais uniquement gardé le souvenir d’y avoir pris un bain de mer. J’ai eu plaisir à visiter une jolie ville, que sans doute je n’avais pas vue par manque de temps, avec ses maisons des pêcheurs et son duomo normand. Et j’ai bouclé la boucle en prenant un bain sur la même plage que 47 ans auparavant. Désir de conjurer la fuite du temps ? Retour aux origines ? Il y avait quelque chose du rituel dans ce bain.

La Sicile m’attire aussi par le fait que des chevaliers normands sont venus y fonder un royaume, au XIIe siècle. Partis pour la croisade, ils reçurent mission de reconquérir l’île occupée par les Arabes. Les Arabes ont laissé de très belles empreintes dans le nom des villes (Marsala est le port d’Allah ; Gibellina est le petit djebel), dans les systèmes d’irrigation et dans les jardins si subtilement attirants. Les Normands eurent l’intelligence d’employer des ouvriers et des artistes arabes,  ce qui produit un art arabo-normand d’une grande beauté. Le duomo et le cloître de Monreale, le duomo de Palerme et celui de Cefalù en sont de vibrants témoignages. La photo ci-dessus représente les maisons de bord de plage à Cefalù.

Ajouts récents 27 06 2015.

27 juin 2015.  Ajouts récents.

Avec Retour à Cefalù, ci-dessous,  j'ai initié mes propos sur l'Italie, mais je tarde à en réaliser la page annoncée dans "Espaces horizons". J'entretiens un tel rapport affectif avec l'Italie, que je ne sais sans doute pas très bien comment en parler. Patience ! 

On trouvera en "Espace manuscrits" un nouveau texte téléchargeable : "Karim, prince du désert". 

Déluge sur Santa Margherita 4 10 2015.

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4 octobre 2015. Déluge.

 Un mur de pluie venu de la mer emprisonne Santa Margherita Ligure. Des hauteurs de San Lorenzo, je n’aperçois plus le port ni les bateaux. Il a plu toute la nuit, il pleut encore, violemment. On se dit que si jamais ce mur progresse encore un peu vers la terre, ce sera un désastre absolu. Le mur s’efface, laisse place à un arc-en-ciel gigantesque. J’en ai rarement vu d'aussi beaux. Je me sens enfant de Noé. Un peu plus tard, j’apprendrai que le déluge s’est abattu sur La Napoule. 

Migrations 13 Octobre 2015.

L’exode des populations du Proche-Orient, prises par les conflits qui ravagent leur pays, réveille la conscience des Européens. J’assiste, impuissant comme beaucoup, à cette crise que personne ne domine. On devine bien les enclenchements, on aperçoit des responsabilités, au point de se demander comment les Occidentaux ont pu semer le chaos aussi inconsidérément, mesurer si mal les conséquences en affirmant que la démocratie suit obligatoirement la fin d’un régime totalitaire. On aimerait que certains intellectuels se taisent et évitent de se prendre pour Malraux sans toutefois s’engager dans les conflits. On aimerait que d’autres parlent quand les silences se font coupables.

N’étant pas homme politique ni écrivain engagé dans les média, ni « penseur people », et ne souhaitant pas le devenir, il me reste mon bulletin de vote, mon chéquier et ce petit blog pour dire mon émotion. Avec mauvaise conscience, j’assiste à un drame humain d’une ampleur considérable, qui rameute bien sûr quelques événements de mon existence. Et je me dis que la vie n’est finalement qu’une série de pauses au sein de grandes migrations.

Il existe une histoire des migrations. Le travail de mémoire se fait d’abord par les journalistes qui alertent sur les conditions des migrants, ensuite par les historiens qui permettent le travail de mémoire et l’enregistrement des crises de la grande histoire. Il y a aussi la petite histoire, souvent poignante, faite de témoignages de migrants.

J’ai vécu l’exode des populations durant la deuxième guerre mondiale, mais j’étais trop jeune pour en garder le souvenir. Si cet exode m’a marqué, c’est par le récit qu’en faisaient mes parents, lors des réunions de famille, et je mesure aujourd’hui combien cette page de leur histoire les avait marqués. Je les ai entendu dire : « la guerre nous a volé nos meilleurs années de vie ».  En 1939,  ils avaient 30 et 31 ans. Écoutant aujourd’hui des témoignages de réfugiés, la marche, la faim, les vexations, les actes de solidarité, je retrouve tous les ingrédients de notre exode à nous. Quelque chose de douloureux, de très fort, de révoltant, s’écrit sous mes yeux.

Obligation fut faite de quitter Cherbourg et ses environs. Les familles furent poussées vers le sud, certaines jusque dans les pays de Loire. Nous nous sommes arrêtés au Teilleul, dans le sud du département de la Manche, à quelque 160 kms de notre point de départ. Accueillie par des paysans au cœur sur la main, ma famille à trouvé le paradis après des années de misère, jusqu’au débarquement  et à la contre-attaque allemande de Mortain qui nous valut d’être pris dans les bombardements. La maison fut touchée par un obus incendiaire, le premier étage où nous dormions a pris feu, une de mes sœurs fut sauvée de justesse grâce au courage de mon grand-père qui est retourné la chercher, au risque d’y rester : dans l’affolement général, nous l’avions oubliée.

Combien de migrations dans l’Antiquité, à cause de la faim, comme le raconte la Bible,  ou quand les empereurs déplaçaient les populations, envoyaient les prisonniers de guerre travailler sur leurs chantiers. Combien en période moderne, avec ces déplacements forcés d’esclaves pour la nouvelle terre, l’Amérique.

Je n’ai malheureusement jamais vu Gorée, ce lieu de mémoire de l’esclavagisme.  J’ai eu, en revanche l’occasion de voir les lieux où débarquaient les immigrants en Amérique du Nord. À New-York, Ellis Island vit des milliers d’immigrants passer. Et nombreux sont les Américains qui comptent un ancêtre passé par cette île.  En la voyant pour la première fois, j’ai  pu toucher le terminus d’une migration dont je connaissais en partie le point de départ. J’ai passé mon enfance à Cherbourg, à quelques centaines de mètres de l’hôtel Atlantique, qui fut construit sur le front de mer, près de la gare maritime, pour accueillir les migrants qui fuyaient les régimes totalitaires, les conflits et la misère. Il y avait un camp de migrants, non loin de chez moi, et j’ai entendu souvent mes grands-parents et mes parents en parler. Par milliers ils partaient vers la nouvelle terre, avec l’espoir d’y échapper à la misère.

 Il y eut aussi les Irlandais. Un célèbre monument leur est consacré dans Manhattan, une sorte de grand plateau de béton, portant la terre, l’herbe et les ruines de maisons irlandaises. À Boston, les édiles, toujours positifs, ont érigé un monument où l’on voit une famille de migrants en haillons et,  tout à côté, cette même famille habillée en bourgeois de Boston. C’est là, à Boston, qu’ont débarqué des familles italiennes et surtout irlandaises qui ont compté ensuite dans l’histoire politique de l’Amérique.

Je suis allé à Grosse-île, sur le Saint-Laurent, en aval de Québec ; ce fut, entre autres, le lieu de quarantaine obligatoire pour les  immigrés en provenance des ports d’Irlande dans les années 1846 et suivantes. La misère, suite aux impôts collectés les grandes familles anglo-irlandaises et à la crise de la pomme de terre, ravagée par le mildiou, avait poussé des familles entières à fuir la terre des ancêtres. Le Parc national canadien entretient ces lieux de souvenir. On les visite en un petit train, on voit l’hôpital, les maisons, on s’approche du monument des irlandais, à la mémoire des cinq mille personnes qui périrent du typhus en un été (et tout autant dans la région de Québec). Un livre a été édité, contenant tous les noms des bateaux qui débarquaient leurs cargaisons de gens épuisés par la traversée, malades. On mourait beaucoup du typhus. Sur le livre que j’ai sous les yeux, sont enregistrés le nombre de morts, de naissances, les noms du  bateau et du capitaine. La situation sanitaire des immigrés était telle que les évêques de la Nouvelle-France écrivirent à ceux d’Irlande de tout faire pour empêcher le départ des bateaux.

C’est après cette visite à Grosse-Ile et la lecture de ce livre, que j’ai imaginé le personnage de John dans mon roman Cœur de Louve. Mais plus que mon roman, je recommande le superbe livre de Giono, Pour saluer Melville, où il campe une Lady, Adelina, venant secrètement en aide aux Irlandais révoltés, durant la crise de la pomme de terre.

À raccorder ainsi aux souvenirs plus ou moins personnels, je ne voudrais surtout pas paraître minimiser ce qui se passe sous nos yeux. Chaque tragédie reste une tragédie, quand bien même on l’inscrit dans une longue séquence.  Entrer dans la grande histoire n’a rien d’une bénédiction. Naguère, les « boat people » nous ont émus jusqu'aux larmes. Et maintenant, la traversée de la Méditerranée, le « mare nostrum » des Romains qui en étaient si fiers, devient traversée de la mort. Je me suis arrêté il y a peu, dans un restaurant de la Tarentaise. Le cuisinier est venu saluer les clients. Apprenant que je me rendais en Italie, il m’a raconté le parcours de sa famille. Originaire des Pouilles, le père est remonté avec toute la famille jusqu’à Milan. Là il a laissé femmes et enfants pour gagner la France, chercher un travail, une maison. Après quelques mois, il est revenu les chercher. Il m’a répété plusieurs fois : « Ce n’est pas une histoire du passé. C’était il n’y a pas si longtemps ».

 S’il nous faut, bien pauvrement, honorer par la littérature les migrants, je me permets de recommander ici deux livres. J’ai lu, au moment de sa parution en 2008, un surprenant Journal, publié en 1734 en Angleterre, traduit peu après en français, que Pierre Gibert a retrouvé dans la bibliothèque de Tocqueville : « Journal d'un négrier au XVIIIe siècle. Nouvelle relation de quelques endroits de Guinée et du commerce d'esclaves qu'on y fait (1704-1734) ». On y voit les raisons apportées par le négrier pour justifier l’esclavage. Tout juste s’il ne rend pas service aux pauvres noirs déracinés.

Lors de mes séjours au Québec, j’ai lu beaucoup sur l’histoire du pays et des Provinces maritimes (Terre Neuve, Nouveau Brunswick, Nouvelle Écosse…). Le roman d’Antonine Maillet, Pélagie la charrette, est pour moi une pure merveille. Écrit dans la langue acadienne, il raconte le retour des Acadiens déportés dans le Sud des États-Unis et organisant leur retour vers leur terre natale, l’Acadie, remontant les États-Unis en charrette à bœufs. Ce chef d’œuvre obtint le prix Goncourt, honorant un beau plant de langue française produit en terre d’Acadie. Une saveur rare.

 

Racines culturelles, laïcité 4 janvier 2016.

 Ce site n'a pas encore un an. J'ai pris plaisir à le créer, avec l'aide d'un neveu efficace en informatique et sans lequel je ne me serais pas lancé dans l'aventure. Qu'il trouve ici l'expression de mes remerciements. Les pages se constituent une à une, lentement, mais sûrement. Depuis mon dernier Quoi de neuf ?, on trouvera en Espace manuscrits une traduction d'un fabliau de Rutebeuf ; dans Espaces horizons, la page sur l'Italie est achevée, et la photo-bandeau de la page Groenland, que je viens tout juste de mettre en chantier, est en place. 

Concernant l’écriture, 2015 a été pour moi une année où l’on taille ses crayons et remplit l’encrier en vue de nouveaux manuscrits. Il m’aura fallu sept ans de travail assidu pour publier mes deux gros manuscrits. Le premier, Saint Paul. L’oeuvre de métamorphose (432 pages), paru en 2011 et destiné aux chercheurs, est le résultat de trois années d’écriture. Le second, La Bible de Lucile (1248 pages), paru en octobre 2014 et destiné à un large public, fut un travail de quatre ans. Pendant ces années, il y eut d’autres publications, plus modestes, car je ne pouvais pas me lancer dans des projets de fiction d’importance. Je sors de 2015 avec deux projets bien avancés. Mais il y a un temps pour tout. Je crois que parler de ses livres quand on les écrit est prématuré. 

Ouverte et refermée sur des attentats sanglants, l’année 2015 restera dans l’histoire du pays comme une période de fort tourment. Étrange monde capable de générer dans le même temps une révolution technologique dont chaque jour nous invite à mesurer la créativité et qui va marquer durablement les générations à venir, et un délitement radical de vastes régions de la planète. Le Moyen-Orient est en feu. Les intérêts y sont tellement multiples et contradictoires qu’il ne se trouve actuellement aucune instance pour éteindre l’incendie. Libre circulation des biens, des personnes dans le monde, libéralisme économique et financier échevelé. Libre circulation de la violence aussi, nous en avons fait la terrible expérience. On aimerait tant que 2016 soit une année de paix !

 Pour ces raisons, l’année 2015 aura été l’amorce d’une réflexion sur des idées et des concepts que nous croyions somnolents. La laïcité, issue des confrontations entre l’Église catholique et l’État français tout pendant le XIXe siècle, ronronnait, apaisée  – ses derniers émois remontaient au projet de suppression des écoles libres sous le Président Mitterrand qui fit descendre massivement les gens dans la rue.  Quoi qu’il en soit, la laïcité suscite de nouveau l’intérêt et demande à être réexaminée à nouveaux frais à la lumière des changements sociologiques survenus dans notre pays, liés à l’immigration, elle même liée à l’histoire post-coloniale et à la recherche de main d’œuvre pour l’industrie.

Reprendre une réflexion de fond n’est pas évident, car nous vivons souvent d’à peu-près dans la connaissance de notre histoire, et l’on ne peut pas dire que la pensée philosophique qui permettrait d’établir des concepts solides soit très honorée chez les politiques. Comme toute autre nation, la France a ses singularités. Elle a connu les guerres de religion, d’une barbarie sans nom. Louis XIV y imposa comme principe absolu « la raison d’état » à laquelle, bien sûr, il soumettait la religion. La France s’est nourrie des Lumières, avec Rousseau, Voltaire, les Encyclopédistes, qui dénonçaient l’obscurantisme et l’intolérance politico-religieuse. Elle a connu la Révolution française,  avec ses idéaux et sa violence, qui fut un événement majeur pour les pays d’Europe. Sa richesse vient d’avoir été un lieu de confrontation entre ses racines chrétiennes séculaires et la pratique de la raison critique. On ne souligne pas assez le fait, par exemple, que la Bible est de loin le livre religieux le plus soumis à la critique de la raison. Et cela ne date pas d’hier. À la Renaissance, c’est-à-dire il y a déjà cinq cents ans, Érasme et tous ses amis érudits, à Bâle en particulier, se livrèrent à un travail monumental de critique des textes sacrés, d’éditions annotées. Avec beaucoup d’humilité, il disait faire simple œuvre de grammairien, mais son travail ouvrait en fait sur une approche nouvelle,  libérée particulièrement de la théologie, comme on le voit dans son Éloge de la folie (1511).  Un siècle plus tard, Richard Simon introduisait le mot « critique » dans la plupart des ouvrages qu’il consacra à la Bible, le plus connu étant l’ Histoire Critique du Vieux Testament (1678). Le livre fut pourchassé par Bossuet et finalement condamné. Pourtant, en matière de Critique, l’exégèse chrétienne actuelle doit tout à Simon et rien à l’évêque de Meaux. À la même  époque, le juif Spinoza publiait son fameux Tractatus theologico-politicus (1670) et se faisait exclure de la Synagogue. Cet acquis de cinq siècles de critique de la religion et de ses textes fondateurs, des fanatismes religieux qui firent tant de victimes, est inscrit dans la trame de notre histoire. Ce trésor inestimable a permis la naissance de l’esprit français, de sa culture volontiers impertinente, de son sens du respect des croyances et des non-croyances, de sa liberté.

 La France est le pays des cathédrales, des Sommes théologiques et des grands penseurs chrétiens ; elle est aussi celui des penseurs et des artistes boulimiques de la Renaissance, des Lumières et de la Révolution française, de l’émergence de classes sociales frondeuses, affranchies des volontés hégémoniques des grands systèmes de pensée, y compris les religions. Dans cet héritage, chacun a le loisir de puiser pour construire comme il l’entend son existence.

 

 

Petit bout de journal 18 05 2016.

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Ce blog pourrait être l’occasion d’un journal régulier, mais je me découvre incapable d’un tel exercice. J’en ai commencé un dans ma jeunesse, assez longtemps pour m’apercevoir que je n’étais pas fait pour ce genre qui demande une introspection que je n’apprécie guère. Je ne crois pas non plus être fait pour écrire ma biographie. Je suis tombé récemment sur un passage d’Umberto Eco parlant des écrivains qui se croient obligés d’écrire ce qu’ils font dans la vie ordinaire, comme si le fait qu’ils soient écrivains magnifiait les banalités qu’ils ont à dire sur leur quotidien.  Cela dit, on peut lire des merveilles de journaux intimes et de biographies. En écrivant ces lignes, je songe, sans en savoir la juste raison, au livre d’Ismaïl Kadaré, Chronique de la ville de pierre, consacré à son enfance dans une bien étrange ville d’Albanie. Ce livre m’a séduit en son temps.

À défaut de journal, essayons de dire en quelques lignes ce qui fait mon quotidien ces temps-ci. Il y a les aléas de la vie, qui ne se montre pas spécialement tendre envers mes proches et mes amis depuis deux ans. Décès, problèmes de santé en tous genres. Du côté de la recherche, trois échéances – une contribution à un livre d’hommages pour un collègue et deux conférences à venir – me tournent vers des questions d’esthétique littéraire, et je relis tranquillement quelques théoriciens, tels Bakhtine, Todorov, Barthes, Starobinski, Eco, Geninasca...

Mes lectures de loisir sont réservées depuis quelques bonnes semaines à la trilogie de Cormac McCarthy, De si jolis chevaux, Le grand passage,  Des villes dans la plaine, que m’avait recommandée Jean-Philippe Arrou-Vignod. Je découvre ce monde de la frontière, entre Sud des États-Unis et Mexique, cette description des cultures paysannes mexicaines et des cowboys, cette attention minutieuse aux chevaux et aux modes de vie dans les villages pauvres, voire sordides, du Mexique. Longues évocations des atrocités des révolutions au Mexique, vies brisées, vies sans miséricorde, racontées par des personnages ordinaires, en espagnol ou en anglais, dans des dialogues rudes et frustres, manifestant une philosophie d’où il ressort que le monde est le monde, bien mal fait au demeurant, et qu’on n’y peut pas changer grand-chose. Certains comparent McCarthy à Faulkner. Il est vrai que l’on est plus ou moins dans des régions qui se ressemblent, que le monde est aussi laid, sinon désespérant, dans les deux œuvres, mais pour moi, la comparaison s’arrête là. Je ne crois pas qu’elle soit très fondée.

En même temps que cette trilogie, je découvre un livre de Christophe Bardyn, Montaigne, la splendeur de la liberté, chez Flammarion. Un portrait remarquable qui bouleverse bien des idées reçues sur le sage Montaigne et son doux ami La Boétie. Mais je ne suis pas encore assez avancé dans l’ouvrage pour en dire plus.

Rien de neuf pour l’instant dans ce site, et je m’en excuse auprès de mes visiteurs réguliers.  Mais qu’ils se rassurent : je pense ouvrir début juin une rubrique auto-édition, à l’espace « Manuscrits ». En faisant un peu de rangement dans mon ordinateur,  j’ai découvert quelques textes, dont deux ou trois romans, en état d’hibernation. L’idée m’est venue de leur laisser voir enfin un peu de lumière. Le premier texte que je pense ainsi auto-éditer, gratuitement bien sûr, est un roman assez long, en deux parties. Rendez-vous donc début juin. D’ici là je pense compléter ma page Italie avec des photos de l’Etna, prises durant l’été 1968. Je les ai enfin retrouvées, un peu par hasard. Il s’agit de diapos dont la numérisation par mon photographe s’est révélée de bonne qualité.

Le tableau ci-dessus a été peint par mon frère Michel, décédé récemment. Il a passé sa vie à peindre des aquarelles et des huiles, sur les côtes normandes et dans le Var. Ici, le Becquet de Tourlaville. Un hommage fraternel en passant, pour exorciser la peine.

Chronique du peuple ailé 05 06 2016.

 Comme annoncé, voici en espace "Manuscrits" la première partie d’un roman : Chronique du peuple ailé des Phaâs. Ce manuscrit dort dans mes tiroirs depuis 2006 date à laquelle je l’avais à peu près terminé. Mon idée était d’offrir un espace romanesque à ces histoires fondamentales dont sont faits les grands mythes, tels Œdipe, Caïn et Abel, Orphée… La transposition d’un mythe en roman n’est sans doute pas des plus faciles pour exploiter certains thèmes, la cruauté par exemple. Que Prométhée soit enchaîné par Zeus sur une montagne et qu'un aigle vienne lui dévorer le foie jour après jour se raconte aisément dans un mythe. Mais la transposition dans un genre romanesque risque d'exacerber l'effet de réel de façon presque insoutenable. J’en ai d’autant plus d’estime pour les écrivains qui réussissent parfaitement l’entreprise, par exemple Henry Bauchau, dans son Œdipe sur la route. Mon roman, me semble-t-il, se situe à des années lumières des sujets qui attirent l’attention de la littérature adulte française, et est aussi sans doute trop « adulte » pour intéresser la littérature de jeunesse. Il m’a paru pourtant intéressant d'offrir en auto-édition à mes lecteurs ce roman en suspens. Ils ne manqueront pas, j’espère, de me communiquer leurs réactions. Rendez-vous fin juin pour l'édition de la seconde partie.

Le journal de Rose Wetson 30 06 2016.

Hier se déroulait, dans le grand salon des éditions Gallimard, la remise du prix du concours des P’tites Plumes 2016 qui récompense la meilleure nouvelle écrite par une classe de collège. J’ai eu le plaisir de remettre le prix à la classe de 4e B du Collège Georges-Pompidou, de Champtoceaux (Maine-et-Loire) pour le très beau récit Le journal de Rose Wetson. Il s’agit d’une nouvelle fort bien écrite, tournant autour d’un déménagement et d’un journal découvert dans une malle par les nouveaux locataires. Journal aux vertus quelque peu étonnantes… La nouvelle a été éditée  sous ce titre par Belin et Gallimard, dans la collection Classico-collège.

Félicitations à toute la classe et à l’enseignante Madame Mottin.

En ce début d'été 14 07 2016.

En ce début d’été, j’ai vécu au rythme de l’Euro de football, qui a monopolisé les écrans. Émissions spéciales d’avant-match, d’après-match, matchs. Difficile d’y échapper, surtout sur les chaînes d’info continuelle, qui tournent en boucle. J’ai assisté au rétrécissement de la langue parlée habituellement dans le gosier des supporters dont la phrase la mieux articulée  était « Allez les bleus » avant de céder la place aux borborygmes en tous genres, signifiants interminables débouchant sur un signifié finalement réductible à peu de choses : « Que la France gagne ». En italien, le mot « tifoso », qui désigne le supporter, vient du nom de la maladie appelée typhus. Dans ses gestes excessifs, le  tifoso finalement manifeste les symptômes de maladie grave ! Les sociologues sauront mieux analyser que moi le fonctionnement de ces manifestations populaires dans une France affrontée à tant de problèmes. Mais je serais très injuste si je ne saluais pas la beauté des chœurs des Gallois et le sens de la vraie fête des supporters irlandais.

L’information a donc consacré moins de place à des nouvelles pour le moins inquiétantes, telle cette recrudescence des violences aux relents de racisme aux États-Unis. J’ai vu, comme beaucoup, l’exécution barbare,  par tir à bout portant, d’un homme de couleur, pourtant maîtrisé à terre par deux représentants des forces de l’ordre, et je me suis demandé un court instant si je ne rêvais pas. Mais non, les États-Unis n’ont pas réglé ce problème de racisme rampant, latent, ni celui des armes en quasi libre circulation. Le président sortant s’y est cassé les dents, et la proximité de nouvelles élections lui lie les mains. Il ne peut faire quoi que ce soit qui nuirait à la candidate de son camp.

Avec un peu de retard, je mets en ligne, à la page « Espace manuscrits » la seconde partie du roman Chronique du Peuple ailé des Phaâs. J’ai dû accélérer un peu la préparation du manuscrit pour ne pas trop m’éloigner de l’échéance annoncée. Comme déjà dit, je recevrai avec plaisir les remarques des lecteurs.

 
Religions de France ou religions en France ? 15 10 2016.

 

tornade.gif 

L’été a passé si vite. Pour ce site, beaucoup de projets, des pages inachevées, et je n’ai eu le temps de rien. Je voudrais écrire ma page Groenland, mais je dois trouver le temps de découper le film que j’ai réalisé de ce voyage en petits clips susceptibles de ne pas imposer de  trop lourds téléchargements. J’ai marché, réfléchi, rencontré famille et amis d’abord en Normandie, comme tous les ans, puis en Ligurie où j’ai pris la bonne habitude de prolonger l’été, entre promenades sur la côte del Levante et heures d’écriture. J’en suis parti cette fois quelques jours avant que le phénomène tornade de type « cévenol » ne nous atteigne. Mes amis italiens m’ont envoyé cette photo prise à Gênes hier. Impressionnant !

Côté écritures, je finis un roman jeunesse et travaille sur une adaptation de textes bibliques pour Folio Junior Textes classiques. Ma traduction-adaptation de Yvain le chevalier au Lion parue dans Folio Junior Textes classiques est maintenant disponible également dans la collection Classico, coéditée par les éditions Gallimard et Belin, à destination des collèges. Dans la spécialité universitaire, à noter trois futures publications : 1) Une contribution au livre d’hommages dédié au Professeur René Heyer. J’y propose un plaidoyer pour l’esthétique littéraire en exégèse. 2) Une conférence au colloque Rrenab de l’université de Metz, les 26-29 mai 2016, à paraître. Le titre en est : « De la plasticité des figures à la lecture énonciative ». 3) Une communication au colloque de l’ACFEB d’Angers des 29 août-1er septembre 2016 : « La sublime beauté du Christ : une approche littéraire de l’esthétique paulinienne ».  Ces trois contributions visent à réhabiliter l’esthétique littéraire par rapport aux approches rhétoriques fort développées en exégèse biblique ces dernières décennies, aussi bien en Amérique du Nord que dans la vieille Europe.

Mes lectures enfin. En tant que membre du jury, j’ai passé l’été avec les livres retenus pour le prix Erckmann Chatrian qui sera remis  le 7 novembre à Metz.

Laissant défiler devant moi les informations sur la France et sur le monde, en cherchant à limiter les dépenses d’énergie et de temps dans ce carrousel infini, je n’ai pas pu – comment le pourrait-on ! – rester insensible à ce monde où la violence provoque une réaction en chaîne que peu de gens, pour ne pas dire personne, maîtrisent. J’ai toujours en tête ce fameux chapitre 5 du récit de la Genèse, où, suite au meurtre d’Abel  par Caïn, la violence explose et produit le chant de vengeance de Lamek disant à ses femmes : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix sept fois ! »  Des meurtriers vengés si on les touche ! Ce chant tribal a paru tellement odieux à certains commentateurs que des traductions targoumiques ont ajouté tout simplement une négation pour rendre moral ce texte dérangeant, ce qui donne : «  je n’ai pas tué un homme pour une blessure, je n’ai pas tué un enfant pour une meurtrissure… » Malheureusement, c’est bien le contraire qu’il faut entendre : contre une blessure ou un hématome qu’on m’inflige, je réponds par l’homicide. Il n’y a pas témoignage plus criant de ce que la violence est capable d’engendrer quand personne, pas même  chez les politiques, ne la maîtrise plus.

J’ai lu à ce propos que les évêques de France en appellent à une refondation du politique. L’appel est noble, mais on peut se demander, après réflexion, qui fera le travail. Si je prends pour mesure les années de ma simple vie, j’ai vécu ma jeunesse au temps d’une tradition catholique qui avait développé une véritable pensée politique. Celle-ci se manifestait dans les fameux mouvements d’Action Catholique, MRJC, ACO, ACI, ACE, JOC, etc. qui forma beaucoup de chrétiens au sens des responsabilité dans la cité et en conduisit  un bon nombre vers les responsabilités syndicales et politiques. Dans les années 1940 et avant la seconde guerre, des religieux, dominicains et jésuites en particulier, mais aussi la mission de Paris, la mission de France et les prêtres ouvriers, sont autant de témoignages du travail de conscientisation que clercs et laïcs avaient réalisé sur la chose politique, au sens noble du terme. À noter que cette période ne fut pas sans problèmes : les frilosités vaticanes envers l’expérience des prêtres au travail, les condamnations sans appel de théologiens et autres penseurs par Rome, conduisirent à de douloureuses déchirures dans les consciences des chrétiens engagés.

En repensant à ces années passées, je m’étonne du gouffre qui a pu se creuser sur la question politique chez les chrétiens catholiques, et ceci en dépit d’efforts méritoires pour l’honorer ; je pense  par exemple à la revue Esprit, issue du personnalisme d’Emmanuel Mounier. En une ou deux générations, les intérêts se sont portés ailleurs. Crise de conscience d’une identité religieuse, désir de retour aux « solides valeurs », peur de l’autre, peur de l’étranger, peur de perdre les repères, crise économique, ont conduit à des replis identitaires, mouvements charismatiques et spirituels de toutes sortes célébrant, dans la joie parfois proche de l’infantilisme et, en tout cas, du degré zéro d’une pensée structurée, le fait que « Jésus nous sauve » ; création de communautés chaudes et fraternelles plus préoccupées du bien-être inter-individuel dans le cocon que d’affronter les bourrasques du monde. Refonder le politique, donc. Vaste programme ! Ce « refonder » me laisse un goût de déjà entendu, à vrai dire. On a voulu refonder le parti communiste, on a voulu refonder la philosophie par l’anthropologie ; j’ai connu des penseurs publiant sur la refondation du christianisme (rien que cela !). Alors, refonder le politique, je veux bien, mais je demande quand même à voir. 

Je note que quelques élus ou responsables se sont prononcés pour une refondation de la chose politique. Par exemple l’idée de désigner par le sort des citoyens qui exerceraient la responsabilité de sénateurs dépasse nettement le thème récurrent, en période électorale, du changement de politique. Mais ce qui m’a surtout frappé au cours de cet été, c’est le flottement ou encore le manque d’approfondissement d’idées qui ne dépassent pas, de ce fait, le simple statut de slogans. Juste deux exemples :

«  Islam en France ou islam de France ? Religions de France ou religions en France » ? Prenons l’exemple du catholicisme français. Il existe un clergé français, une conférence des évêques de France, des églises et des paroisses françaises, des associations caritatives catholiques françaises, mais faut-il dire pour autant qu’il existe une religion catholique de France ? À la différence de ce qui se fait dans  l’église anglicane qui a pour chef la reine d’Angleterre, le président français ne nomme pas les évêques. C’est le pape qui les désigne, car ils appartiennent  non à l’église de France, mais à « l’Église de Rome qui est en France ». Toutes les tentatives pour créer une église de France indépendante de Rome se sont avérées assez désastreuses. Ainsi avec le Gallicanisme au temps de Louis XIV et de Bossuet, ainsi encore avec la Constitution civile du clergé, à la révolution française, qui opposa les prêtres assermentés et les prêtres non assermentés et faisait du clergé des officiers civils. Aux origines du christianisme, avant que l’empire romain ne se transforme en empire chrétien, il y avait de très belles formules pour désigner les églises chrétiennes. Celle-ci, par exemple, de saint Paul, adressant une lettre « à l’église de Dieu qui est à Corinthe ». On ne dit pas plus clairement à la fois l’enracinement local d’une église et le fait qu’elle dépasse ledit lieu, par la communion de toutes les églises dont chacune peut être appelée église de Dieu.

« Valeurs universelles et particularisme ». On entend  souvent opposer le communautarisme et les valeurs républicaines universelles, telles la liberté, la fraternité et l’égalité. Le débat ne va généralement pas beaucoup plus loin. Or si l’on met de côté et à bon droit le communautarisme, connoté négativement, il faut bien poser le problème de la réalisation concrète de l’idéal universel en fonction des particularités. Prenons le judaïsme. Il entend bien porter les valeurs universelles et républicaines, mais comment et pourquoi devrait-on lui interdire de le faire en lien avec la conscience qu’il a de sa « particularité » ? Le judaïsme français connaît le calendrier républicain, mais aussi le calendrier juif, a son jour festif du shabbat quand les chrétiens ont celui du dimanche, veille à ne pas acheter n’importe quelle nourriture, etc.

En fait, il faut tenir compte de trois niveaux et constater que leur articulation est diverse en fonction des communautés. Le premier niveau est la « singularité », qui dénote le fait qu’il existe des individus, tous différents, tous « singuliers ». Le second est la « particularité ». Elle dénote le fait que l’individu peut appartenir à des groupes ethniques, sociaux, religieux ou autres, qui comportent des « mises à part », par le régime alimentaire,  les pratiques socio-religieuses diverses et variées. Ainsi des Sikhs, par exemple, à qui l’on ne fera jamais enlever leur turban, ou de certains bouddhistes portant un voile sur le nez et la bouche pour éviter d’avaler des moucherons et donc de mettre fin à une vie, aussi minuscule soit-elle. Le troisième niveau est « l’universel » auquel, si l’on excepte les « communautarismes » et certains régimes politiques actuellement en vigueur, la plupart des gens aspirent. Il faut condamner sans restriction les forces qui visent à faire de l’universel un concept périmé de l’idéologie du capitalisme occidental. Mais bien des groupes vivent le rapport à l’universel de façon apaisée, en cultivant les valeurs de leurs particularités, dans une république laïque. Faire des valeurs universelles une sorte d’entité désincarnée par rapport aux situations sociales particulières ne conduit à rien. Il faudrait relire à ce sujet les propos du philosophe juif Emmanuel Lévinas au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour mieux comprendre ce que pourrait avoir de dangereux une notion d’universalisme non articulée sur le particulier. Tous les impérialismes ont cherché à effacer le « particulier ». Lévinas en savait quelque chose. Bien des chapitres de son livre Difficile liberté. Essais sur le judaïsme (Albin Michel) mériteraient d’être relus, plus de cinquante ans après sa publication, à propos du particulier et de l’universel.

 

Maquillage et monde formaté 30 11 2016.

Du nouveau sur le site : j’ai enfin commencé ma page « Groenland » en espace Horizons, ainsi que la page « Distinctions littéraires, études » en espace Littérature. À suivre, naturellement…

Regardant, ces dernières semaines, la fin de la campagne présidentielle des États-Unis, je me suis laissé progressivement attirer par la parfaite utilisation des techniques médiatiques. On sait les Nord-Américains grands professionnels s’agissant des shows en tous genres, à Las Vegas, à Broadway. Rien n’est laissé au hasard, tout est minutieusement programmé, répété, réalisé. Donald ou Hillary entrent en scène : gestes stéréotypés, grands enthousiasmes comme savent les générer les Américains qui ne connaissent pas le US bashing. Depuis fort longtemps, les candidats ont appris à pointer du doigt l’assistance comme s’ils reconnaissaient des amis, et ceci à Chicago comme à Austin, à Boston comme à Seattle. On n’est pas dupe, on sait que la technique est apprise, elle se répète immanquablement, comme quoi le stéréotype est jugé plus intéressant et plus efficace que la vérité vraie, à savoir que Hillary et Donald n’ont pas des relations proches dans toutes les villes qu’ils parcourent et que les « amis » qu’ils pointent du doigt sont totalement virtuels. Mais qui s’en soucie encore ?

Sans doute en proie à une petite déprime due à l’hiver, je me suis demandé où on pouvait échapper à ce monde formaté qui dicte le geste, la juste parole, invente le rire en boite, la bonne façon de présenter la chose et d’atteindre la cible. Pas dans la publicité ni dans le marketing en tout cas. Je serais bien en peine d’ajouter quelques réflexions pertinentes aux études qui en scrutent le mécanisme et nous alertent sur le phénomène depuis plusieurs décennies. On pense, bien sûr, à La société du spectacle, de Guy Debord, qui date de 1967. Je puis seulement apporter mes états d’âme et mes sentiments, c’est-à-dire peu de choses, résumables au fait que j’ai eu l’impression, ces dernières semaines, d’avoir mangé mon capital « pub ».  Je me suis senti agacé plus que de raison par les slogans qui concluent les spots publicitaires, incontournables et souvent interchangeables. On mettrait ainsi le nom de n’importe  quelle eau de toilette sous « la force de l’homme »,  de n’importe quelle banque sous « le bon sens au coin de chez vous » ou « construisons dans un monde qui bouge ». Combien aurai-je perdu de minutes de ma précieuse vie à être agressé par des pubs pour des lieux ou des produits qui ne croiseront jamais ma route tout simplement parce que je m’en passe très bien !  

Alors que nous développons une attention sourcilleuse sur la laïcité de l’espace public et débattons sur les crèches de Noël dans les écoles ou les mairies, nous ne légiférons que mollement contre l’envahissement du même espace public par la marchandisation. On nous objectera que des firmes privées ne sont pas une religion. Est-ce une raison pour s’approprier l’espace public ? A-t-on mesuré les capacités de nuisance sur la liberté de respiration du citoyen dans un espace public saturé ? Et s’est-on posé la question de savoir si le retour des radicalismes religieux n’avait pas quelque rapport avec ce que nous offre une idéologie marchande qui empiète sur tous les domaines ?

J’ai ainsi regardé dernièrement deux matchs de rugby où la France était engagée. Charmant spectacle qui me fait loucher à la fois sur le jeu et sur l’affiche publicitaire que j’ai bien du mal à évacuer de mon regard quand elle est peinte en plein milieu de la pelouse, sur quelque trente ou quarante mètres carrés, célébrant une marque de voiture allemande dont je me soucie d’autant moins que je n’aurai pas les moyens de me l’acheter !

En italien, maquillage se dit trucco. Le mot me semble encore mieux signaler l’ambivalence du maquillage qui embellit et trompe à la fois. Je crois avoir noté dans les reportages télévisés sur la nature combien, grâce à l’aide de filtres, les paysages de lavande sont devenus plus bleus, les côtes bretonnes plus jaunes et plus vertes, l’atlas plus ocre que naguère, au point qu’on se demande si le paysage en question ne nous est pas offert à consommer avec du ketchup. Le problème est que lorsqu’on y goûte, tout se banalise. La subtilité des tons et des goûts disparaît.

 La primaire de la droite et du centre, en France, m’a paru moins formatée que les élections américaines. Le spectacle-maquillage, je l’ai quand même vu en quelques occasions, par exemple quand une animatrice interviewe un homme politique affalée sur le même canapé que lui. Mise en scène, maquillage, trucco digne plutôt d’un magazine féminin people que d’un reportage politique. Cela ne semble gêner personne. Tout devient spectacle, tout peut faire le buzz (et je suis en train d'y contribuer). Pour plagier le vainqueur de ladite primaire, on pourrait se poser la question : « Imagine-t-on le général de Gaulle partager son canapé avec une intervieweuse allongée près de lui ? »

8 février 2017. Monde instable.

Voilà plus de deux mois que je n’ai rien écrit dans cette rubrique. Heureusement, d’autres endroits du site se sont remplis, en particulier l’espace « Horizons » avec deux pages, non encore complètes, sur un voyage fait sur la côte ouest du Groenland, jusqu’aux limites de l’océan arctique. Ma rubrique de novembre disait mon sentiment sur les élections présidentielles aux États-Unis. Pas plus que la plupart d’entre nous, je ne m’attendais pas à l’élection de Monsieur Trump. Les analystes et journalistes en ont bien montré les enjeux et les probables répercussions sur la politique mondiale ; je ne vois pas ce que je rajouterais de pertinent. Nous voici maintenant devant les élections françaises pour la présidentielle, et avec elles face à un paysage politique extrêmement mobile qui génère, chez certaines de mes connaissances, des sources d’interrogation pour ne pas dire d’angoisse. Impression d’avoir assisté, avec les primaires de droite et de gauche, à une partie de jeu de quilles, au point que certains commencent à se demander si l’invention des primaires n’a pas été le type de la fausse bonne idée et s’il ne faudrait pas revenir à la désignation des candidats par les partis. D'autres insistent, au contraire, sur le retour à l'initiative populaire, au déclenchement de référendums sur demande du « peuple », mot qui revient avec insistance chez certains politiciens, sans malheureusement beaucoup de réflexion sur les liens entre ledit peuple et les instances démocratiques dont il s’est doté par les élections législatives, municipales, etc. D’où le risque réel, et inquiétant, de populisme. Car le mot peuple, dans la bouche d’un politique en période électorale, peut subir de bien belles manipulations.

J’ai suivi à la télévision des débats fort intéressants sur les rapports entre morale et politique. Je conviens aisément, avec André Comte-Sponville, qu’il ne faut pas confondre les deux. Je ne voterais pas pour un candidat qui n’aurait pour discours et programme que celui-ci : « élisez-moi, car moi je suis honnête ».  Ce qui est demandé à un politique, c’est de participer à la bonne gestion de la chose publique. Qu’il soit honnête, de surcroît, me convient bien. Il existe une éthique de l’homme politique, et les journalistes sont là pour souligner les manquements, évitant ainsi les abus de pouvoir. Il existe aussi une éthique du journalisme qui devrait éviter aux représentants du quatrième pouvoir d’user à leur tour d’abus de pouvoir.

Monde instable 08 02 2017

8 février 2017. Monde instable.

Voilà plus de deux mois que je n’ai rien écrit dans cette rubrique. Heureusement, d’autres endroits du site se sont remplis, en particulier l’espace « Horizons » avec deux pages, non encore complètes, sur un voyage fait sur la côte ouest du Groenland, jusqu’aux limites de l’océan arctique. Ma rubrique de novembre disait mon sentiment sur les élections présidentielles aux États-Unis. Pas plus que la plupart d’entre nous, je ne m’attendais pas à l’élection de Monsieur Trump. Les analystes et journalistes en ont bien montré les enjeux et les probables répercussions sur la politique mondiale ; je ne vois pas ce que je rajouterais de pertinent. Nous voici maintenant devant les élections françaises pour la présidentielle, et avec elles face à un paysage politique extrêmement mobile qui génère, chez certaines de mes connaissances, des sources d’interrogation pour ne pas dire d’angoisse. Impression d’avoir assisté, avec les primaires de droite et de gauche, à une partie de jeu de quilles, au point que certains commencent à se demander si l’invention des primaires n’a pas été le type de la fausse bonne idée et s’il ne faudrait pas revenir à la désignation des candidats par les partis. D'autres insistent, au contraire, sur le retour à l'initiative populaire, au déclenchement de référendums sur demande du « peuple », mot qui revient avec insistance chez certains politiciens, sans malheureusement beaucoup de réflexion sur les liens entre ledit peuple et les instances démocratiques dont il s’est doté par les élections législatives, municipales, etc. D’où le risque réel, et inquiétant, de populisme. Car le mot peuple, dans la bouche d’un politique en période électorale, peut subir de bien belles manipulations.

J’ai suivi à la télévision des débats fort intéressants sur les rapports entre morale et politique. Je conviens aisément, avec André Comte-Sponville, qu’il ne faut pas confondre les deux. Je ne voterais pas pour un candidat qui n’aurait pour discours et programme que celui-ci : « élisez-moi, car moi je suis honnête ».  Ce qui est demandé à un politique, c’est de participer à la bonne gestion de la chose publique. Qu’il soit honnête, de surcroît, me convient bien. Il existe une éthique de l’homme politique, et les journalistes sont là pour souligner les manquements, évitant ainsi les abus de pouvoir. Il existe aussi une éthique du journalisme qui devrait éviter aux représentants du quatrième pouvoir d’user à leur tour d’abus de pouvoir.

 

Gorilles de Ténérife. 14 février 2017.

 

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De tous les animaux marins, ce sont certainement les baleines qui me fascinent le plus. J’ai eu la chance d’en observer beaucoup  au Québec, dans le Saint-Laurent, à Tadoussac, mais aussi du côté de l’île Anticosti, au Labrador et sur la côte atlantique de la Gaspésie. J’en ai vu encore près de l’Islande, au Groenland et au Svalbard. Chez les animaux terrestres, je suis attiré par les grands primates, mais j’en ai moins l’expérience que des baleines et des dauphins. Un voyage au Rwanda, il y a environ trente ans, m’avait conduit dans le nord du pays, au pied de la chaîne volcanique des Virungas. Sur l’un des volcans, vivent les gorilles de montagne. Mais je n’avais pas eu l’occasion de grimper tout là-haut.

J’ai vu mes premiers gorilles dans un parc, à Ténérife. On peut les observer de l’autre côté d’un fossé qui évite de dresser une barrière entre eux et nous ; on peut aussi les voir à travers de grandes vitres. Un endroit spécialement aménagé pour leur confort les y attire particulièrement. On est à deux ou trois mètres d’eux. Ce qui frappe, tout d’abord, c’est leur impressionnante masse musculaire, et aussi cette façon qu’ils ont d’avancer sur leurs jambes, le buste en avant et en s’aidant de leurs bras. Leur tête aussi, la forme de leur crâne, leur nuque. Leur regard noir est sans sclérotique.

En les voyant, je n’ai pas eu l’impression qu’ils me renvoyaient quelques chose de mon image, contrairement à ce que disent parfois des conférenciers reporters (plus compétents que moi à vrai dire). Mais j’ai eu plaisir à rester un long moment devant eux, à les observer en train de jouer, l’un d’eux faisant résonner sa cage thoracique à coups de poing, rituel qui est devenu leur symbole, et utilisant des branches et des palmes pour jouer, un autre faisant des roulades. Bref, impression de saluer au passage, comme dans mes rencontres avec les baleines, des compagnons de la nature, vivant dans un monde si différent, qu'on entraperçoit de manière fugace. Je suis revenu en soirée. Ils étaient calmes, assis chacun dans son coin, buste droit, regardant autour d’eux et j’ai songé cette fois à des humains sur le tard de leur vie, observant les environs avec douceur et sagesse, profitant de l’air du soir.      

Raconter l'histoire de France. 28 février 2017.

Comme toujours en période électorale, revient le débat sur l’histoire de France, que les jeunes ne connaissent plus, que les professeurs enseignent mal. On rêve d’un vrai récit, un récit fondateur, qui inscrirait en lettres d’or les événements et les grands personnages que tout un chacun doit connaître. Pas plus que la loi, nul n’est censé ignorer l’histoire de France. Certaines vedettes du spectacle médiatique la racontent à leur manière et si jamais une critique des historiens de métier est proférée, ils crient au complot. Complot de l’éducation nationale qui cherche à étouffer la véritable histoire que moi, X ou Y, qui ne suis pas historien mais bon français, je veux enfin révéler à mes concitoyens. On vous décrit donc la bataille de Charles Martel chassant les Arabes hors de France, Jeanne boutant les Anglais hors du royaume, la vie sentimentale de la Pompadour avec ses amants comme si vous étiez dans l’alcôve. Le problème à vrai dire est que s’il est difficile de se faire passer pour un physicien nucléaire quand on n’a pas fait les études nécessaires, tout le monde peut se décréter historien. Il suffit de savoir raconter des histoires.

Raconter des histoires, c’est d’ailleurs ainsi que l’historien – à défaut de l’histoire –  est né chez les Grecs. Il n’est pas inutile de faire un petit détour vers les origines pour mieux revenir à notre problème du « récit fondateur ».

Le « récit historique » existait au temps des Pharaons et des Assyro-babyloniens. Des scribes et des artistes racontaient et illustraient les exploits des souverains, les seuls en fait à « faire l’histoire ». La vie d’un paysan ou d’un artisan n’intéressait personne et n’était pas susceptible de faire un « grand récit ». Ces chroniques royales se montraient toujours élogieuses puisqu’il s’agissait de célébrer le souverain de qui, soit dit en passant, l’on dépendait pour assurer sa subsistance. Difficile en ces conditions de se montrer critique. Un grand tournant de la vie de Ramsès II fut la bataille de Qadesh, contre une coalition hittite fort bien organisée. Le pharaon passa très près de la déroute. Sur les murs des temples de Louxor, Karnak, Abydos, Abou-Simbel, l’épisode est célébré comme une victoire de Ramsès sur les Hittites. Nous sommes ici devant un bel exemple d’histoire officielle.

Le récit historique existait donc bien avant les Grecs. Mais ceux-ci ont apporté quelque chose de très neuf en inventant l’historien. Hérodote est souvent considéré comme le père de l’histoire ; il serait sans doute plus juste  de le qualifier de père ou d’ancêtre des historiens. Il vivait au 5e siècle avant J.-C, était né à Halicarnasse, en Asie Mineure, parlait et écrivait le grec ; il  fut exilé et voyagea beaucoup, s’arrêta dans des villes où il n’était jamais reconnu comme citoyen. Autant dire que cela constitue une grande différence avec les auteurs des chroniques des Pharaons : Hérodote ne dépendait pas d’un pouvoir, n’avait aucune autorité à servir ni même à flatter. Son but était de raconter ce qui méritait de l’être à ses yeux, surtout les guerres entre les Grecs et les Barbares (Perses,  Mèdes, Scythes…) pour qu’on ne les oublie pas. Pour cela, il se faisait « histôr », c’est à dire enquêteur, à la recherche du savoir au cours de ses voyages. Cette enquête, l’histôr la raconte en utilisant la première personne. Il montre la réalité de son propre point de vue. Il rapporte des légendes, des faits, des croyances, des coutumes, des remarques géographiques. Certaines de ses histoires, où se mélangent légendes et observations personnelles, sont si invraisemblables qu’il fut appelé par certains le « menteur ».

L’histôr est un peu le continuateur des aèdes qui existaient bien avant lui. Songeons à Homère (8e siècle, auteur de l’Iliade et de l’Odyssée). Comme l’aède en effet, l’histôr veut sauver de l’oubli ce qui doit l’être, en veillant à ce qu’on raconte. Cela dit, il diffère énormément de l’aède. Celui-ci s’intéressait aux histoires anciennes, celles des origines du peuple en quelque sorte, avec la guerre de Troie ou l’Odyssée d’Ulysse. Il célébrait les héros du temps jadis. Il invoquait les Muses, il racontait en vers. L’histôr, lui, n’invoque pas les muses mais se base sur ses enquêtes, et il raconte en prose, constituant un récit non des origines mais plutôt des choses plus récentes, comme les guerres entre les Grecs et leurs voisins « barbares ».

Telles furent les origines de l’historien, humbles comme on le voit. À la différence de l’aède ou du philosophe qui avait pignon sur rue et pouvait faire de son activité un métier, l’histôr ne faisait rien de très reconnu.  On pouvait à la limite se passer de lui, tant était grande la richesse d’autres moyens de se rappeler le passé avec les mythes ou encore les chants poétiques des aèdes. Après Hérodote, l’histoire évolua et connut de vrais maîtres tels Thucydide ou Xénophon, qui eux aussi racontaient plutôt le passé récent que l’ancien temps, mais le discours de l’histôr resta minoritaire par rapport aux autres expressions orales ou écrites dans l’antiquité.

J’ai sous les yeux le livre de François Hartog, L’histoire d’Homère à Augustin (Le Seuil, 1999). Il y expose et commente des préfaces et des textes d’historiens de l’antiquité, et l’on y apprend beaucoup sur les humbles origines de l’historien. J’en extrais ce passage fort clair sur son statut : « Cette histoire, devenue pour nous modernes l’Histoire dans son évidence, n’a jamais été  en Grèce et à Rome qu’un discours minoritaire, un d’entre ceux qui, chacun à sa façon, prenaient en charge la mémoire et racontaient la généalogie et les avatars d’une identité. En vérité, les Grecs ‘disposaient, sans l’aide des historiens, de tout le savoir sur le passé dont ils avaient besoin’ (M. Finley). Il y avait tous les récits (logoi, puis mythoi) toutes les traditions orales (akoai) qui couraient, se  colportaient, se transmettaient » (p. 18-19).

En y réfléchissant bien, on peut se demander si le récit d’histoire de France dont on rêve n’appartiendrait pas plutôt aux aèdes des temps modernes qu’aux historiens. N’est-ce pas d’ailleurs ainsi que la chose était encore comprise en des temps proches de nous ? Au XIXe siècle, Victor Hugo et sa légende des siècles proposait un récit documenté de poète, un de ces récits qui entendent bien être fondateur et exalter les consciences. Quant aux historiens du temps, ils produisaient un discours qui nous paraît fort surprenant aujourd’hui dans sa construction. Certains pensent a bon droit que le discours historique a pris alors la place du discours théologique qui s’essoufflait, et qu’il en a reconduit certaines caractéristiques, même quand il se voulait anticlérical et athée. Il est vrai que la Charlotte Corday  de l’Histoire des Girondins rappelle, un peu, les portraits exemplaires des saintes de jadis, même si Lamartine  qui exalte son geste meurtrier contre Marat, en mesure aussi l’inutilité politique. Par ailleurs, Lamartine se voulait plus poète qu’historien. Mais ce n’était pas le cas de J. Michelet, professeur d’université, dont l’œuvre est immense. Elle nous paraît aujourd’hui exaltée, moralisante, s’appuyant sur des faits la plupart du temps établis mais oubliant parfois de vérifier ses sources.  Finalement, l’histoire au XIXe siècle participe d’un récit qui ne dédaigne ni l’exhortation morale, ni l’exemplum, ce genre de récit que les Romains développaient autour d’un personnage donné comme exemplaire. Quelqu’un comme Michelet, dont les compétences historiographiques et la connaissance des faits ne peut être systématiquement contestée, aida plus à la construction d’un « roman national » à destination des Français qu’à une histoire, au sens plus resserré du terme.

On est étonné de nos jours de voir comment le grand chercheur des origines chrétiennes que fut Ernest Renan pratique une méthode inductive qui lui permet de reconstruire des pans entiers du passé en partant d’un seul élément. Sa science critique non contestable est mise au service de la reconstruction d’un « doux Galiléen », promoteur du culte idéal, loin des mesquineries religieuses, un révolutionnaire dont le génie fut précisément de rompre avec tout ce qu’a de laid et de barbare la culture religieuse de son temps. Prenons un petit exemple pour illustrer sa façon de procéder. Tout le monde connaît l’entrée de Jésus sur un âne dans Jérusalem. Tout en citant en  note le passage de Matthieu relatant cet épisode évangélique, Renan n’hésite pas à déplacer ce motif de l’âne pour le situer dans la douce Galilée qui lui paraît beaucoup mieux convenir à cet animal : « Il parcourait ainsi la Galilée au milieu d’une fête perpétuelle. Il se servait d’une mule, monture en Orient si bonne et si sûre, et dont le grand œil noir, ombragé de longs cils, a beaucoup de douceur ». Ce processus d’élargissement de ce que les textes-sources donnent comme un fait singulier est fréquent chez Renan. Le récit de la transfiguration, épisode unique dans les évangiles, devient  ainsi : « On disait qu’il conversait sur les montagnes avec Moïse et Élie ».

Si ces façons de faire paraissent assez étranges aux yeux de l’historien, c’est que l’histoire s’est dotée de plus de rigueur et de contrôle de son discours en devenant, au XXe siècle, une véritable science humaine. Cela ne s’est pas fait en une seule fois, mais il serait difficile de ne pas citer, aux origines de cette naissance de l’historiographie entre les deux guerres, l’école des Annales, avec Lucien Febvre et Marc Bloch. Plus tard vint la nouvelle histoire, avec Pierre Nora, Jacques Le Goff, etc. Tout ceci contribua à élargir le champ des investigations des historiens (le social, le culturel, et non plus seulement le politique et les grands personnages) et à fournir une réflexion sur l’épistémologie de l’histoire. En d’autres termes, on prit le temps de s’asseoir pour réfléchir à ce qu’un historien fait quand il fait de l’histoire. Parmi les livres connus, citons au moins ceux  de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire (1971) et de Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire (1975).

Pour conclure. On discutera sans doute encore longtemps sur un possible récit fondateur de l’histoire de France, qui, à mon avis, appartiendrait plus à un manuel d’instruction civique qu’à un livre d’histoire. Et les critiques contre les manuels scolaires et les enseignants continueront de pleuvoir, au moins durant les campagnes électorales. Il serait dommage qu’elles conduisent à occulter tout ce que l’historiographie contemporaine apporte aux élèves et aux étudiants : le sens critique (que les émissions pour grand public à la TV ne nourrissent nullement), la façon de consulter et d’utiliser les archives, la façon dont l’historien écrit, l’intérêt pour des sujets d’histoire autres que les amours de la Pompadour ou les guerres napoléoniennes. Histoire des paysans, des bourgeois, des idées, des croyances, des religions, de la colonisation depuis l’antiquité, de l’esclavage, des institutions politiques, des arts, des cultures, et j’en passe. Ajoutons qu’il y a place pour toutes les grandes étapes de l’histoire dans les manuels : la période gallo-romaine pour initier aux culture celtes et latines, la période des Francs pour initier aux début d’une royauté... Car c’est de commencement en commencement que l’histoire de France s’est construite,  des Gaulois aux Francs, de Charlemagne aux Capétiens, de la Renaissance au grand siècle et du grand siècle au siècle des lumières, de la royauté à la révolution et à la république, etc. C’est en enseignant de façon attentive et scientifique les différents commencements de l’histoire sur le sol français que l’on résout la question de l’origine. La France est devenue la France de commencement en commencement.

Quelques nouvelles. 7 avril 2017.

 

 Le printemps installe ses belles journées. On s’affaire au jardin : toilettage de la pelouse, du bassin envahi par les feuilles mortes (les poissons disent merci), remise en marche de la pompe, terreau pour les nénuphars. L’ami Robert est venu tailler les cinq pieds de vigne.  J’ai surveillé les bourgeons du cognassier, attaqués par la chenille, pulvérisé de l’eau savonneuse sur le groseillier où les pucerons se manifestent dès les premiers jours de soleil.

Je relis tranquillement le manuscrit de mon prochain roman à paraître en 2018. Il s’agit d’un récit de chevalerie. Je l’ai situé au XIIIe siècle, grand siècle s’il en est, rempli de créativité, riche en artistes, en bâtisseurs, en voyageurs. C’est aussi un monde contrasté. Dans un siècle où sévit l’Inquisition, condamnant les sorcières et les hérétiques à des morts atroces, s’acharnant sur les corps au nom du salut des âmes, on voit apparaître l’amour courtois célébrant la beauté et le désir, la science avec des adeptes des philosophes grecs, en particulier Aristote, que des savants, souvent mahométans, redécouvrent pour s’en inspirer. C’est enfin un monde de brassage culturel. On voyage beaucoup, on échange, on partage les savoirs dans toutes les universités d’Europe. Un grand siècle, rempli de désirs et d’espoirs, où j’ai eu plaisir à faire voyager mes personnages.

J’ai écrit ce roman dans une langue légèrement décalée, avec quelques mots et expressions du Moyen Âge aux élégantes saveurs :  « chiffonneurs » pour « chiffonniers », « herberie » pour « connaissance des propriétés des plantes », « lamentaisons » pour « lamentations », etc.   On est parfois surpris de constater que des mots que nous pensons récents et empruntés à l’anglais existent déjà au Moyen Âge. C’est le cas de « chalenge », qui s’écrit avec un seul « l » et signifie poursuite en justice, et plus largement défi, dispute, attaque.

Prochaine activité :  Agde, le samedi 29 avril, à 18 heures 30, je donnerai une conférence sur l’épopée de Gilgamesh, à la médiathèque Maison des savoirs.

Prochaine publication : la Bible, collection Folio Junior-Textes classiques. Il s’agit d’un choix de textes de l’Ancien Testament, traduits par moi et suivis d’un dossier comme il est d’usage dans cette collection. Parution en juin  2017.

Comment dire son identité ? 13 avril 17.

La campagne présidentielle nous donne un bel exemple de l’état de crise et de pertes de repères dans lesquels notre société se dilue. On reproche à un candidat d’avoir salué des Arméniens, des Grecs ou des Libanais marseillais, là où il n’aurait dû voir que des Français. La solution serait-elle donc l’intégration par déni des liens d’origine, par peur du communautarisme ? On a déjà connu ce déni des liens d’origine, naguère, chez les instituteurs qui formaient de bons français par le moyen d’une bonne histoire de France et d’un bon langage qui entrait en guerre contre les patois et les langues régionales. Il est même arrivé que des parents eux-mêmes, immigrés, interdisent à leurs enfants de parler leur langue. Une amie, F., dont la famille venait des rives du lac de Garde, n’a jamais eu droit de parler italien. Une autre, E., m’a montré la photo de sa grand-mère italienne dont elle a essayé de parler un peu la langue en prenant quelques cours d’italien à plus de quarante ans. Le père espagnol de ma cousine, chassé d’Espagne par la guerre civile, marié à une française, ne lui a jamais enseigné sa langue. Elle l’a apprise par elle-même, à la recherche sans doute de quelque chose de précieux dont on l’aurait privée. Ce rapport aux communautés d’origine est crucial. La guerre mondiale de 39-45 l’a terriblement illustré quand Hitler déclarait incompatible avec l’idéal nazi le fait d’être Juif et Allemand.

Je songe, a contrario, à ce qui se passait au début de notre ère, dans l’empire romain, où l’unité et la cohésion impériale se faisait par distribution de la citoyenneté romaine. Celle-ci ne prétendait pas effacer la citoyenneté locale ; elle s’y  rajoutait. On pouvait être ainsi citoyen d’une ville déterminée et citoyen romain. Une façon d’intégrer et de romaniser les élites, sans prétendre les déraciner. Dire son identité, alors, ne se faisait pas en un mot. On avait besoin de plusieurs phrases pour la dire. C’est ce que j’appellerais, avec Paul Ricoeur et bien d’autres, l’identité narrative. J’ai besoin d’un récit pour dire qui je suis. Un des plus célèbres apôtres chrétiens, Paul de Tarse, en est un parfait exemple. Dans les Actes des Apôtres, il est arrêté par une patrouille romaine comme fomenteur de troubles.  Il s’adresse alors au tribun qui le conduit à la forteresse Antonia, au cœur de Jérusalem, et lui dit :

« Pourrais-je dire deux mots ? » Le tribun lui répond : « Tu sais le grec ? Tu n’es donc pas l’Égyptien qui a soulevé ces derniers temps et emmené au désert quatre mille sicaires ( = révolutionnaires) ? » Paul lui répond : « Moi, je suis Juif, de Tarse, en Cilicie, citoyen d’une ville qui n’est pas sans renom. Je t’en prie, autorise-moi à parler au peuple. » Le tribun lui en donne permission et Paul s’adresse alors aux Juifs en langue hébraïque » (Actes 21, 37-40). Dans un autre passage où il est arrêté et menacé du fouet par l’autorité romaine, il déclare : « Un citoyen romain, qui n’a même pas été jugé, avez-vous le droit de lui appliquer le fouet ? » Le centurion auquel il s’est adressé met alors le tribun au courant : « Qu’allais-tu faire ! L’homme est citoyen romain ». Le tribun va donc trouver Paul  et lui demande de confirmer qu’il est bien citoyen romain et Paul répond par l’affirmative. Le tribun lui dit : « Moi,  j’ai payé une forte somme pour acquérir ce droit ». Ce à quoi Paul répond : « Moi, je le tiens de naissance » (Actes 22, 25-28).

Ainsi donc, pour dire qui il est, Paul doit rassembler plusieurs points dans un petit récit : sa judaïté, sa citoyenneté de Tarse, dont il se montre fier, sa citoyenneté romaine qui lui donne des droits, son bilinguisme : le grec et la langue hébraïque (araméen et hébreu).

Loin de moi le désir de comparer la situation de l’empire romain du premier siècle et notre société. Reste que  le recours à l’histoire peut nous fournir des mots pour penser l’identité. Un homme a toujours une descendance, une origine (en grec : un genos). C’est ce qui l’inscrit dans le temps. Il a aussi un ethnos, qui l’inscrit dans l’espace en tant qu’appartenant à un groupe commun, à un peuple, à une nation (c’est là que les problèmes actuels se posent souvent, avec les communautarismes et la hiérarchisation des appartenances de type « ethnique »). Il possède une langue, mais peut en avoir plusieurs, etc. Rien de tout cela n’est facile à gérer. Il me semble seulement que les solutions simples risquent de devenir vite simplistes et de générer plus de frustrations que d’identités heureuses dont on espère qu’elles pourront retrouver des racines en des temps plus apaisés.

 

Quelques nouvelles 01 juin 2017.

 

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Ma traduction adaptation de quinze textes de la Bible va paraître le 8 juin sous le titre Récits de la Bible, en folio junior.

Je fais quelques corrections de détail sur mon prochain roman à paraître chez Gallimard Jeunesse. Comme je l'ai déjà indiqué le 7 avril (voir ci-dessous, à cette date), il s'agit d'un roman de chevalerie, situé vers la fin du XIIIe siècle. Ce récit reprend quelques personnages essentiels de la Table Ronde, Lancelot, Morgane, Calogrenant. Beaucoup de chevaliers illustres se sont retirés, tel Lancelot dont on n'a plus de nouvelles, après la fin tragique de ses amours avec la reine Guenièvre. C'est maintenant à la nouvelle génération, celle des fils, de prendre le relais. Mais le monde change vite et ils découvrent qu'il est fort grand, beaucoup plus que ce que l'on pensait jusqu'à présent. Rien de tel que de voyager pour en explorer les confins. C'est ce qu'ils font, depuis les Brumes du Nord jusqu'en Sicile, et autres lieux. Je reparlerai de tout cela en temps opportun.

Je me prépare à un été d'écriture : un nouveau roman ainsi, au plan universitaire, qu'un texte sur les enjeux de l'exégèse contemporaine. Ceci au bord de la mer, en Normandie, et ensuite en Ligurie où, depuis quelques années, j'ai pour habitude de passer quelques semaines. Un bon été à tous mes lecteurs !

Un été si rapide 29 octobre 2017.

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Je n’ai pas vu passer l’été. À croire que les saisons s’accélèrent à mesure que je compte les années. Mes années, mon âge. J’ai pris cette mauvaise habitude il y a peu, finalement. À cinquante ans encore, je ne comptais pas trop. Et j’ai souvent réussi à fuir mes anniversaires. Une façon d’éviter de s’appesantir sur la fuite des jours, surtout quand  les deuils se font plus nombreux, comme c’est le cas depuis quelque temps autour de moi, dans la famille et chez les amis.

Que dire de cet été ? Dans la maison du bord de plage, en Normandie, où j’ai passé un mois, j’ai profité du contact avec les amis que je revois chaque année à cette occasion. Le reste du temps, nous nous écrivons. Retour ensuite en Champagne et départ pour la Ligurie, comme chaque année. Nous y avons passé trois semaines. La Ligurie a manqué d’eau : il n’a guère plu depuis le mois de mai. Les olives étaient rares et petites. Elles ont tombé plus tôt que d’habitude si bien que les gens ont commencé la cueillette en avance. Les filets pour recueillir le fruit étaient partout présents sous les arbres. J’ai profité du soleil généreux, pris mon premier bain de la saison à Sestri Levante, profité des chemins qui parcourent les collines de la côte. Ces chemins s’appellent « creuza de ma », comme l’indique le titre d’un CD de Fabrizio de André dans lequel il chante le pays genovese en langue ligure.

Mon ami Bruno se porte mieux depuis quelque temps. Nous nous sommes donné rendez-vous à mi-chemin entre Le Haut-Adige, où il réside, et la Ligurie où nous étions en congé. Nous nous sommes donc retrouvés à Cremona, en Lombardie, pour passer trois jours ensemble, et évoquer tant de souvenirs communs. La cité est belle, avec de fières rues, et une esthétique austère due au Duomo de briques et à la tour, il Torrazzo, de briques aussi. Cent douze mètres, cinq cent deux marches à grimper pour jouir de la vue sur les toits. Je me suis étonné de les gravir sans m’essouffler. Cremona est connue comme la ville des luthiers. Stradivarius et bien d’autres y sont fort célébrés. Partout on trouve une invitation à voir des instruments de toute beauté, et à écouter de la musique.

Nous sommes rentrés en Ligurie à travers l’Apennin de l’Emilia Romagna. Des petites routes fort accidentées, quelques cols à passer, un paysage rural à l’habitat épars, fait d’oliviers, de forêts de châtaigniers, de vigne, d’arbres fruitiers.

Ces séjours italiens me revigorent. Ils prolongent souvent l’été par des jours d’automne plus doux, aux lumières dorées dans la campagne et sur la mer. Reste, au retour, à se préparer à l’hiver et aux jours gris. Un bon moyen pour y parvenir est de se concentrer sur ses manuscrits.

J’ai achevé le texte de réflexion sur l’exégèse, dont je parlais dernièrement. Mon roman jeunesse sur les chevaliers de la table ronde sortira en avril. Et j’ai pu avancer cet été un nouveau roman. Le thème en est l’émigration. Un sujet grave, qui suppose qu’on progresse avec un ton juste, en évitant la sensiblerie. Délicat. J’y consacre le meilleur de mes journées.

 
Sfar, d'Ormesson, Johnny.

 Je suis dans la lecture du volume 7 du Chat du rabbin. Sfar m’épate beaucoup par sa façon de présenter sa vision du judaïsme séfarade, lié cette fois à la tour de… Bab-el-Oued. Il fallait y penser ! Sfar convie à une bonne plongée dans une Algérie d'autrefois, et développe une sagesse du mélange, de la mixité culturelle singulières en ces temps où les recherches identitaires conduisent à gommer la possibilité de vivre avec un « semblable »…  différent, de par sa religion, sa cuisine, ses habitudes vestimentaires, son mode de vie. Les chikayas du chat avec le rabbin, l'imam, le Malka et son lion, ou la mule, élevées au niveau des disputes rabbiniques, valent leur pesant d’or. On ne peut pas dire que Sfar fasse de la théologie en dehors du monde. Et l’on s’interroge :  cette tendresse et cette tolérance lucide, exprimées dans Bab-el-Oued, sont-elles déjà un mythe du passé ?

J’ai vécu le décès de Jean d’Ormesson à travers la télévision. L’Académicien avait pourtant annoncé qu’un écrivain ne pouvait pas partir n’importe quand. Pas vers le milieu du mois d’août, qui vide Paris ; pas en même temps qu’un chanteur (Piaf et Cocteau), car le poète-écrivain pèse moins lourd que le chanteur. L’écrivain aura donc « choisi » son pire moment pour faire ses adieux. Sa mort aura subi  un effet d’éclipse que d’aucuns voient comme une pénitence pour cet homme habitué à briller. J’ai bien aimé les propos de P. Bruel à l’inhumation de Johnny. En substance : tu vas faire le voyage vers là-haut avec d’Ormesson ; vous allez bien vous marrer.

Se pose naturellement la question de la célébrité. Que retiendront les générations futures de l’oeuvre de Johnny, très rarement parolier de ses chansons,  et de celle de l’écrivain ? On connaît les critères qui font les renommées durables. Pour le chanteur, le fait que ses chansons continuent à vivre dans les médias et dans la rue, l’instauration de rituels, de pèlerinages, d’objets à la mémoire. Le grand Elvis nous fournit de tout cela le modèle quasiment indépassable. Pour l’écrivain, il y a les rééditions de l’oeuvre, sans oublier les traductions. Déjà de leur vivant, certains auteurs sont traduits en de nombreuses langues, d’autre non. Il faut aussi compter avec la mise en place d’un cercle d’amis, d’une association consacrées à l’oeuvre. C’est le cas pour Claudel, Gide, Giono, Genevoix… Il faut aussi considérer les études universitaires : mémoires de master, thèses de doctorat, congrès et colloques. Les recherches sur l'oeuvre sont essentielles pour enraciner dans le temps. Autant dire qu’il est difficile de faire le prophète. Laissons le chanteur et l'écrivain affronter l'épreuve du temps.

Voeux 30 décembre 2017.

Tous mes vœux d’excellente année à tous les visiteurs de ce site. Je sais que beaucoup y viennent régulièrement,  anciens étudiants, lecteurs de mes livres. Une bonne façon d’avoir de mes nouvelles, disent-ils. Que souhaiter ? La santé, la sérénité, la paix, à tous et à chacun, bien sûr. Et surtout, une meilleure santé internationale, dont tous pourraient bénéficier, car on ne peut pas dire que le droit de vivre en paix soit actuellement le mieux respecté ! Drame des Rohingyas, tensions en Corée, Moyen-Orient toujours très instable, migrations économiques et politiques un peu partout dans le monde, particulièrement en Afrique, ne donnent pas de notre planète une image de sérénité, c’est le moins qu’on puisse dire.

De mes nouvelles : durant les fêtes, j’ai travaillé surtout aux pages Groenland de mon site. J’y ai ajouté quelques vidéos, pour rendre plus vivant ce voyage fabuleux qui nous a conduits dans l’extrême nord du Groenland, et fait voir des villages de chasseurs, perdus sur les côtes de mers remplies d’icebergs. Et dans la brume, l’aventure se transformait en périple « quasiment mystique » comme disait notre guide, grand spécialiste du pays, Nicolas Dubreuil.

Mon prochain roman va paraître en avril, sous le titre Laomer ou la nouvelle histoire de Lancelot du Lac, chez Gallimard Jeunesse. J’y reviendrai en temps voulu pour en faire une présentation. Bon réveillon à tous. J’ai rencontré les trois chanteurs de cette photo à Harlem, il y a quelque temps. Que l’écho de leur musique vous parvienne, pour une joyeuse fête.

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Le Québec. 14 février 2018.
 

Après les pages consacrées au Groenland, je commence une page Québec. Je procéderai comme d’habitude, en construisant tranquillement page par page, en corrigeant éventuellement. Pour l’instant, je suis heureux d’avoir pu mettre un diaporama sur des orignaux observés il y a quelques années, par un matin d’octobre, dans le parc de la rivière Jacques-Cartier, à une petite cinquantaine de kilomètres de Québec. Ce sont des choses qui arrivent rarement, au dire même de mes amis québécois qui souvent n’ont jamais eu l’occasion de rencontrer ces animaux au profil préhistorique. Je parle naturellement d’animaux vivants. Car la chasse à l’orignal existe au pays. Il m’est arrivé de voir une tête d’élan fixée sur le capot du véhicule par des chasseurs exhibant ainsi le trophée de la journée.

Ce jour-là, dans la Jacques-Cartier, je n’avais qu’un mauvais appareil photo numérique, sans même un zoom. Dommage. Mais ces apparitions dans le lit de la rivière embrumée sont bien belles quand même !  

 
Questions sur mon roman Laomer. 9 avril 2018.

9 avril 2018. 

Interview de Pierre-Marie Beaude à propos de son nouveau roman : Laomer. La nouvelle aventure de Lancelot du lac. Parution le 26 avril 2018, chez Gallimard Jeunesse. 416 pages.

Comment en êtes-vous arrivé à écrire ce roman ? 

L’idée m’en est venue après avoir lu et adapté l’œuvre de Chrétien de Troyes. J’ai publié en effet Yvain le chevalier au lion et Lancelot ou le chevalier à la charrette dans la collection « Folio Junior. Textes Classiques », dirigée par J. P. Arrou-Vignod. J’aime beaucoup le Moyen Âge, je me passionne pour les vieux films tels Ivanhoe et Robin des bois, que je voyais déjà quand j’avais dix ans, mais aussi pour les films de Ridley Scott et autres réalisateurs.

 Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans l’écriture du roman ?

Le choix de la langue a été une des difficultés. J’ai écrit dans une langue qui n’a pas grand chose de moyen âgeux, c’est clair. Mais j’ai gardé pas mal d’expressions du temps, bien sûr, et veillé à ne pas commettre trop d’anachronismes. En tant que romancier, je me suis naturellement éloigné parfois de la vérité historique.

  Pouvez-vous préciser ?

Le latin était largement répandu, sous  une forme qui n’était plus celle de Cicéron, bien évidemment. Mais d’autres langues existaient, les langues romanes par exemple, comme celle qu’utilise Chrétien de Troyes. Pour faire communiquer mes personnages venus de différents pays, j’ai suivi la façon de faire des films sur le Moyen Âge ou sur l’Antiquité : j’ai simplifié. Autrement, on se perdrait dans des difficultés infinies. Mes personnages communiquent entre eux plus facilement que ce ne devait être le cas.

 Vous avez cherché à éviter les anachronismes, dites-vous. En est-il resté dans votre roman ?

J’ai fait des anachronismes conscients en me revendiquant de la liberté de romancier.  L’île de Tombelaine, par exemple, où je suis allé en traversant les grèves de Mont-Saint-Michel, n’était sans doute pas, au XIIIe siècle, l’île nue que je décris. On y avait construit un prieuré et une chapelle dont les pierres servirent, plus tard, à la construction du Mont-Saint-Michel.  J’ai préféré garder la vision que j’ai eue en m’y rendant  trois ou quatre fois dans les années 2000 : une île habitée par les oiseaux, en particulier les tadornes de Belon.  Autre exemple : j’ai donné pour auteur aux livres de magie du Grand et du Petit Albert, le nom d’Albert le Grand, théologien du XIIIe siècle bien connu, qui fut le maître de Thomas d’Aquin. En fait, ces livres proviennent d’une compilation de traditions qui commencent certes au XIIIe siècle, mais se continuent jusqu’au moins la Renaissance. Il est admis généralement que quelque chose d’Albert le Grand ait pu y être inclus. Ce n’était pas rare, jusqu’à la Renaissance, de voir des théologiens s’adonner aussi  à l’alchimie et à des sciences expérimentales quelquefois aventureuses.

Enfin, j’ai revendiqué ma liberté de romancier à propos de l’organisation des terres du Nord. Les petits hommes aux chiens existaient-ils au XIIIe siècle ? Je suis allé au Groenland et dans les provinces maritimes du Québec comme celle de Terre-Neuve et Labrador. J’ai appris que les techniques de pêche en mer et sur la glace furent transmises aux Inuit du Groenland, par des Inuit venus du Canada, beaucoup plus tardivement que le XIIIe.

Une dernière prise de liberté par rapport à l’histoire : il existe à cette époque deux grands inquisiteurs, l’un habite Paris et l’autre Toulouse. À Orléans, ce serait plutôt un inquisiteur parisien qui devrait interroger Pernelle. Mais j’ai préféré parler d’un inquisiteur venant d’Aquitaine, terre bien connue pour les cruautés inquisitoriales envers les hérétiques (Albigeois, Cathares).

Il se peut que j’aie aussi laissé traîner quelques anachronismes à mon insu. Mais j’ai tenté de respecter l’histoire et la chronologie chaque fois que je le pouvais.

 Pourquoi une nouvelle histoire de Lancelot ?

Lancelot est un personnage de légende et l’on ne compte plus les livres ou les films qui l’ont mis en scène. J’ai beaucoup aimé celui de Robert Bresson, sorti en 1974, très étrange, très fascinant. Je crois que chaque artiste a le droit de chercher à continuer la légende, à imaginer des aventures nouvelles. Je suis donc parti du personnage de Lancelot amoureux de la reine Guenièvre, pour leur bonheur et leur malheur, et j’ai continué l’histoire à ma façon, en partant du moment où Lancelot quitte la cour du roi Arthur Pendragon. Auprès de lui, j’ai posé quelques figures célèbres des légendes arthuriennes comme Morgane, Viviane, Calogrenant, chevalier de la Table ronde. Puis je me suis demandé comment l’aventure pouvait continuer dans la seconde génération, celle des fils. Ils doivent vivre leur vie, répondre aux questions de leur temps qui ne sont plus tout-à-fait celles de leurs parents. Des guerriers nordiques viennent ravager les côtes d’Écosse et d’Irlande, le monde se découvre plus vaste qu’on ne le pensait. Mes héros vont voyager, aller en Sicile, à Venise, et jusque derrière la mer des Brumes où se cachent les Nordiques. Ils vont découvrir d’autres façons de vivre, hors du monde de la chevalerie. L’action se situe précisément au temps de Marco Polo. Et ce n’est pas un hasard si je le fais rencontrer à l’enchanteresse Morgane quand elle se rend à Venise. Plus de deux siècles avant Christophe Colomb, le négociant Nicolo Polo, son frère Matteo et son fils Marco voyagent jusqu’en extrême-orient. Ce sont eux qui fournissent à Morgane une carte des pays du Nord qui l’éclaire sur la géographie réelle de régions demeurées longtemps mal connues.

 En lisant votre roman, on se demande parfois si on n’est pas plus près de la Renaissance que du Moyen Âge.

On a formalisé les périodes de l’histoire occidentale de façon tranchée, et accordé dix siècles pour le Moyen Âge à lui tout seul ! Il n’est pas difficile d’imaginer qu’en tant de siècles, les choses puissent être différentes ! Le XIIIe siècle, où je situe l’action du roman, est plus proche de la Renaissance que des débuts du Moyen Âge : depuis 476, date de la mort du dernier empereur romain d’occident à la découverte de l’Amérique en 1492, c’est un monde qui se défait et se reconstruit différemment. Notons aussi que ce que appelons Renaissance est un phénomène qui se prolonge. Elle commence tôt en Italie, est plus tardive dans les pays du Nord comme la Flandre. On la situe généralement aux XVe et XVIe siècles, mais Giotto, qui est né en 1267, est un de ces artistes qui annoncent déjà la Renaissance que, faute de mieux, on flanque d’une « Pré-renaissance ». Disons qu’il existe beaucoup d’éléments de « Pré-renaissance » au XIIIe siècle. Giotto n’a plus la vision du monde médiéval, il met l’homme au centre. Voyez ses peintures : les corps prennent du volume, les mollets tournent, les pieds sont bien posés à terre. Voyez le campanile, à Florence, où Giotto a travaillé comme maître-maçon ; il n’a rien à voir avec les cathédrales gothiques. Mon roman fait la part de ces aspirations de pré-renaissance qu’on trouve en plein XIIIe siècle.

La génération des « fils » des chevaliers de la Table ronde paraît plus ouverte sur les problèmes sociaux. Confirmez-vous ce point de vue ?

C’est exact. J’ai voulu montrer une société faite non seulement de chevaliers, mais aussi de clercs, d’étudiants, de savants, de saltimbanques, de commerçants, de voyageurs, de pèlerins. Et surtout, j’ai imaginé pour certains d’entre eux la possibilité de passer d’une classe sociale à l’autre. C’est le cas de Robin, fils d’éleveurs de moutons sur les grèves du Mont-Saint-Michel, qui va à l’école de l’abbaye puis se rend en Champagne, où il devient membre de la cour. C’est le cas de Pernelle, comédienne ambulante, jongleuse,  qui devient femme de châtelain. Mon idée était de montrer que la conduite très transgressive de Lancelot, amoureux de la femme du roi, pouvait augurer d’autres transgressions sociales, comme les deux que je viens de citer. C’est d’ailleurs dans le château de Lancelot que la jongleuse Pernelle et le jeune chevalier Ael vont trouver le lieu pour vivre leur amour, malgré des origines sociales qui ne devraient pas les conduire à se rencontrer pour une vie commune.

Il y a beaucoup de choses dans ce roman à propos de la magie et de la science. Ce ne sont pas les mêmes mondes, je suppose !

Oui, j’ai eu plaisir à faire se côtoyer des mondes différents, celui de l’Église et de l’Inquisition qui veille à la pureté de la foi chrétienne et pour cela instaure des tribunaux, des peines d’emprisonnement, des tortures pour faire avouer, des bûchers. On maintient ainsi une doctrine « pure », contre laquelle il ne fait pas bon aller. Cela n’empêche pas les hérésies de prospérer, ni les pratiques des sciences occultes de continuer. Il existe une médecine naturelle, celle des « herbistes » qui cueillent des plantes et se transmettent des recettes tirées des pratiques populaires, telles qu’on peut en lire dans le grand et le petit Albert. En opposition à ces pratiques populaires de médecine et de magie plus ou moins agressive, j’ai campé aussi la science qui se cherche et progresse. Le personnage qui représente cette science est le médecin Jean Arpange. Un homme que j’ai fait étudier à la vieille Faculté de médecine de Montpellier, féru des Anciens, tel Aristote qu’on redécouvre alors, et désireux d’observer et de raisonner. Mon roman multiplie donc les points de vue sur cet univers très riche où tout le monde, loin de là, n’a pas les mêmes convictions ni les mêmes pratiques. L’enchanteresse Morgane, qui tient un grand rôle dans mon roman, cultive, elle, ses racines celtes, loin de l’Église, croit aux bienfaits de la nature, désire un monde de paix et passe sa vie à contrer les injustices. On la voit ainsi au premier rang quand il s’agit de sauver une pauvre jongleuse des griffes de l’Inquisition.

Que diriez-vous, en bref, pour résumer votre roman ?

Pour autant qu’on puisse résumer un roman, je dirais que Laomer campe un monde qui est beau, vaste, dans lequel construire son bonheur et celui des autres est la quête de toute une vie. 

Couverture de Laomer 9 avril 2018

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Chasselas de Moissac 5 mai 2018

5 mai 2018. Chasselas de Moissac.

Belles journées passées dans le jardin. Ici, j'enrichis mon vignoble miniature avec un Chasselas doré de Moissac. En espérant qu'il acceptera le climat de Champagne. On dit que c'est le meilleur des chasselas français. De fait, j'en ai acheté une fois sur le marché : très cher et délicieux !  

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Des lecteurs de Marco Polo au travail 18 juin 2018

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Des élèves du collège Pablo Picasso, à Saulx les Chartreux, ont réalisé un travail de lecture de mon livre sur Marco Polo : carnet personnel de lecture, confection d’un Quiz et d’un jeu de l’oie, de remarquable qualité. Les parents ont reçu un livret de la part du professeur, Madame Murcia-Longchambon, pour accompagner leurs enfants sur ce travail de plusieurs semaines. Ci-dessous, ma lettre à l’occasion des Portes Ouvertes du Collège. À ces Portes Ouvertes, étaient présentés des calligrammes encadrés, des poèmes sous verre, des recueils de poésie, des cartes heuristiques, un univers playmobil et les deux jeux prêts à l'emploi, déployés sur deux tables : le Quiz sur Marco Polo et Jeu de l'oie sur son voyage.

On trouvera tous les documents  concernant ce travail des classes et de leur professeur à l'adresse suivante http://www.classes-de-mme-murcia.com

 
Lettre aux élèves.

 Aux élèves des classes de  cinquième 4 et cinquième 5 du college Pablo Picasso de Saulx les Chartreux.

Le 9 juin 2018

 Chers élèves,

 Toutes mes félicitations pour l’excellent travail que vous avez accompli autour de mon ouvrage sur les voyages de la famille Polo. Votre professseur Madame Murcia-Longchambon m’a fait parvenir toute la documentation : photos des boîtes et plateaux, carnets de lecture, documents pour l’accompagnement par vos parents. Je mesure l’énorme travail que vous avez réalisé, et sa longueur ne vous a pas découragés.

C’est toujours une forte émotion pour un écrivain de recevoir un retour du travail de lecture.  Vous avez fait là un magnifique voyage, même s’il a duré un peu moins que celui de Marco… Je crois que grâce à lui et à Angelo, vous avez découvert combien le monde est grand et combien il peut être beau, quand on veut bien le regarder.

Je vous suis très reconnaissant d’avoir partagé mes émotions quand j’ai écrit et mis en scène les aventures d’Angelo, à partir du Livre des Merveilles.

 Un très bon été à tous, 

PMB. 

Beauté de l'Aubrac et Laomer 21 septembre 2018.

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En suivant Morgane et Calogrenant à la recherche de Lancelot du lac, le lecteur de Laomer rencontre des pèlerins sur la route de saint Jacques de Compostelle. Il y avait plusieurs possibilités pour s’y rendre. J’ai choisi, dans mon roman, la route qui passe par l’Aubrac et par Conques. Mes personnages en reviennent et se font attaquer par des bandits de grand chemin. Ael, Calogrenant et Enguerran les sauvent.

Le pèlerinage est une institution au Moyen-Age. Il y a le pèlerinage à Jérusalem dont on a des témoignages dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen-Age, en particulier avec les récits qu’en ont fait le pèlerin de Bordeaux et Égérie (ou Éthérie) au IVe siècle. Plus tard, sont venues les Croisades, pèlerinages des chevaliers partis délivrer le tombeau du Christ et se taillant des fiefs et même des royaumes, peu durables, au Proche-Orient. Parmi les pèlerinages connus en Europe, citons le Mont-Saint Michel avec ses pèlerins appelés les Miquelots que Rabelais, par exemple, évoque dans son Gargantua. Il y a aussi les deux pèlerinages en l’honneur de Marie-Madeleine. L’un est à la Sainte Baume (que visita Saint Louis)  et l’autre à Vézelay. Tous les deux, bien implantés dès le XIe siècle, sont en compétition à propos des reliques de Marie-Madeleine. Le pèlerinage de Compostelle, lui, draine des gens venus de quasiment toute l’Europe. La France offre plusieurs chemins. L’un part du Puy, un autre de Vézelay, un autre encore de Paris…

Si j’ai choisi de faire passer mes chevaliers par l’Aubrac et par Conques, c’est tout simplement parce qu’il m’est plus facile de parler de lieux que j’ai fréquentés. D’ailleurs dans ce roman, les souvenirs de voyage jouent un grand rôle. Je suis allé au Groenland, en Islande, je suis né en Normandie et j’ai traversé plusieurs fois les grèves de la Baie du Mont-Saint Michel, en faisant étape à Tombelaine. En Sicile, j’ai vu le château des Normands de Palerme, le temple et le théâtre de Ségeste, et suis monté jusqu’au château normand d’Erice d’où l’on a une vue imprenable sur la plaine côtière, avec Marsala, ses salines et Trapani, tournés vers l’Afrique. J’ai connu l’Aubrac en tant qu’aide moniteur d’une colonie de vacances, située à Bonnefon-d’Aubrac où j’ai passé trois étés, vers l’âge de 16-18 ans. Depuis, bien des amis m’ont parlé de l’Aubrac. Généralement, on adore ce plateau basaltique, minéral et sévère, ses prairies entourées de murets, la gentiane, et ses vaches aux cornes subtiles. Au printemps quand les genêts d’Espagne éclosent, l’Aubrac entre en grande beauté. Quant à Conques, c’est tout simplement une merveille, située dans un écrin de verdure. Un bijou de l’art roman. La sainte qu’on y vénère est Foy, comme je le raconte dans mon roman. Cette même sainte Foy a eu sa traversée de l’Atlantique puisqu’elle a donné son nom a bien des villes d’Amérique Latine, sous le nom de Santa-Fé.

Le Moyen-Age s’est montré très prolifique dans l’invention des reliques des saints. J’en profite pour signaler qu’un écrivain contemporain a abordé le sujet de façon drolatique : Pierre Michon, Abbés, éditions Verdier, 2002. Le regard de Michon nous révèle une sorte de fascination pour un sacré déchu, à travers la symbolique chrétienne du Moyen-Age, en particulier les reliques.

Monastères et lieux de pèlerinage se disputaient âprement les précieuses reliques. En posséder une plus importante que le concurrent permettait d’attirer un plus grand nombre de personnes et de valoriser le pèlerinage. Les recherches historiographiques universitaires sont nombreuses sur le sujet, ainsi que sur le développement des légendes de saints, dont beaucoup étaient tout simplement de création plus ou moins récente. La sainte Madeleine, vénérée à Vézelay est en fait le résultat de l’unification en un seul portrait de trois figures différentes de femmes dans les évangiles : Marie de Magdala, la femme qui répandit du parfum sur les pieds de Jésus, et Marie la sœur de Lazare. L’évangile de Jean commence le processus de rapprochement des trois figures en assimilant la sœur de Lazare à la femme qui avait versé du parfum sur les pieds de Jésus. Cette femme unique et singulière, surgie à partir de ses trois racines, a traversé pratiquement tous les siècles chrétiens et fut particulièrement très prisée au XVIIe siècle.

Pèlerinages et reliques appartiennent à la religion populaire. Les intellectuels, généralement, les tiennent à bonne distance. On perçoit déjà ce phénomène à la Renaissance. Martin Luther n’appréciait pas le culte des saints, ni les reliques, pas plus que les trafics sur les indulgences qui permettaient d’acheter des réductions de peine de purgatoire contre de bonnes actions ou de l’argent sonnant. Rabelais, en bon Humaniste, n’était pas tendre pour ce type de religion populaire. Gargantua, par exemple, rencontre des pèlerins. Il leur demande de quelle région ils sont et pour quel pèlerinage ils ont pris la route. Un certain Lasdaller (joli nom pour un pèlerin !)  répond qu’ils rentrent d’un pèlerinage à Saint-Sébastien, près de Nantes. Ce saint a la réputation de préserver de la peste. Gargantua s’emporte, car il ne peut pas concevoir que Dieu puisse cautionner des saints capables d’envoyer la peste ou de la retenir. C’est pourtant ce que disent nos prédicateurs, affirment les pèlerins. Gargantua leur rétorque qu’il les a tous expulsés de ses terres, car il ne supporte pas les affabulateurs. Il traite les pèlerins en victimes de ces « prêcheurs », leur donne des vivres, du vin et des chevaux pour qu’ils rentrent plus commodément chez eux.

Laomer, Aubrac, pèlerinages. 21 septembre 2018.

 

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En suivant Morgane et Calogrenant à la recherche de Lancelot du lac, le lecteur de Laomer rencontre des pèlerins sur la route de saint Jacques de Compostelle. Il y avait plusieurs possibilités pour s’y rendre. J’ai choisi, dans mon roman, la route qui passe par l’Aubrac et par Conques. Mes personnages en reviennent et se font attaquer par des bandits de grand chemin. Ael, Calogrenant et Enguerran les sauvent.

Le pèlerinage est une institution au Moyen-Age. Il y a le pèlerinage à Jérusalem dont on a des témoignages dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen-Age, en particulier avec les récits qu’en ont fait le pèlerin de Bordeaux et Égérie (ou Éthérie) au IVe siècle. Plus tard, sont venues les Croisades, pèlerinages des chevaliers partis délivrer le tombeau du Christ et se taillant des fiefs et même des royaumes, peu durables, au Proche-Orient. Parmi les pèlerinages connus en Europe, citons le Mont-Saint Michel avec ses pèlerins appelés les Miquelots que Rabelais, par exemple, évoque dans son Gargantua. Il y a aussi les deux pèlerinages en l’honneur de Marie-Madeleine. L’un est à la Sainte Baume (que visita Saint Louis)  et l’autre à Vézelay. Tous les deux, bien implantés dès le XIe siècle, sont en compétition à propos des reliques de Marie-Madeleine. Le pèlerinage de Compostelle, lui, draine des gens venus de quasiment toute l’Europe. La France offre plusieurs chemins. L’un part du Puy, un autre de Vézelay, un autre encore de Paris…

Si j’ai choisi de faire passer mes chevaliers par l’Aubrac et par Conques, c’est tout simplement parce qu’il m’est plus facile de parler de lieux que j’ai fréquentés. D’ailleurs dans ce roman, les souvenirs de voyage jouent un grand rôle. Je suis allé au Groenland, en Islande, je suis né en Normandie et j’ai traversé plusieurs fois les grèves de la Baie du Mont-Saint Michel, en faisant étape à Tombelaine. En Sicile, j’ai vu le château des Normands de Palerme, le temple et le théâtre de Ségeste, et suis monté jusqu’au château normand d’Erice d’où l’on a une vue imprenable sur la plaine côtière, avec Marsala, ses salines et Trapani, tournés vers l’Afrique. J’ai connu l’Aubrac en tant qu’aide moniteur d’une colonie de vacances, située à Bonnefon-d’Aubrac où j’ai passé trois étés, vers l’âge de 16-18 ans. Depuis, bien des amis m’ont parlé de l’Aubrac. Généralement, on adore ce plateau basaltique, minéral et sévère, ses prairies entourées de murets, la gentiane, et ses vaches aux cornes subtiles. Au printemps quand les genêts d’Espagne éclosent, l’Aubrac entre en grande beauté. Quant à Conques, c’est tout simplement une merveille, située dans un écrin de verdure. Un bijou de l’art roman. La sainte qu’on y vénère est Foy, comme je le raconte dans mon roman. Cette même sainte Foy a eu sa traversée de l’Atlantique puisqu’elle a donné son nom a bien des villes d’Amérique Latine, sous le nom de Santa-Fé.

Le Moyen-Age s’est montré très prolifique dans l’invention des reliques des saints. J’en profite pour signaler qu’un écrivain contemporain a abordé le sujet de façon drolatique : Pierre Michon, Abbés, éditions Verdier, 2002. Le regard de Michon nous révèle une sorte de fascination pour un sacré déchu, à travers la symbolique chrétienne du Moyen-Age, en particulier les reliques.

Monastères et lieux de pèlerinage se disputaient âprement les précieuses reliques. En posséder une plus importante que le concurrent permettait d’attirer un plus grand nombre de personnes et de valoriser le pèlerinage. Les recherches historiographiques universitaires sont nombreuses sur le sujet, ainsi que sur le développement des légendes de saints, dont beaucoup étaient tout simplement de création plus ou moins récente. La sainte Madeleine, vénérée à Vézelay est en fait le résultat de l’unification en un seul portrait de trois figures différentes de femmes dans les évangiles : Marie de Magdala, la femme qui répandit du parfum sur les pieds de Jésus, et Marie la sœur de Lazare. L’évangile de Jean commence le processus de rapprochement des trois figures en assimilant la sœur de Lazare à la femme qui avait versé du parfum sur les pieds de Jésus. Cette femme unique et singulière, surgie à partir de ses trois racines, a traversé pratiquement tous les siècles chrétiens et fut particulièrement très prisée au XVIIe siècle.

Pèlerinages et reliques appartiennent à la religion populaire. Les intellectuels, généralement, les tiennent à bonne distance. On perçoit déjà ce phénomène à la Renaissance. Martin Luther n’appréciait pas le culte des saints, ni les reliques, pas plus que les trafics sur les indulgences qui permettaient d’acheter des réductions de peine de purgatoire contre de bonnes actions ou de l’argent sonnant. Rabelais, en bon Humaniste, n’était pas tendre pour ce type de religion populaire. Gargantua, par exemple, rencontre des pèlerins. Il leur demande de quelle région ils sont et pour quel pèlerinage ils ont pris la route. Un certain Lasdaller (joli nom pour un pèlerin !)  répond qu’ils rentrent d’un pèlerinage à Saint-Sébastien, près de Nantes. Ce saint a la réputation de préserver de la peste. Gargantua s’emporte, car il ne peut pas concevoir que Dieu puisse cautionner des saints capables d’envoyer la peste ou de la retenir. C’est pourtant ce que disent nos prédicateurs, affirment les pèlerins. Gargantua leur rétorque qu’il les a tous expulsés de ses terres, car il ne supporte pas les affabulateurs. Il traite les pèlerins en victimes de ces « prêcheurs », leur donne des vivres, du vin et des chevaux pour qu’ils rentrent plus commodément chez eux.

 
Compostelle. 23 octobre 2018.

 

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De nos jours, les routes des pèlerinages ne manquent pas d’attrait. Croyants et incroyants les fréquentent, car s’il existe une spiritualité du pèlerinage, on peut aussi parler d’un style de vie nomade qui attire bien au delà du monde des croyants.  Les chemins vers Compostelle, par exemple, attirent pour différents motifs. Prises par leur profession, certaines personnes font le chemin par petits bouts, cent ou deux cents kms chaque année et accomplissent ainsi toute la route. C’est le cas de ma nièce, Bénédicte, qui envisage, à la retraite, de refaire en un seul trajet toute la route, elle et son mari, en partant de Bretagne où ils résident. Temps estimé : trois mois.

L’idéal est certainement de faire le parcours en continu. C’est le cas de Jean-Christophe Rufin qui, dans Immortelle randonnée, raconte ses huit cents kilomètres de parcours par la route du Nord, en Espagne, sa progression vers Compostelle. Un beau récit à rajouter dans la littérature de voyage.

On trouvera ici le parcours et le témoignage de Monsieur Guy de Coster. Retraité, il est parti de Givry-en-Argonne, le 23 mai 2016 et a accompli le trajet vers Compostelle en deux temps (printemps et automne).  Au total 90 jours de marche, et 2061 kilomètres. Je lui ai demandé de résumer brièvement son expérience de « Jacquet », c’est-à-dire de pèlerin se rendant à Saint Jacques. Voici son témoignage.

Vers Compostelle

Première étape. Givry-en-Argonne – Vézelay. Départ 23 mai. Arrivée 3 juin 2016. Onze jours de marche, suivi d’un repos de dix jours.

Deuxième étape. Vézelay – Périgueux. Départ 13 juin. Arrivée 2 juillet. Dix-neuf jours de marche, suivi de neuf jours de repos.

Troisième étape. Périgueux – Saint Jean-Pied-de-Port.  Départ 11 juillet. Arrivée 4 août. Vingt-quatre jours de marche.

Ici, j’ai fait un intermède  de 66 jours à cause d’un voyage à l’étranger.

Quatrième étape. Saint Jean-Pied-de-Port – Saint Jacques de Compostelle. Départ 9 octobre 2016. Arrivée 15 novembre. 36 jours de marche sur le Camino Frances.

Au total : 2061 kms parcourus en 90 jours, authentifiés par ma Compostella.

Impressions

Tout au long de mon pèlerinage, j’ai pu admirer tant en France qu’en Espagne un magnifique patrimoine culturel et cultuel. En chemin, j’ai pris mon temps pour observer ce que la nature m’offrait de plus beau. J’ai aussi beaucoup médité et prié.  La route est dure. J’ai souvent imploré le saint de soulager la souffrance des longues marches. En chemin, j’ai fait beaucoup de rencontres et me suis fait de nombreux amis de toutes les nationalités. Le soir, malgré la fatigue et après avoir fait mettre le cachet sur ma Crédentiale, fait la lessive, pris la douche, fait le lit, on cause autour d’un repas pris en commun, on fait connaissance dans les Albergues et chez les Hospitaliers. Cela crée de liens éphémères, parfois durables. Je ne saurais trop expliquer ce qui s’est passé en moi, mais ce pèlerinage m’a changé. Rares sont les jours où je ne revis pas un bout de chemin en pensant à ce que j’ai pu vivre de précis en l’endroit même. Cela vous marque à vie, c’est quelque chose d’inoubliable.  J’ai remis une statue de Saint-Jacques pour l’église de mon village, une occasion pour le maire, Monsieur Roth, d’organiser des réjouissances communes pour célébrer le retour au pays du pèlerin. Si j’ai un vœu à formuler, c’est que tout le monde puisse faire un jour ce pèlerinage.

 Principales villes traversées

En France : Vitry-le-François, Bar-sur-Seine, Tonnerre, Chablis, Auxerre, La Charité-sur-Loire, Bourges, Saint-Léonard-de-Noblat, Châteauroux, Limoges, Périgueux, La Réole, Roquefort, Hagetmau, Mont-de-Marsan, Orthez, Sauveterre-de-Béarn, Saint-Palais, Ostabat, Saint-Jean-Pied-de-Port, Refuge de Orisson, Roncevaux.

En Espagne : Puente la Reina, Pamplona, Estella, San Juan de Ortega, Azofra, Burgos, Santo Domingo, Belorado, La Estrella, Léon, Astorga, Molinaseca, Cacabelos, Do Cebreiro, De Triacastela, Portomarin, De Melide, De Arzua, Santiago ou Saint-Jacques-de-Compostelle et sa magnifique cathédrale.

 

Photo : Guy de Coster de retour chez lui. Le bourdon, la gourde et la coquille.

 
Les ponts qui s'écroulent. 24 octobre 2018

 

Retour de Ligurie et de Toscane, comme d’habitude à cette époque. Le changement, cette année, a été dû à l’écroulement du pont Morandi, en plein Gênes. Arrivant par l’autoroute A 26, on se retrouve avec l’obligation de la quitter et l’on se perd dans Gênes où l’on peut galérer un bon moment, dans des quartiers aux rues assez étroites. Pour égayer la promenade, les sens interdits et obligatoires changent à peu près tous les jours, en fonction de l’avancée des travaux de déblaiement. Je me suis donc retrouvé à circuler dans Gênes pendant une petite heure, avant de demander de l'aide à un Génois qui m’a remis sur le droit chemin. J’ai donc découvert ainsi que le fameux pont faisait partie de mon itinéraire chaque fois que je me rendais en Ligurie avec ma voiture, puis à Gênes en bus, ce à quoi ce monsieur m’a répondu que lui, il le prenait deux fois par jour depuis des années. J’ai lu que l’activité au sud de la ville avait sérieusement été affectée, une baisse de quelque 40%.

Tout ceci m’a reporté quelques dizaines d’années auparavant, du temps où je déjeunais assez régulièrement avec Michel de Certeau, dans quelque petit resto proche de Jussieu. Le jeune chercheur que j’étais alors, tout juste sorti de ses études, ne manquait pas de questions à l’adresse de  l'historien, philosophe et psychanalyste confirmé. J’ai souvenir d’avoir évoqué les chansons populaires, les légendes mentionnant des ponts qui s’écroulent, particulièrement sous les pas des danseurs. J’étais peu au fait des études anthropologiques à cette époque, et finalement ce fut une belle découverte intellectuelle d'approfondir l'idée que nous sommes des êtres de pesanteur, et que seuls les dieux sont faits pour la danse. Un pont est toujours une construction audacieuse, qui reflète en quelque sorte l’hubris (la démesure) des humains : tout comme construire une tour, bâtir un pont est un défi aux lois de l’équilibre et de la pesanteur qui nous affecte et qui n’affecte pas les dieux. Les ponts sont des passages singuliers, comme les gués, et il n'est pas rare de rencontrer, dans les légendes, quelque gardien sourcilleux. Les ponts les plus vertigineux sont souvent reliés au diable, seul capable, par ses pouvoirs occultes, de venir à bout de constructions qui défient l'entendement humain. 

J'ai parlé de tour. Je joins  donc cette petite vidéo de sept secondes prise au dernier étage d’une torretta (une petite tour) par l'ami propriétaire. Superbe paysage de la côte ligure, et l’on est pris par l’envie de voler,  au son des cloches qui échappe à la pesanteur.

Le bal des anchois. 26 octobre 2018.

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Octobre est un mois important pour la pêche aux anchois sur la côte ligure. Les anchois (en italien : acciughe ou encore alici) se rapprochent de la côte. C’est le moment où les bonites – des thons roses – et l’alalunga – le thon blanc –  les encerclent et les regroupent, technique de chasse bien connue aussi des dauphins et d’autres espèces. On voit alors les anchois surgir de l’eau et former une sorte de boule. On dit qu’ils « font le ballon ».

L’amie Lucia est allée en barque avec son cousin pêcheur ; elle m’en parle dans ce mail : " Les anchois se regroupent ; on dit qu’ils font le ballon. Poursuivis par les thons, ils sont terrorisés. Sur la photo prise par mon cousin devant San Fruttuoso, tu vois très bien le ballon des anchois et les grands poissons dessous. Aujourd’hui, je l’ai accompagné en mer, et nous avons pêché et l’anchois et le thon. Et, cerise sur le gâteau : nous avions un couple de dauphins qui sautaient à cinquante mètres de la barque, un vrai spectacle !"

Fabrizio de André, le chanteur bien connu originaire de Gênes, a écrit une chanson très poétique sur ce phénomène marin :

« Le acciughe fanno il pallone / Les anchois font le ballon

che sotto c'è l'alalunga  / car dessous il y a l’alalunga,

se non butti la rete /  si tu ne lances pas le filet

non te ne lascia una / il ne t’en laisse pas un

E alla riva sbarcherò / Et sur la rive je débarquerai

alla riva verrà la gente / sur la rive viendront les gens

questi pesci sorpresi / ces poissons surpris

li venderò per niente / je les vendrai pour rien

Se sbarcherò alla foce / Si je débarque à l’embouchure

e alla foce non c'è nessuno / et qu’à l’embouchure il n’y a personne

la faccia mi laverò / le visage  je me laverai

nell'acqua del torrente / dans l’eau du torrent (…)

(On trouvera facilement cette chanson sur Internet.)

Gilets Jaunes, Nordik Express et Amérindiens. 7 décembre 2018.

Gilets jaunes, foulards rouges, tenues noires, l’année se termine de façon mouvementée. On ne sait pas encore si Noël se fera sous le signe de la paix retrouvée, et l’on peut en douter à quinze jours de la fête et à la veille d’une quatrième manifestation dont rien ne dit qu’elle sera la dernière. Je ne me sens pas spécialement compétent (mais d’autres parlent, qui ne le sont pas plus que moi !) pour aborder des sujets politiques dans ce blog. Je peux cependant m’autoriser des échanges de courrier, de courriels, de sms et de coups de téléphone pour faire état des interrogations et des problèmes qui se bousculent soudain dans les conversations. Il y a cette France des territoires qu’on a vue naître et la dévalorisation de certains d’entre eux. Aux grandes métropoles, s’ajoutent les régions rurales délaissées : manque d’écoles, manque d’établissements médicaux, manque de transports. Sur ce dernier point, le TGV a participé à l'isolement de bien des régions. Avant le TGV, je faisais Paris-Metz chaque semaine dans un train direct. Après le TGV, je n’ai plus eu que des trains m’imposant jusqu’à deux changements. Cet exemple personnel n'est pas grand-chose. J'entendais à la TV le témoignage de cette femme  habitant en Île-de-France disant qu'avec les transports en commun, elle ne pouvait pas faire un aller-retour Paris dans la même journée !

Dans les échanges avec mes correspondants, reviennent aussi trois autres points : la difficulté des familles monoparentales à survivre financièrement,  la formation personnelle et l'automobile. Sur les deux premiers points, voici le sentiment d'une interlocutrice travaillant dans une organisation humanitaire  :

« Par ailleurs, comment régler les problèmes de société comme les nombreuses séparations de  couples  qui plongent  les femmes avec  enfants dans la précarité et qui se plaignent à juste titre ? Où sont passés les hommes ?  Que font-ils de leurs salaires éventuels ?  Comment à notre époque des personnes de la trentaine se trouvent encore sans aucune qualification ? Il faut peut-être en effet commencer par la formation, ce que le gouvernement veut d’ailleurs faire. Et que dire d’une société qui pousse toujours à plus de consommation, ce qui plombe les petits budgets."

La voiture, elle, est devenue un point récurrent dans ce mouvement des gilets jaunes. Bien des "améliorations" techniques sont également la cause de dépenses supplémentaires pour les gens. Il est difficile de faire un voyage de cinq cents kilomètres et d'emprunter un périphérique urbain sans prendre une contravention ; à titre personnel, j'ai été sanctionné une fois en 46 ans  pour excès de vitesse. Les quatre dernières années, cinq légers dépassements m'auront coûté quelque trois cents euros. Et je ne pense pas conduire plus dangereusement qu'auparavant. Je n'ai jamais eu d'accidents provoquant des blessés. Il suffit de se faire prendre à 76 au lieu de 70 à une décélération précédant un péage pour que la facture s'alourdisse. Est-ce une bonne idée de confier la surveillance radar, en particulier à l'aide de voitures banalisées, à des sociétés privées dont on sait qu'une des principales logiques est de faire du chiffre d'affaire ? Ajoutons les contrôles techniques, toujours plus minutieux, donc plus chers, l'augmentation du prix des péages. On comprend que, pour ceux qui utilisent chaque jour la voiture pour aller au travail, la taxe écologique sur les carburants soit restée au travers de la gorge. Il semble bien, au total, que les instances de décision concernant la vie quotidienne se soient trop éloignées des usagers et des consommateurs. D'où cette impression d'abandon d'une population qui ne comprend plus rien et se détourne des politiques. 

Changeons de sujet. En « Espace horizons », vous trouverez une nouvelle page sur le Québec intitulée "Basse-côte Nord". J’y relate un voyage fait en 2006 sur le Nordik Express, un bateau qui relie Rimouski, sur la côte sud du Saint-Laurent à Blanc-Sablon, sur la côte nord. Il faut sept jours pour effectuer l’aller et retour, en desservant les divers bourgs ou villages qui ne sont reliés par aucune route (la route s’arrête à Natashquan). Dépaysement garanti. On mesure la solitude des populations contraintes à vivre en grande autarcie, autarcie que vient juste contester, pour quelques mois d'été et d'automne, le passage du Nordik Express (aujourd’hui c’est un autre bateau) qui apporte une bonne partie du nécessaire pour vivre, des pneus de quads à la pharmacie, en passant par les conserves, les vêtements, les meubles. Ce voyage est une bonne occasion de se pencher sur la situation des premières nations au Québec. Il existe en particulier une communauté importante d’Innu à La Romaine. Au Canada, une « paix des braves » a été signée entre les premières nations habitantes des lieux et les gens d’origine blanche. Les groupes amérindiens ont leurs droits, gèrent la vie commune, reçoivent des aides. Si les choses se présentent mieux qu’au Chili, où l’identité indienne, celle des Mapuche par exemple, est carrément niée (la revendiquer constitue un délit passible de prison), la reconnaissance de l’identité amérindienne ne va pas sans soulever des difficultés. Comment, par exemple, ne pas s’enfermer dans cette identité ? Comment la préserver si on se marie à un québécois d’origine blanche ou à un allogène ? La perte des pratiques de vie des ancêtres, le changement des habitudes alimentaires, le chômage, l’assistance financière posent des problèmes qui ne sont pas toujours simples à régler.

Il se trouve que je lis, ces temps-ci, un livre de mon amie Micheline Simard, Le chamanisme initiatique enseigné par Aigle bleu, éditions Véga, 424 pages, 23 euros. L’auteure y consigne l’enseignement qu’Aigle bleu dispense au travers de sessions un peu partout dans le monde. Cet enseignement initie à neuf niveaux qui vont de l’individu, à la famille, à la communauté jusqu’à la conscience universelle. J’apprends énormément sur cette façon tout autre de vivre dans le monde, en supprimant les techniques qui ont envahi nos vies. Je suis ici dans l’édification de l’autel tortue, nécessaire à chaque habitation, sur quoi l'on pose de l’eau, de la farine, une pierre… Je reçois l’enseignement sur les ancêtres, sur les quatre points cardinaux qui sont chacun un « grand-père », je m’initie à la force magnétique des cristaux, aux cycles de la lune, aux saisons… Toutes ces choses recueillies dans ce livre me disent aussi quel éloignement s’est produit dans les sociétés productivistes occidentales par rapport à cette sagesse que les Amérindiens cultivaient pour respecter la Terre-mère.

Tout en lisant l'ouvrage, je consulte, par petits extraits, un autre livre totalement différent. Il s’agit du journal de Fabrizio de André, le chanteur originaire de Gênes, dont j'ai déjà parlé. Faber, comme il se faisait appeler, nourrissait une grande sympathie pour la révolution sociale, espérant voir un jour les injustices et les inégalités régresser dans ce monde. Dans son journal, il note, bien sûr, les désillusions qu’il a éprouvées en cultivant une telle utopie. Mais, il a gardé un intérêt très fort pour les déclassés ou les gens maltraités par la vie, qu’ils soient Roms ( cf. sa chanson Khorakhanè), Indiens (Sand Creek). Un de ses albums est même devenu si symbolique de cet intérêt que les gens appelaient  le CD « l’Indien ». Dans  la chanson Sand Creek, il rapporte le massacre d’une communauté amérindienne du Colorado, survenu en 1864, par le fait d’un colonel nommé Chivington. Deux cents Cheyennes, hommes, femmes enfants y furent anéantis. Faber écrit : «  Dans ce camp indien, il n’y avait que des vieux, des femmes et des enfants, les guerriers étant à la chasse. Ce fut un total massacre, avec un tas d’ablations « de souvenirs » : parmi ces souvenirs se distinguaient, par la finesse de leur réalisation, des blagues à tabac faites avec des seins évidés de squaws, telles des pièces à conviction, elles furent exhibées, deux jours après le massacre, dans le théâtre d’un bourg voisin. Inutile de dire que le colonel Chivington fut promu général et presque élu sénateur des Etats-Unis »  (Fabrizio de André, Sotto le ciglià chissà, Mondadori, 2016, p. 57. Je traduis). Ce bref extrait du journal de De André m’a poussé à retourner au plus vite à la lecture de l’enseignement du sage Aigle bleu. 

 
 
Bonne année. Décembre 2018.

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30 décembre 2018. Bonne année.

À tous les lecteurs de ce site, mes meilleurs vœux 2019. Je ne suis pas un chanteur, une vedette de télévision, un penseur people, vos visites sont donc plus chichement comptées sur le petit appareil que je suis le seul à voir. Elles ne sont pas miséreuses, loin de là, et cela me réjouit. C’est pour moi une bonne façon de vous annoncer mes publications et de vous tenir au courant de mes activités.

A tous santé, sérénité et rêves, en ce monde passablement agité, il faut en convenir. Dans « Quoi de neuf ? », j’évite généralement les sujets politiques, je préfère parfois digresser sur des faits de société et de culture, au fil de mes voyages ou de mes lectures. Les voyages, cette année 2018 ont été plus restreints, mais les lectures ont continué, et l’écriture également. L’année nouvelle verra la publication d’un Gargantua et la finalisation d’un roman jeunesse, contemporain cette fois, après mon Laomer, très bien accueilli par la critique et les lecteurs.

Très bonnes fêtes et vivement 2019.

Pédophilie et Église catholique. janvier 2019.

 

Le procès du Cardinal Barbarin qui s’ouvre le 7 janvier 2019 constitue à coup sûr un grand événement pour l’église catholique de France qui doit enfin s’expliquer sur son fonctionnement interne devant les instances de la république où elle vit. Ce n’est pas encore une chose très courante, mais il faudra s’y habituer. Étrange, d’ailleurs, de constater comment le cardinal a du mal à adopter le langage adéquat. On lui parle un langage juridique, il répond dans un langage spirituel demandant au « Seigneur que s’accomplisse le travail de la justice » et qu’il « guérisse le cœur des victimes d’actes de pédophilie ». Je suppose que les victimes en question seront ravies d’apprendre qu’un cardinal prie pour que leur cœur soit guéri… J’ai souvent constaté cette incapacité des cardinaux et des évêques à intégrer un autre langage que celui de la communion spirituelle. J’espère quand même qu’ils savent l’abandonner s’il leur arrive de demander les services d’un chauffeur de taxi, de parler plantations à un pépiniériste, ou de consulter un médecin. Appeler un chat un chat…

La pédophilie du clergé empoisonne l’église catholique depuis des décennies, même si l’on découvre son ampleur depuis peu. La Croix, journal catholique qui, en cette matière, a pris le parti de livrer l’information très clairement, consacre en date du 4 janvier un article sur la scabreuse affaire de la Légion du Christ :  « Le Vatican n’en a pas fini avec le scandale de la Légion du Christ, cette puissante congrégation conservatrice qui a été ébranlée dans les années 2000 lorsque les turpitudes en tous genres (abus sexuels et spirituels, abus de faiblesse, double vie, toxicomanie, manipulations diverses, plagiat, infraction au droit canonique, etc.) de son fondateur, le Mexicain Marcial Maciel, ont enfin été révélées au grand jour. Benoît XVI avait invité en 2006 Marcial Maciel à se retirer dans son village natal et à y mener une vie de pénitence et de prière (il est décédé depuis), puis soumis en 2010 la congrégation à une « visite apostolique », c’est-à-dire à une enquête ecclésiastique. À sa suite, les principaux dirigeants ont été remplacés et des réformes lancées. » Ce même article rapporte que le Vatican aurait été très tôt au courant des agissements du M. Maciel qui aurait bénéficié de protections de hautes personnalités : « Selon un cardinal brésilien membre de la Curie, le Vatican disposait depuis 1943 de documents sur l’inconduite du père Maciel, fondateur des légionnaires du Christ ». « Cependant, bien des interrogations demeurent sur les complicités dont le père Maciel a pu bénéficier. Des victimes du fondateur et d’anciens légionnaires n’ont en effet cessé d’affirmer que de telles complicités avaient existé jusqu’au niveau le plus élevé du Vatican, sous les différents papes, pendant soixante ans. Mais, jusqu’ici, la lumière n’a jamais vraiment été faite » (La Croix du 4 01 19, par Paola Boyer).

J’ai commencé à être alerté sur la pédophilie dans le clergé catholique par un universitaire québécois, rencontré au milieu des années 80. Le professeur Jean-Guy Nadeau étudiait le problème pour l’Amérique du Nord. Les informations sur les pratiques pédophiles en Europe sont apparues plus tard dans les média. On en voit l’ampleur aujourd’hui, une ampleur d’autant plus surprenante que beaucoup, comme moi, n’ont rien vu venir. Jean-Guy Nadeau s’était même gentiment moqué de moi quand je lui avais affirmé que ce devait être un problème typiquement américain !

Aujourd’hui, les États-Unis ont gardé une grande avance par rapport à l’Europe dans la recherche des faits de pédophilie. Je lis sur Internet, les lignes suivantes : « Les informations révélées mercredi 19 décembre 2018 sont vertigineuses. Dans l’Illinois, État industriel du nord du pays, près de 700 membres du clergé avaient été accusés d’agression sur mineur ces dernières décennies, sans que la plupart des cas ne fassent l’objet d’enquêtes particulières. Mais si cette affaire interpelle par son ampleur, elle n’est pas la première du genre à secouer l'Église américaine. En décembre, l’ordre des jésuites avait par exemple publié une liste de 200 noms visés par des accusations crédibles depuis les années 1950. Avec notre correspondant à New York,  Grégoire Pourtier ».

 Le débat touche bien à la « gestion interne » qui conduisait l’Église à déplacer le prêtre ou le religieux, sans se soucier ni du sort des enfants abusés, ni du fait qu’on le laissait en contact avec des mineurs dans son nouveau poste. Comment une telle indifférence envers les victimes a-t-elle été possible ? Telle était et demeure la question du professeur Nadeau.

Un élément de réponse est à chercher dans le fait que, toujours soucieuse de la respectabilité de ses cadres, l’Église a pratiqué une sorte de réalisme politique. « Il ne faut pas que l’on soupçonne la femme de César », me disait un jour un prêtre sulpicien. En d’autres termes, il ne faut pas que l’on soupçonne les responsables cléricaux, et je ne pense pas que cet exégète renommé avait trouvé cette phrase dans l’évangile.  Bref, on couvrait, on gérait en interne. Moi qui suis tombé dans le chaudron de l’église catholique à ma naissance (sans bien sûr qu’on me demande mon avis !), j’ai souvenir de cette aura sacrale dans laquelle baignait le clergé. Une absolue et non contestable respectabilité. Tout ceci se vérifiait dans les régions traditionnellement catholiques : Normandie, Bretagne, Vendée. Un recteur breton, un doyen vendéen ou normand, dans les années 50, c’était quelqu’un ! Et si quelque chose venait égratigner cette respectabilité, c’était non pas la pédophilie mais le mariage d’un prêtre ou d’un religieux. Dans ces régions ultra-catholiques, l’homme-qui-avait-failli n’avait plus qu’à déménager, emmenant son épouse dans une contrée lointaine s’il ne ne voulait pas être marqué à vie comme défroqué. Il est vrai que dans les années cinquante, le statut de divorcé, très rare, ou encore celui de protestant, très rare lui aussi dans l’ouest de la France, était à peine plus enviable.

Question respectabilité, les choses ont heureusement changé puisque des évêques, de nos jours, doivent répondre, devant la justice de divers pays, des motifs de leur silence à propos de prêtres pédophiles. Des condamnations sont tombées. Rappelons-nous, pour la France, en 2001, celle de Monseigneur Pican, évêque de Bayeux, condamné à trois mois de prison avec sursis pour non dénonciation d'un prêtre pédophile. Il reste que le problème est loin d’être résolu. Une ancienne étudiante m’a parlé récemment de son fils, abusé par un prêtre catholique. Il n’arrive pas à se reconstruire. L’évêque a téléphoné à la mère. Elle m’a dit que les mesures alléguées à l’encontre du prêtre lui sont apparues pour le moins peu réalistes et contredites par ce qu’elle a appris par ailleurs.

On ne mesure pas toujours très bien le hiatus énorme qui a existé pendant toutes ces années dans l’Église catholique. Je m’explique. La congrégation romaine dite « pour la doctrine de la foi », anciennement le Saint-Office (ce mot « saint » dont on use et abuse pour les choses qu’on fait ainsi passer indûment du profane au sacré) exerce depuis des décennies un contrôle sourcilleux sur les déclarations des théologiens, scrutant le moindre paragraphe, la moindre ligne de leurs écrits. Au XXe siècle, cela commença dès le début, avec la crise moderniste, et continua sous la plupart des papes, sous Pie X, sous Pie XII qui fut particulièrement dur pour les théologiens, et bien après, pendant le Concile et au delà. Des théologiens célèbres, tels les Pères Congar, Chenu, de Lubac, Schillebeeckx, furent convoqués à Rome, sommés de s’expliquer sur leur théologie, leur conception des rapports entre la nature et la grâce, la présence réelle eucharistique, la « supériorité » de l’église catholique sur les autres églises, et j’en passe. Rien ne leur fut épargné. Ils étaient soupçonnés et avaient peu de chances d’être entendus dans une église qui ne pratiquait pas les règles de la démocratie (pas d’avocat auprès d’eux) au prétexte qu’elle se disait « communion ». Sur ordre de Rome, des enseignants furent destitués de leur charge, privés de leur chaire et obéirent immédiatement, en bons religieux qu’ils étaient. Ils ne devaient pas « faire du tort à la foi des plus humbles », comme le disait la sacrée Congrégation qui savait, elle, bien évidemment, qui étaient les humbles et ce qu’était leur faire du tort. J’ai eu récemment, hors de France, le témoignage d’un théologien laïc, père de famille, sommé de s’expliquer devant la sacrée congrégation romaine parce que soupçonné de promouvoir la « théorie des genres » (qui déclare qu’on ne naît pas fille ou garçon, mais qu’on le devient) dans un article où il n’avait fait qu’exposer la problématique, sans prendre aucunement parti. Avait-il fait du tort à la foi des plus humbles en publiant, dans une revue spécialisée tirant à quelque… cinq cents exemplaires ( !), un article où il mentionnait une question, sans prendre position ? Il faut savoir que s’il avait refusé de répondre et de s’expliquer, c’est sa chaire d’enseignant qui aurait été mise en cause. Or ce père de famille a besoin de son enseignement pour vivre.

Voilà donc le hiatus : comment a-t-on laissé des prêtres et des religieux pédophiles exercer leur ministère, sans aucune sanction autre qu’un déplacement géographique, qui ne les empêchait pas de rester au contact de jeunes, alors que dans le même temps, une expression jugée malvenue d’un théologien à propos de dogmes auxquels le chrétien de base ne comprend généralement rien était inexorablement sanctionnée ?

Je crois qu’une bonne partie de la réponse tient au fait que l’église catholique se veut d’abord et avant tout une orthodoxie. Vous devez affirmer que Jésus est réellement présent dans l’hostie. Que vous n’y compreniez rien ou pas grand chose est égal. Vous devez y croire ! Ce qui compte d’abord, c’est l’expression de la foi et du dogme. Affirmez que Jésus est le fils de Dieu, sinon, vous êtes excommunié. Fils de Dieu, c’est écrit dans les textes fondateurs de la foi chrétienne. Vous devez donc dire « fils de Dieu ». Mais à moins que vous ne soyez théologien, personne ne viendra vous inquiéter si ce que vous mettez dans  une telle expression est correct ou non. Par exemple, je peux imaginer un Jésus dispensé de souffrir, pas vraiment mort sur la croix puisque Dieu ne meurt pas, et de retour sur terre comme un super-héros. Qu’importe ! L’Église catholique fonctionne ainsi : une orthodoxie par les mots. Son pouvoir, elle le tire des mots. Si vous prononcez les expressions du dogme, alors on vous laissera en paix.

Rappelons que certaines religions ne sont absolument pas des orthodoxies. Le chamanisme, par exemple, n’est ni une orthodoxie ni même d’ailleurs une religion. Il s’agit plutôt d’une sagesse pratique, applicable à tous les instants de la vie, pour gérer l’individu, la famille, le clan, la Terre. Les grandes religions asiatiques, elles aussi, sont plus à classer dans les sagesses de vie que dans les systèmes d’orthodoxie. Autre exemple avec le judaïsme rabbinique. À son sujet, certains parlent d’orthopraxie – traduisons « conduite droite » –  ce qui est une bonne approche de la question. Il y a en lui une part de sagesse pratique, faite de rites communautaires et familiaux. L’application que l’on met à avoir une conduite droite en pratiquant les rites de la Loi (la Tora) libère l’esprit pour penser la question de Dieu. On est volontiers questionneur, dans le judaïsme, à propos de Dieu, et cela ne gêne personne. Ainsi, le philosophe juif E. Lévinas insiste-t-il sur le fait qu’en donnant sa Loi, Dieu s’est fait absent, et c’est la Loi (Tora) qu’il faut regarder et accomplir. C’est elle qui garantit le comportement juste. C’est pourquoi Lévinas écrit qu’il faut « aimer la Tora plus que Dieu ». On voit mal un chrétien dire qu’il faut aimer la Bible plus que Dieu !

Centrée sur le dogme, ayant passé des siècles à construire du corps dogmatique, allant jusqu’à briser par la torture des corps humains, ceux des sorciers et autres hérétiques, l’église catholique a étrangement laissé flotter, dans les domaines qui ne touchaient pas au dogme, mais à la simple morale, des comportements carrément aberrants qui, aujourd’hui, explosent en public. C’est le cas avec la pédophilie.

On pourrait parler d’autres sujets tout autant négligés, l’argent par exemple. L’argent ne touche pas à l’orthodoxie, donc on a laissé faire. Qui ne se souvient des scandales autour des finances du Vatican, du Banco Ambrosiano et du « suicide » de son banquier sous un pont de Londres, des soupçons de blanchiment d’argent par le biais de la banque vaticane ? Ceci se passait sous le pape Jean Paul II. Ce pontife fort médiatisé n’avait pas pour premier souci de se mettre au clair avec les questions financières, pas plus qu’il n’avait le souci de l’option pour les pauvres développée dans les communautés de l’Amérique du sud où nombre de théologiens qui avaient pris le parti des pauvres, furent condamnés par crainte de glissements vers le marxisme.

Preuve que l’église hiérarchique ne lui a pas tenu rigueur de ses « faiblesses » : ce pape fut proclamé saint huit années seulement après sa mort, ce qui est un délai très court en la matière. Donc proposé à la vénération des fidèles pour… l’exemplarité de sa vie.

Pour en revenir à la pédophilie, il ne manque pourtant pas de « sacrées congrégations » qui auraient pu intervenir. Il existe en effet, à la curie romaine, une congrégation pour les évêques, une autre pour le clergé, une autre pour la vie religieuse. Ce ne sont donc pas les instruments qui ont manqué. Et je reviens à ma thèse de départ : en tant qu’orthodoxie, l’église catholique a toujours été plus sensible aux dommages supposés causés aux dogmes qu’aux sévices moraux et physiques causés par le clergé. En d’autres termes, vous êtes jugé infiniment plus coupable si vous cherchez à comprendre le dogme et que vous utilisez, pour cela, des formules philosophiques estimées fausses par vos juges de la Curie que si vous abusez physiquement d’un enfant. Dans le premier cas, on pourra aller jusqu’à vous exclure de la communion catholique (vous êtes excommunié !) ; dans le second cas, on vous considérera comme gravement pécheur et l’on vous suggérera de vous retirer dans votre village d’origine pour faire pénitence, comme le fit Benoît XVI pour le fondateur de la Légion du Christ. À tout péché, miséricorde ! 

Ce ne sont pourtant pas les déclarations sur l’éthique chrétienne en matière de sexe qui ont manqué ces dernières décennies, depuis l’interdiction de la contraception par le pape Paul VI, en 1968, avec l’encyclique Humanae vitae. Mais la pédophilie dans le clergé ? Ce marais glauque ébranle actuellement les fondations d’une église qui s’est voulue citadelle de la vérité et n’a pas su protéger les plus faibles. Elle n’a même pas voulu regarder les blessures des victimes du clergé. Exactement le contraire du bon Samaritain qui, voyant un blessé sur le bord de la route, s’arrête et prend soin de lui et le conduit à l’auberge et donne de son temps et de son argent pour l’aider. Ce Samaritain –  soit dit en passant : un hérétique aux yeux des Pharisiens de l’époque –, est donné en exemple par Jésus parce qu’il s’est fait proche d’une victime de brigands. Preuve qu’il y a bien, dans l’évangile, les ressources pour venir en aide aux victimes, mais preuve également, s’agissant du clergé, qu’on les a étrangement occultées.

Basse-côte nord du Saint-Laurent. 9 janvier 2019.

Avec le voyage en Basse-Côte-Nord, réalisé en 2006, s’achève la troisième et dernière page que je consacre au Québec enEspace Horizons. Monter ce voyage 12 ans après m’a rappelé bien des souvenirs. Le voyage se fait le long d’une côte austère. On passe de la forêt à la taïga et à la toundra, les rochers se dénudent. Impression d’être au bout du monde, même si je suis par ailleurs monté beaucoup haut dans l’hémisphère boréal, au Svalbard et au Groenland.

Je recommande particulièrement la dernière vidéo sur Blanc-Sablon. Nous en avons gardé un souvenir cocasse. Débarquer à 19 heures, c’est-à-dire en pleine nuit, être attendu sur le quai par un bus qui, pour 15 dollars, vous propose de faire la visite de la ville,  alors que vous ne voyez absolument rien, est une expérience à ne pas manquer. Nous n’avons vu de Blanc-Sablon, située à la frontière du Québec et de la province de Terre- Neuve et Labrador, que quelques faibles lumières, si l’on excepte l’éclairage fort généreux du magasin aux souvenirs où il est dit que tout voyage touristique est condamné à aboutir. Restent aussi les lumières de l’île de Terre- Neuve, au loin. Qu’avons-nous appris au cours de cette visite en bus ? Que le chauffeur, un homme du pays, parlait une langue assez étrange, même aux oreilles des touristes québécois qui étaient avec nous. Une vraie leçon d’ethno-linguistique, pour finir le voyage-aller en beauté. 

 
L'ami Robert Descôtes. 4 évrier 2019.

 

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Chaque mois, chaque semaine, trop souvent, vient s’allonger la liste de ceux que le vent mauvais emporte. Ils ne viendront plus cogner, sonner, ils n’appelleront plus ; leur numéro de téléphone, leurs références informatiques ne seront plus, subitement, de saison. À mesure que j’avance en âge, je mesure avec douleur ces trous qui se forment dans le tissu coloré de la vie. Des trous de mite géante, d’une espèce fort discrète. À vrai dire, il n’existe qu’un seul individu dans cette espèce mutique et térébrante. On multiplie les noms – la camarde,  la faucheuse – mais il s’agit bien toujours et uniquement de la même mite géante, à l’appétit gargantuesque. J’ai gardé un souvenir très fort du premier film de Bergman vu à vingt ans. Dans Le septième sceau, la mort suit le chevalier rentrant de croisade par des contrées ravagées par la peste. Il joue aux échecs avec la Mort. Il espère bien gagner, grâce à une petite tactique, sa botte secrète, qui fera chuter l’adversaire. La petite tactique, il s’en ouvre au confesseur encagoulé dans le confessionnal où il se délivre de ses péchés. Las ! Le confesseur n’est autre que la mort dissimulée. Échec et … mat. Mat est un mot de racine sémitique, qu’on retrouve en arabe comme en hébreu. Mat, mawet, môt, mout, la mort, mourir. On ne met pas la mort mat. C’est son essence propre de l’être. Mat, elle l’est depuis que l’homme existe. Comment pourrait-ton lui infliger ce qu’elle est déjà ?

Quand il sonnait à ma porte, l’ami Robert, viticulteur de son état, me lançait toujours une salutation rhétorique, habilement préparée. Le visage fermé, avant même le « bonjour », il m’annonçait, qu’il « roulait sur les jantes », ou qu’il « rétropédalait ». Je lui serrais la main, nous allions au jardin voir les vignes et les poissons du bassin. J’apprenais alors le motif de son air sombre, qui d’ailleurs déjà s’éclairait et finirait bientôt en plaisanteries. Il régnait un air d’oïdium sur les vignes, ou bien Robert n’avait rien pris à la chasse. Les palombes l’avaient repéré avant même qu’il pointe son fusil ;  elles l’avaient snobé en filant dans la force du vent. Les palombes, ses amies, passant par milliers au ras des champs dénudés de la Champagne. Il prélevait sa quote-part, les redistribuant, plumées et prêtes à cuire, à ses amis. J’ai beaucoup appris sur les palombes grâce à Robert, leur mode de vie, leur intelligence, leur science du vent. Il traquait aussi le gros, dans les battues de sangliers, sur la montagne de Reims. Je l’ai bien entendu dix fois raconter ce jour où il était en poste depuis huit heures, à attendre l’improbable quand soudain, fatigué et inattentif, il vit la bête, immobile, à moins de dix pas. Et lui, tellement ébahi par cette épiphanie, avait armé, visé et manqué l’animal ! Une bête énorme, à laquelle seuls les contes, les légendes et les récits de Robert savent donner leur monstrueuse grandeur. Nous allions à la pêche avec lui, dans la Meuse. Une activité plus paisible, contemplative. Nous observions les mouvements de l'eau pendant qu'il pêchait, et préparions les sandwiches. 

Un viticulteur ne chôme pas. Il est dans son vignoble tous les jours. Six mois, à longues journées, pour la taille qu’on commence dès l’automne. Sept minutes par pied, 7500 pieds à l’hectare. Ajoutons la taille en vert, en juillet, les traitements, le dessouchage des vieux ceps, des plantes malades, voilà de quoi remplir une vie. Quand il taillait mes six malheureux pieds de vigne, Robert faisait mon éducation à coups de sécateur, critiquant ceux qui taillent trop long, alors qu’on croit avoir taillé court. Il me concoctait des potions magiques, du sequestrène pour favoriser la pousse, éviter la chlorose, du jus de citron mélangé à je ne sais quelle autre substance pour badigeonner les rameaux après la taille et éviter que la vigne ne pleure. Robert s’était fait opérer des épaules, des épaules de travailleur, comme avait dit le médecin.

Il vivait comme un sage, ne buvait pas d’alcool, même pas du champagne, ne cultivait pas les goûts de luxe. Mais il n’hésitait pas à suivre ses passions sur les marchés et dans les brocantes. Il aimait les assiettes anciennes, collectionnait les cartes postales sur la Champagne, celles surtout qui lui rappelaient son enfance. Il en connaissait un rayon sur les cerises, il me précisait des différences entre des appellations qui m’étaient inconnues, allait jusque dans les Vosges pour s’en procurer, des belles, celles qu’on pouvait mettre en bocal, avec de l’alcool, laisser dormir avant d’ajouter un sirop fait à partir d’un vin de Bourgogne, « comme faisait la maman ». Je n’oublie pas les champignons. Il avait ses coins secrets, et nous faisait l’honneur, Hélène et moi, de nous mettre dans la confidence. Il fallait s’attendre à marcher beaucoup. Robert identifiait le champignon avant même que je l’aie aperçu. Une seule fois, j’ai été plus rapide que lui. Il cherchait un coin à trompettes-de-la-mort, et ne le trouvait pas. C’est moi finalement qui le lui indiquai. Plusieurs années après, il jouait encore les offensés d’avoir été devancé par le novice que j'étais. 

La Champagne lui suffisait. Il en sortait rarement. Une sœur ayant émigré au Québec vers les années 50, il s’y était rendu. Un de ses récits cent fois raconté était la chasse aux oies des neiges, qui font étape, dans leur migration, sur les battures du Saint-Laurent. Il s’était levé aux aurores, les amis québécois l’avaient emmené du côté de l’île aux grues, mais ils faisaient tant de bruit, racontait Robert, qu’ils n’en tuèrent pas une seule.

Une hospitalisation m’a empêché d’être présent à l’inhumation de l’ami Robert. Alors, promis, au printemps, je me rendrai sur sa tombe. Je n’oublierai pas de lui parler de son chanteur préféré, G. Brassens. Il en connaissait par cœur bien des chansons. Quand il venait à la maison, il me demandait de lui passer toujours la même, Les passantes, paroles de Paul André, mises en musique par G. Brassens. Il aimait l’écouter dans la version italienne qu’en fit Faber, à cause du diaporama de portraits de visages féminins qui l’accompagnait. Promis, Robert, je déposerai le texte des Passantes sur votre tombe. Vous pourrez le chanter dans l’au-delà, seul ou avec un chœur d’anges musiciens.

Réaction de lecteurs à la pédophilie. 4 février 2019.

 

De terre-Neuve (Canada)

Bravo pour votre papier sur la pédophilie. Je suis devenu membre du conseil paroissial depuis quelques mois, et j'ai présenté au conseil un petit texte d'un moine bénédictin que je connais bien, qui va dans le même sens que le vôtre. Le curé de la paroisse, un saint homme des Philippines qui, malheureusement, a une théologie du XIXe siècle, essayait de minimiser les effets sur les fidèles, disant que ce sont des affaires qui affectent surtout d'autres pays loin de nous. Il ignorait que notre paroisse a eu un curé condamné à une peine de prison pour la pédophilie. Les autres membres du conseil, tous et toutes des  professionnels à la retraite, ont parlé de leur tristesse et colère devant ces scandales qui sont arrivés et qui arrivent encore.

Et l'avenir...

Robert H.

 

Du 91 (Essonne)

J’ai lu votre écrit sur la pédophilie dans l'église catholique avec beaucoup d'intérêt. Votre approche me paraît pertinente pour expliquer les positions de la hiérarchie catholique. Mais le silence de la hiérarchie ne me paraît pas suffire à expliquer l'étendue du mal. Cela reviendrait à dire que la "répression" aurait suffit à arrêter les déviances. Je ne le crois pas. Il faut se demander pourquoi cette institution est autant gangrenée par la pédophilie. Existe-t-il même une autre institution aussi gangrenée par cette déviance ? À ma connaissance, non. Je ne crois pas que les prêtres  choisissent "ce métier" avec le projet de devenir pédophiles. Ils espèrent être en mesure de vivre le célibat sans trop de difficulté, ou renoncent si cela leur paraît irréaliste. La formation au séminaire, la vie fraternelle pendant cette  période, occultent la difficulté. Je pense donc que pour l'essentiel, la déviance pédophile tient au célibat imposé. Face à l'exigence de relations amoureuses avec une femme (ou un homme), ou plus basiquement face aux pulsions sexuelles, le prêtre tire profit de sa position d'autorité et s'en prend aux plus faibles, les enfants. C'est sans doute plus simple pour beaucoup  que de gérer une relation amoureuse clandestine ou de défroquer. Je ne sais pas ce qu'il en est dans le protestantisme, mais je suis persuadé  que le mal n'est pas aussi développé. Avez-vous une autre explication ? Je crois qu'il faudrait compléter votre écrit en y ajoutant un chapitre sur les moyens de remédier au développement de la pédophilie dans l'église. Le contact avec les enfants est certes propice au développement de la pédophilie. Il y a des cas dans l'éducation nationale ou les institutions périscolaires. Ces institutions ne sont pas non plus des modèles lorsqu'il s'agit de se tourner vers la justice. Mais je pense que le mal est beaucoup moins étendu.

Je pense qu'il ne suffit pas de traiter les conséquences et qu'il n'y a pas de raison de ne pas exiger d'une institution, quelle qu’elle soit, de s'attaquer aux causes de son incivisme.

René L.

 

Enfin, j’ai regardé La déchirure, sur la prise de Phnom Penh, en avril 1975. 19 mars 2019.

 

 J’ai enfin regardé le film « La déchirure », que j’avais évité depuis sa parution, en France, en 1985. Je ne voulais pas en effet qu’il efface le souvenir d’une rencontre poignante faite en juin 1975 avec quelqu’un qui avait vécu la prise de la capitale cambodgienne, s’était ensuite retrouvé enfermé dans l’ambassade française jusqu’à ce que des camions l’exfiltrent avec tous les étrangers, à travers la forêt, jusqu’à la frontière thaïlandaise.

Il s’appelait Bernard Berger, il était missionnaire au Cambodge. Ma rencontre avec lui fut un pur hasard, et je ne pense pas, s’il venait à tomber sur ces lignes, qu’il en aurait gardé le souvenir. Rentré tout juste en France, il s’était réfugié chez son frère, un haut gradé de la marine nationale, qui commandait  alors un sous-marin nucléaire. Un de ses neveux faisait sa communion solennelle avec l’un des miens, à l’Institut Saint Paul de Cherbourg. Nous avons discuté dans la cour d’honneur de l'établissement scolaire.

Curé de la cathédrale de Phnom Penh en 1972, il avait donc vécu les années de guerre, la montée des Khmers Rouges jusqu’à ce matin du 17 avril 75 où les Khmers entrèrent sans coup férir dans la capitale. Quelques semaines après, il se trouvait perdu au milieu d’une fête solennelle d’un vénérable collège catholique où l’on célébrait, au moment de renouveler les promesses du baptême, la débordante bonté du Dieu  créateur, qui nous avait fait don d’une si belle nature, de la jeunesse, de l’exubérance du monde, de l’avenir. Lui, il avait en tête ses paroissiens qu’il avait vus emprunter la grande avenue qui conduisait dans la forêt. Jamais il ne les reverrait. Ils seraient abattus, la plupart du temps à coups de bâton pour faire l’économie des balles. Il avait encore l’image du responsable de l’aéroport et de sa famille, passant devant lui. Une des filles venait d’être opérée de l’appendicite. Elle aussi marchait vers son destin. Il me parla encore d’un autre religieux, le père Badré, un bénédictin têtu ; ce fut le seul religieux étranger à refuser de partir ( il fut, de fait, assassiné en avril 75).

Ce que j’ai encore gardé de ce témoignage :

            - la jeunesse des soldats, des adolescents, qui vous braquaient leurs kalachnikovs sous le nez sans l’ombre d’une hésitation. Ces enfants soldats, sevrés de morale et de simple fraternité, avaient été élevés pour obéir sans réfléchir, hors de leurs familles  (on voit dans le film un passage où un enfant endoctriné se lève et raie au tableau noir le lien entre les silhouettes adultes et les enfants qui les tiennent par la main). On a avancé, depuis, que les Khmers rouges avaient voulu faire du Cambodge un laboratoire que les Chinois n’avaient pas osé tester chez eux : refaire une société nouvelle, sans liens familiaux, le parti se chargerait de tout.

            - le père Berger décida de s’éclipser de l’ambassade pour rejoindre l’évêché. Son idée était de soustraire les registres de catholicité où étaient les noms des baptisés. Il se retrouva dans une ville et des bâtiments jonchés d’objets, certains de grande valeur, que les jeunes soldats khmers ignoraient superbement, faute d’en savoir évaluer le prix. Il chercha ce qu’il pourrait bien sauver et ramener dans l’ambassade et revint les mains vides, incapable d’établir un début de hiérarchie devant tant de choses inconsistantes.

           Longtemps après ce mois de juin 1975, j’ai été amené à rencontrer un couple de jeunes Cambodgiens. Le mari, Ch., et son épouse Sh., , s’étaient inscrits à un cours d’alphabétisation dirigé par Hélène, mon épouse. Ch. avait connu les camps de travail dans la forêt et en était ressorti, tout comme son grand frère, arrivé en France avant lui. Nous sommes devenus amis et gardons toujours le contact. Ils ont travaillé terriblement dur pour réussir, et ils ont réussi. Leurs enfants sont parfaitement intégrés dans la société française qui avait su accueillir ces réfugiés politiques. Nous n’avons jamais parlé de ce qu’ils avaient vécu au Cambodge. Un jour, un journaliste m’a demandé de leur faire la proposition d’une interview. Ils n’ont pas donné suite. Ce ne sont pas des gens à se mettre en avant. Ils ne désirent pas se distinguer, ne serait-ce qu’en donnant le simple récit de ce qu’ils ont vécu. Quant au missionnaire, le père Berger, j’ai suivi son retour en France par Internet. Il fut à l’origine de l’organisation de l’accueil des Cambodgiens revenus de l’enfer.

La suite de l'histoire du Cambodge, on la connaît. L’invasion du pays par les Vietnamiens (à force d’éliminer tous les gens instruits, techniciens, cadres, pour créer une société nouvelle, les Khmers avaient laissé une société inculte et sans défense). Responsable de près de deux millions de morts, le régime Khmer rouge mit des années à se déliter. Le jugement des responsables du génocide ? Un semblant de procès eut lieu pour Pol Pot, qui déclara ne rien regretter. Il est mort dans son lit à l’âge de 73 ans, en 1998. Quant à la politique occidentale, et particulièrement nord-américaine, dans cette horrible histoire, soutenant des régimes corrompus, il est clair qu’elle n’eut pas pour premier objectif le bien-être de la population. Mais de cela, instruits par d’autres conflits en Asie, nous nous serions bien doutés. La chose est d'ailleurs clairement dite dans le film, par le journaliste américain faisant son discours de réception du prix du journaliste de l’année. Je termine donc sur le film. Et j’ajoute que la musique m’a paru en plusieurs endroits racoleuse, commerciale et plaquée au récit. Pas à la hauteur de ce terrible drame humain.

Gargantua pour cet été. Nouvelles couvertures pour les chevaliers. 23 avril 2019.

 

Concernant les publications, je corrige actuellement les épreuves de Gargantua, à paraître dans la collection « Textes Classiques », dirigée par Jean-Philippe Arrou-Vignod. J’ai écrit ce texte avec grand plaisir. Il s’agissait de traduire et d’adapter le célèbre texte de Rabelais. Cela exigeait en fait pas mal de travail, le temps de lire l’œuvre, au volume assez imposant, et de faire des choix pour produire un livre destiné aux ados. Gargantua ne manque pas de passages salés et salaces, on le sait. Les spécialistes disent que ce n’est pas le plus lourd, et ils soulignent le fait que ces passages, loin d’être gratuits comme dans d’autres œuvres de Rabelais, s’intègrent plutôt bien dans l’ensemble du récit. Soit. L’ensemble du récit se présente sous la forme carnavalesque, bien soulignée par le critique russe M. Bakhtine, et s’organise autour d’un géant finalement bien sympathique. Mais il n’y a pas que du grandguignolesque dans le texte. Maître Alcofribas, le narrateur, nous en avertit dès le départ : si la forme est plaisante et frivole, elle contient une « substantifique moelle ». De fait, on se nourrit beaucoup dans Gargantua. Des tripes et des gaudebillaux, accompagnés de brocs de vin, d’abord ; mais aussi de la nourriture plus intellectuelle. Rabelais est un humaniste, certes très différent dans son expression, d’un Érasme ou d’un Montaigne. Mais son message est bien celui d’un humaniste : trop de guerres, trop de massacres, trop de gens assoiffés de pouvoir, trop de conflits religieux sanglants. La critique de l’Église catholique est aussi claire que celle qu’on trouve dans l’Éloge de la folie de son ami Érasme. Si l’abbaye de Thélème n’a rien, mais vraiment rien d’une abbaye, elle n’en ressort que mieux en tant qu’emblème d’un monde où la culture, le bon goût, le raffinement des sentiments devraient l’emporter. Mais nous n’en sommes pas là au XVIe siècle, et pas même de nos jours, hélas. Date de parution : août 2019.

Dans la même collection « Folio Junior.Textes classiques », voici les deux nouvelles couvertures de mes traductions-adaptations de Chrétien de Troyes. Elles sont l’oeuvre de François Roca, grand illustrateur, d’un genre très différent de celles qu’avait faites Aurélia Fronty, dans un style d’enluminures persanes. Je souhaite bonne chance à ces deux nouveautés.

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L’incendie à Notre-Dame de Paris. 20 avril 2019.

Ouvrant la télévision ce 15 avril 2019, vers 19 heures, j’ai ressenti en même temps le choc de l’information et l’énorme fascination des images de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Giono disait que l’incendie est un personnage à haut pouvoir romanesque. Il avait raison. Les photos et les vidéos du bâtiment en feu ont fait le tour du monde, rivalisant d’esthétique. Ainsi en va-t-il souvent des catastrophes sur lesquelles les photographes nous alertent. Le drame y perd de sa laideur. La fascinante beauté n’est jamais loin.

Quand on se tourne vers le passé, on s’aperçoit que les bâtiments publics, et parmi eux, les églises et les cathédrales, n’ont pas été épargnés par les incendies accidentels. Avant l’invention du paratonnerre, il n’était pas rare qu’un bâtiment soit touché plusieurs fois en l’espace de quelques décennies. Et n’oublions pas les destructions massives causées par les guerres. On en sait quelque chose avec la cathédrale de Reims, massacrée par les obus durant la guerre de 1914 et qu’il fallut quarante années pour remettre sur pied. Et que dire des tremblements de terre "naturels", qui atteignent la structure même des bâtiments, comme ce fut le cas à Assise, avec sa basilique aux fresques célébrissimes mises par terre en quelques minutes, puis très patiemment reconstruites ?

Aujourd’hui, l’un des moments les plus dangereux  pour les bâtiments historiques est la période où ils sont en travaux de rénovation. La cathédrale de Nantes, le théâtre de la Fenice, entre autres, nous le rappellent.

Les commentaires télévisés embraient sur les images pour dire la stupéfaction, décrire le désastre. Ils cherchent un début de rationalité, la trouvent à mesure qu’ils rassemblent les éléments d’information. On fait appel aux « spécialistes » pour étoffer le discours. Il existe des spécialistes patentés, par exemple chez les responsables des Monuments historiques. D’autres  sont là sans qu’on sache trop bien quel savoir on peut attendre d’eux. « Spécialiste des religions », c’est un champ bien large pour… un spécialiste ! Est-il compétent pour parler des religions d’Océanie, du Dalaï-Lama ou de Notre-Dame de Paris ? Qu’importe, le « spécialiste » trouvera toujours quelques paroles de bon sens devant un tel drame.

Les journalistes, eux, ne paraissent pas toujours à l’aise avec le sujet ! A propos des seize statues enlevées avant l’incendie, ils semblent avoir du mal à distinguer les apôtres et les évangélistes qui n’étaient pas tous apôtres (Marc, Luc n’étaient pas des apôtres, et les évangiles de Matthieu et de Jean,  au moins en leur état définitif, ne sont pas l’œuvre des apôtres du même nom). Quant aux apôtres choisis par Jésus, on apprend  de façon répétée que l’un d’eux s’appelait… Saint Thomas d’Aquin.  C’est tout juste se tromper de… mille deux cents ans. Saint Thomas d’Aquin est un illustre théologien du XIIIe siècle, né en Italie, ce qui fait quand même un peu loin de Jésus et de ses apôtres ! Qu’il y ait eu un Thomas apôtre et un Thomas d’Aquin, théologien scolastique, ne semble pas effleurer les journalistes. Ils n’auraient pourtant qu’à saisir sur leur clavier le nom de Thomas d’Aquin pour vérifier l’info. Je viens de faire le test, cela m’a pris vingt secondes. Mais personne, semble-t-il, n’en a l’idée. Quand on dit que la culture religieuse se perd ... Disons qu’il reste au moins les monuments, quand ils ne prennent pas feu.

L’information d’abord, mais l’interprétation n’est jamais loin. À qui appartient N.-D. de Paris ? Aux catholiques, aux Français, à la Nation, à l’État, au monde entier ? Par la littérature, Victor Hugo a fait entrer la cathédrale dans la mémoire universelle, Napoléon y a reçu la couronne impériale, un Te Deum y fut chanté à la Libération, les funérailles de F. Mitterrand y furent célébrées, Barack Obama et son épouse l’ont visitée… Un pan d’histoire s’écroule donc avec la flèche de Viollet-le-Duc. Il faut mettre tous ces éléments en place, faire du sens, et la chose n’est pas facile. D’autant que la politique reprenant vite ses droits, la polémique est prompte à faire éclater le fragile sentiment d’unité que le drame commençait à susciter. La France des riches donne immédiatement et fort, et le fait savoir. Le syndicaliste remarque que l’argent ne ruisselle pas partout de la même façon. France d’en-haut, France d’en-bas.

Le Président n’a pas pu tenir son discours annoncé pour l’heure où se déclarait l’incendie. Mais ne doutons pas que l’incendie saura se transformer en allégorie. La France est forte dans les drames, forte quand elle sait se rassembler, s’unir pour dépasser l’épreuve. Ensuite les clivages politiques reprendront le dessus, chaque berger retrouvera son troupeau et indiquera, de façon péremptoire, la direction à suivre.

La métaphore prend aussi un tour social, dans le discours d’associations pour les plus démunis. Comme N.-D. de Paris, bien des gens attendent un toit. À mon sens, cette métaphore touche juste et nous renvoie aux premières décennies du christianisme, quand les églises de pierre n’existaient pas, et que ceux qui s’appelaient « frères et sœurs » ou « disciples », ou « Nazôréens », ou « gens de la voie » pratiquaient l’entraide. Les croyants se réunissaient dans les maisons particulières, on en a le témoignage dans la lettre de saint Paul aux Romains où il adresse un salut à l’église qui se réunit chez Prisca et Aquilas (Rm 16, 5). On note au passage que le mot église, comme partout chez Paul, vise les gens et non un quelconque bâtiment. Église – en latin ecclesia, en grec ekklèsia – a même racine que le verbe grec « kalein » qui signifie appeler. L’ekklèsia, l’église, c’est le groupe vivant qui se réunit sur appel, sur convocation. La première lettre de Pierre parle des croyants comme étant des « pierres vivantes » appelées à construire un édifice spirituel (1 P 2, 5). Certains croyants, d’origine juive, se rendaient bien dans un bâtiment, à savoir leur synagogue. La foi en Christ ne leur paraissait pas être une « nouvelle religion » ; elle était fort compatible avec la pratique juive. Ce n’est que vers la fin du 1er siècle que les choses se gâtèrent et que bien des juifs partisans de Jésus furent exclus des synagogues.

C’est dire que l’idée de bâtir une église ou une cathédrale n’était pas de saison au premier ou au deuxième siècle. C’est quand l’empire devint chrétien, au IVe siècle, que des églises de pierre fleurirent partout dans l’empire. Le christianisme se fabriqua alors à partir de cette association de visibilité politico-sociale et de foi.  Il se fabriqua à force de lois impériales, de constructions terrestres, d’élaboration de corps de doctrine. On dit que cette sorte de « frénésie » de faire du corps (bâtiments, doctrine, dogme, corps eucharistique…) était finalement une façon de gérer l’absence du corps du Christ, soustrait, par la résurrection, à l’emprise des humains. De fait, l’originalité du christianisme, c’est d’être né d’une soustraction : celle du Christ soustrait aux humains, puisque monté au Ciel. Les chrétiens n’ont pas de corps de leur fondateur à honorer puisqu’il a disparu.  Qu’importe ! Les pèlerinages vers les « lieux saints » se mirent en place, on en a des témoignages dès le IVe siècle avec le pèlerin de Bordeaux et le journal d’Éthérie. On ramena des reliques, telle la couronne d’épines achetée à prix d’or par Louis IX, une des reliques les plus estimées du trésor de Notre-Dame de Paris. J’ai déjà parlé de l’importances des reliques au Moyen-Age. Je n’en dirai pas plus ici.

Notre-Dame sera restaurée et retrouvera sa place méritée dans le patrimoine que la religion chrétienne sut édifier, avec ses églises romanes, ses basiliques, ses cathédrales. Ce patrimoine, envié par le monde entier, est grandiose et demande qu’on en prenne un soin méticuleux. Quant au message des associations rappelant que Notre-Dame n’est pas la seule, en notre monde, à manquer de toit, il me paraît fort judicieux. Notre-Dame devient une allégorie au service des plus pauvres. Et finalement, cette allégorie rejoint les mots des premiers textes chrétiens, pour lesquels vivre ensemble, sans tenir compte des classes sociales, et s’entraider étaient au centre même de la foi chrétienne. Par l’attention au frère, à la sœur, par le partage des biens, on construisait l’assemblée, où si l’on veut utiliser le mot grec : l’ekklèsia, c’est-à-dire l’église. (Je ne fais ici, bien entendu, que mettre en valeur l’une des racines de l’attention aux démunis, car, au regard de l'histoire universelle, les chrétiens n’ont pas le monopole de ce mouvement éthique qui conduit à venir en aide aux plus faibles).  

Pour l’une des églises chrétiennes, et non des moindres, il existe un autre incendie à éteindre, beaucoup plus ravageur que celui de la cathédrale de Paris. Je veux parler de la pédophilie dans la hiérarchie catholique qui a déjà fait des milliers de victimes dont certains ne se sont jamais remis. Depuis mes dernières réflexions sur la question, et celles de mes correspondants, l’ampleur du phénomène se confirme. Le pape retraité Benoît XVI en a donné une interprétation pour le moins sommaire et assez pitoyable dans une publication allemande. La faute, dit-il, est à la révolution culturelle de Mai 68 qui a conduit à un relâchement des mœurs. On pardonnera une telle analyse chez un nonagénaire qui publia naguère des livres un peu mieux documentés. Désigner l’ennemi, Mai 68, c’est d’abord détourner l’attention, une fois encore, des responsabilités de l’église. Personne n’est coupable. C’est aussi démontrer une piètre estime pour les membres de la hiérarchie catholique, incapables, malgré leur expérience et leur formation religieuse, de résister à la tentation en se faisant subvertir par une révolution culturelle ! En fait, de grandes décisions devront être prises si l’on veut éteindre l’incendie. Il ne suffit pas, comme le fit en particulier Jean Paul II, de promouvoir à l’intention des prêtres le culte de Marie, modèle de virginité et de chasteté. Le désastre actuel prouve que cela n’a pas servi à grand chose. Une des solutions est certainement à chercher du côté de l’ordination d’hommes et de femmes mariés. Sans des décisions de ce type, l’église catholique pourrait bien perdre plus que son toit. C’est toute la construction qui finira par disparaître.

Bavardages. 19 juin 2019.

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Pas de nouvelles depuis  la fin du mois d’avril. Généralement, j’essaie de tenir un rythme plus soutenu, car pas mal de lecteurs, surtout mes anciens étudiants, me disent qu’ils se réfèrent à mon site pour savoir ce que je deviens. C’est gentil !

Le mois de mai a passé très vite. J’ai correspondu avec les amis de Ligurie, qui ont essuyé de grosses tempêtes, mais font toujours d’aussi bonnes pâtes au pesto. J’ai hâte de les revoir, comme chaque année. L’ami Robert, dont j’ai raconté le décès sur ce blog, me manque beaucoup. J’ai taillé mes six pieds de vigne en me souvenant de ses conseils. Il a dû intervenir de là-haut, car cette année les raisins sont nombreux. La grêle et les averses ne les épargnent pas, mais pour l’instant, rien de grave. Huit mésanges à tête noire sont sorties cette année du nid mis à disposition dans le jardin. Mais ces photos se réfèrent à l’année 2016. Il s’agit de deux jeunes mésanges un peu désorientées dans le jardin. Heureusement, le chat n’est pas passé.

Au plan littéraire, j’ai mis la touche finale au Gargantua à paraîtredans « Folio classique » chez Gallimard Jeunesse. Un beau texte que ce Gargantua, dont l’adaptation pour la jeunesse n’est pas simple, en particulier à cause des propos paillards et parfois salaces, hérités souvent des dires populaires et des conversations de monastères. Mais l’enfance, l’éducation de Gargantua et la guerre picrocholine fournissent tellement de richesses. À propos de Picrochole, j’ai plusieurs fois songé au dictateur du film de Chaplin. Et si l’on y cherchait une morale, ce serait bien celle d’humanistes comme Rabelais que Chaplin rejoindrait. Un passage de Rabelais montre trois conseillers va-t-en-guerre lui exposer comment ils vont faire de lui le plus grand empereur du monde. Picrochole se voit déjà parcourant les déserts, passer l’Euphrate et le Tigre, mais s’enquiert de ce qu’on boira dans les sables. On lui répond que des milliers de chameaux et d’éléphants ont été mobilisés pour porter le vin, mais le grand dictateur se demande quand même s’il sera bien frais. Rabelais vit dans un temps où les guerres entre Charles Quint et François Ier sont très dures. C’est aussi l’époque des guerres de religion, entre Évangélistes (protestants) et catholiques. En lisant Gargantua, on songe à Érasme, avec lequel Rabelais correspondait, et aussi à Montaigne, affronté aux mêmes problèmes.

Je parlerai de mes projets, dont certains sont bien avancés, à l’automne. D’ici là, un très bon été à tous.

 

Fleur-des-neiges. avril 2019.

 

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La collection Folio Cadet, de Gallimard Jeunesse, propose un nouveau format d’ouvrages, légèrement plus large et plus haut que le précédent. Le graphisme des lettres est plus dynamique, deux petites taches de vert presque fluo, signalent le genre « premiers romans » et la collection « folio cadet ». Fleur-des-neiges vient d’être réédité dans ce nouveau format. Longue vie à ce roman-conte centré autour de l’écriture, comme je l’explique dans ce site  en Espace Littérature, Albums. Fleur-des-neiges est un des livres que j’ai eu le plus de plaisir à écrire : tendre, triste et méditatif. 

Gargantua. 5 juillet 2019.

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Voici notre bon jeune géant, Gargantua avec lequel j’ai passé quelques bons mois, le temps de  le traduire du vieux français et de l’adapter pour la collection « Folio Junior. Textes Classiques », dirigée par Jean-Philippe Arrou-Vignod, chez Gallimard jeunesse.

La parution est pour le 15 août. Pour vous aider à patienter, voici un extrait. Il s’agit du discours de maître Janotus, envoyé vers Gargantua afin de le convaincre de rendre les cloches de Notre-Dame-de-Paris, que notre géant a volées  pour en faire de jolis grelots au cou de sa géante jument ! On a la un bel exemple de la critique par Rabelais des maîtres scolastiques du temps :

« Et s’adressant à Gargantua, en personne :

- Voyez-vous, Seigneur, si vous me rendez les cloches, je gagnerai un gros tas de saucisses et une bonne paire de chausses qu’on m’a promis. Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Tenez, je suis bon Prince, venez donc dans ma chambre et nous ferons un bon gueuleton. Moi avoir tué porc grassum et moi avoir bon vinum. Oh, Monsieur Gargantua, clochidonnaminatorez-nous ! Et voici mon argumentation pour vous prouver que j’ai raison. Omnis clocha clochabilis, in clocherio clanchando, ou si vous préférez le français : « Toute cloche clochable, en clochant dans le clocher, fait clocher clochablement les clochants ».  Et Pan ! Dans le baba ! Ah, ah, c’est parlé, ça, non ? Mais je ne veux pas radoter. J’ai fait ma démonstration : imparable. Il ne me manque plus maintenant que du bon vin, un bon lit, du feu pour réchauffer mon dos, une table pour y caler mon ventre et une écuelle bien profonde. Au nom du Père et du Fils et du saint Esprit, rendez-nous nos cloches, et que Notre Dame vous préserve du mal, amen, amen, atcheu, agreu, areu, atchum !

Le discours du vieux toussoteux Janotus à peine terminé, Ponocrates et Eudémon éclatèrent de rire et ne parvenaient plus à s’arrêter. »

N.B. le redoublement du "par", dans le titre, a bien sûr été corrigé.  Il s'agit ici d'une épreuve.

Nouveau Testament Cathare. 9 juillet 2019

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Quand une orthodoxie se met en place, elle le fait toujours contre quelqu’un, une personne, plus généralement un groupe. Il lui faut toujours une ligne de démarcation qui permet d’exclure et de justifier la sanction : «  Tu n’es plus dans notre camp ». Bien entendu, c’est le plus fort qui gagne toujours. Et s’il entre en guerre, l’hérétique perdra. Il est d’ailleurs hérétique parce qu’il est  généralement le plus faible. S’il venait, par quelque aléa de l’histoire,  à renverser le rapport de force, c’est l’autre camp qui deviendrait hérétique. 

On connaît la célèbre phrase : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Elle aurait été prononcée par Arnaud Amaury avant la prise de Béziers et le sac de la ville, en 1209. Si la phrase est sans doute un de ces mots historiques qu’on invente après coup, le massacre, lui, ne fut malheureusement pas une invention. Hommes, femmes, enfants furent passés au fil de l’épée en grand nombre, dans les débuts de la première croisade contre les Albigeois, appelés plus tard Cathares.

Ni les papes ni les rois de France n’épargnèrent leur peine pour combattre l’hérésie. C’est même leur alliance qui conduisit à la défaite du catharisme. Innocent III traça très vite les contours doctrinaux hors desquels on était déclaré hérétique. Les rois intervinrent un peu plus tardivement dans la lutte contre l’hérésie, et surtout avec des visées politiques. Quelques grandes figures chrétiennes entrèrent dans le conflit : Bernard de Clairvaux, qui se rendit sur place et revint rempli de colère contre les hérétiques ; Dominique, fondateur des frères prêcheurs, dont les méthodes pacifiques de prédication n’empêchèrent pas à terme le recours aux armes, l'incendie de châteaux et de bourgs regroupés autour du château. L’Inquisition, où l’on trouve des dominicains, nouvel instrument pour débusquer les hérésies, s’en prit aux gens ordinaires attirés par cette « hérésie » et s’occupa des évêques cathares, sachant bien qu’en les supprimant, au besoin en favorisant la délation, elle mettrait un terme à l’hérésie.

En fait, les « hérétiques » plus tardivement appelés Cathares, se désignaient par les noms de Bons hommes et Bonnes femmes. Ils avaient une hiérarchie à eux, – pas celle de Rome –, faite d’évêques,  au demeurant assez peu nombreux, de diacres. Des communautés non retirées loin des lieux de vie, mais au contraire implantées au cœur du bourg (castrum) qui jouxtait le château jouaient un peu le rôle de précurseurs par rapport aux ordres mendiants  que connaîtra l’Église de Rome.  Pensons par exemple à François d’Assise. Ces couvents au cœur de la vie n’avaient pas de clôture ; les adeptes entraient et sortaient comme ils voulaient, se tenant ainsi au plus proche de la population. Une vraie vie d’entraide matérielle et de réconfort spirituel s’effectuait autour de ces communautés. Des bourgeois, des bourgeoises, des artisans, venaient y passer la fin de leur vie, après avoir élevé les enfants et s’être retirés des affaires. C’était le temps du recueillement. On y raillait parfois durement les moines et les prélats de l’Église romaine, trop riches, loin des gens et qui vous prélevaient des impôts.

L’Évangile était au cœur de cet art de vivre en Bons hommes et Bonnes femmes. Un évangile qui, certainement, différait des commentaires qu’en faisaient les théologiens scolastiques de l’église romaine. Jésus était-il venu pour mourir sur une croix ? On préférait privilégier son aspect de prêcheur de Bonne nouvelle. Était-il vraiment homme ou avait-il pris seulement forme humaine ? Fallait-il exalter l’esprit en méprisant la chair ou bien, au contraire, accepter l’œuvre de chair ? Autant de points que discutent les spécialistes et que je me garderai bien ici d’approfondir, faute de compétence d’historien.

Le 16 mars 1244, eut lieu la prise de Monségur. Deux cents Bons hommes et Bonnes femmes périrent sur le bûcher. L’événement marqua la fin de la résistance du comte de Toulouse. Après sa mort, et après la succession exercée par sa fille, morte sans enfants, le comté fut rattaché à la France.

Les vainqueurs ont leurs statues, les vaincus n’ont que leurs blessures à afficher. Elles sont encore gravées sur la terre occitane. Le puy (pech) de Monségur est encore visible de nos jours. Le château rebâti peu après les Cathares n’empêche pas d’imaginer ce qu’était le castrum entourant le château, au moment où il fut attaqué. Il y vivait cinq cents personnes environ, dont deux cents Bons Hommes et Bonnes Femmes qui moururent sur le bûcher.

Un écrit cathare.

La plupart du temps, les écrits des hérétiques disparaissent avec eux. Les œuvres de beaucoup d’hérétiques des premiers siècles ne sont connues que par les citations qu’en firent les Pères de l’Église dans leurs réfutations. Ce sont les écrits qu’on brûle en premier, avant de brûler ceux qui les écrivent ou les lisent. C’est pourquoi il faut se réjouir qu’un Nouveau Testament du XIIIe siècle ait survécu. Conservé à la bibliothèque de Lyon, en parfait état, il comprend l’ensemble des textes du Nouveau Testament en langue occitane du XIIIe siècle, et aussi, en finale, un Rituel cathare détaillant la cérémonie du Consolament, rite sacramentaire pratiqué par les Cathares qu’on destinait le plus souvent à un mourant. C’est ainsi qu'à Montségur, les membres de la communauté cathare et quelques laïcs du castrum, demandèrent à recevoir le Consolament avant de monter sur le bûcher plutôt que de renier leur foi.

En 2016, Monsieur Yvan Roustit a publié une transcription en occitan contemporain du Nouveau Testament Occitan et du Rituel cathare XIIIe siècle (Albi, 2016). Ce féru de culture occitane offre ainsi un beau livre de plus de quatre cents pages. Précisons que le Rituel est aussi traduit en français par ses soins. Le texte du Nouveau Testament retenu par les traducteurs du XIIIe siècle est le texte de la Vulgate, avec quelques variantes.

Yvan Roustit a mis dix ans à accomplir son minutieux travail, encouragé par son épouse et sa fille. À la fin de son livre, il relate l’émerveillement de sa première rencontre avec le manuscrit, à Lyon où il se déplaça pour l’examiner. Contenu dans un coffret, le manuscrit est fait de feuilles de parchemin particulièrement minces, proches de nos feuilles de papier. Une reliure en très bon état, un titre, contemporain de la reliure, « Bible cathare ». Peu de salissures au total, à part la première page de l’évangile de Matthieu, signe que le manuscrit resta longtemps sans reliure. Mais ce sont les enluminures qui ont le plus émerveillé Yvan Roustit, par leur netteté, leur précision la qualité des couleurs que le temps semble avoir renoncé à ternir. Dans une lettre qu’il m’adresse, Yvan Roustit précise : « Ces trente enluminures, chacune en tête des 28 livres du Nouveau Testament, et deux du Rituel cathare, sont faites, dans un style presque moderne, ou plus ancien aussi, d’entrelacs et autres motifs végétaux, sans la moindre représentation animale ou humaine, preuve indiscutable qu’il s’agit bien d’un livre à usage des cathares qui refusaient les figures. Autre preuve de cette attribution de tout le manuscrit aux Bons Hommes : le texte du rituel, qui vient à la suite de tout le Nouveau Testament, commence au verso d’une page dont le recto est la fin de la lettre aux Hébreux, le dernier texte du Nouveau Testament ». Le livre de Yvan Roustit reproduit un bon nombre de ces pages enluminées, dont les deux que je présente ici. Un régal.   

Rédigée par Jean-Louis Biget, professeur honoraire d’histoire médiévale à l’École Normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud, la préface nous apprend beaucoup sur les Bons Hommes et Bonnes Femmes. L’auteur insiste sur les travestissements que l’on a fait, au long des siècles, des mœurs, des croyances  et de la foi de ces croyants qui se tenaient volontairement  hors de l’église romaine. Les clercs des XIIe et XIIIe siècles s’en désolaient, et surtout n’hésitaient pas à noircir ceux qu’ils désignaient comme hérétiques. Par exemple, on ne trouve aucune interprétation dualiste, disons manichéiste, dans le Nouveau Testament du manuscrit de Lyon. Quant au Consolament, il ne contient aucune exhortation à renoncer à la foi de l’Église romaine, ni au baptême reçu dans son sein. C’est toujours la même chose avec les « hérétiques », les diaboliser est la meilleure façon de ne pas se remettre en cause soi-même. C’est ce que firent les clercs au long des siècles. Heureusement, les historiens et les amoureux de l’Occitanie, tel Yvan Roustit, restaurent l’image, et ce n’est que justice rendue à la vérité.

Dans sa lettre, Yvan Roustit revient sur le fait que le Consolament ne contient pas d’exhortation à renier la foi romaine : « Certes, mais dans la pratique il en était autrement, les Bons hommes refusant tout sacrement et ne pratiquant que le consolament, qui n’est pas considéré comme un sacrement. Tout au plus peut-on rappeler que la plupart des adeptes des Bons hommes étaient déjà baptisés. Quant à la contrition demandée aux croyants dans le consolament, elle s’apparente quelque peu aux pratiques de l’Église primitive, sans être pour autant un sacrement. »

Enfin, sur l’interprétation dualiste attribuée aux Bons hommes, l’auteur écrit : « Il n’y est fait aucune allusion dans le Nouveau Testament de Lyon, mais elle n’a pas été absente de la pratique et de la théorie des cathares, et on peut d’ailleurs en trouver quelques traces dans le Rituel . Cela ne suffit pas, bien sûr et pour autant, pour rattacher le catharisme au manichéisme, point de vue presque unanimement rejeté aujourd’hui. »

Au passage à l’an 2000, j’ai rédigé pour le journal La Croix, vingt portraits de croyants, donc un portrait par siècle. Ces vingt  courtes nouvelles furent rassemblées ensuite en un livre Simples portraits au fil du temps, publié chez Desclée de Brouwer. Pour le XIIIe siècle, j’ai imaginé un portrait de cathares. Je le joins ici, en annexe. Après avoir lu la préface du livre de Yan Roustit, je ne le réécrirais pas aujourd’hui de la même manière, car j’atténuerais le côté « manichéen » de la doctrine cathare. Mais cette nouvelle, qui m’a tenu à cœur il y a déjà une vingtaine d’années, demeure le témoignage humble de quelqu’un qui a toujours préféré s’intéresser, dans l’histoire occidentale, aux « borderline », comme on dirait aujourd’hui, plutôt qu’à ceux qui cherchèrent par les moyens les plus cruels à les effacer de l’histoire.

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Dixième anniversaire de la collection "Folio Junior classiques"

3 octobre 2019. Dixième anniversaire.

Nous fêtions ce 2 octobre 2019, le dixième anniversaire de la collection « Folio Junior Textes classiques », dirigée par Jean-Philippe Arrou-Vignod. En dix ans, 80 titres ont vu le jour. Textes anciens suméro-akkadiens, grecs, latins, moyen-orientaux, médiévaux, modernes et contemporains y ont trouvé place, sous forme de nouvelles traductions et d’adaptations. Car, comme le souligne  J.-P. Arrou-Vignod dans l’éditorial du nouveau catalogue, les difficultés pour comprendre les textes sont nombreuses ; langue vieillie et complexe,  difficulté à appréhender des univers anciens pour lesquels les jeunes générations manquent de références.

Autour de Hedwige Pasquet, directrice générale des éditions Gallimard-Jeunesse, Thierry Laroche, directeur littéraire des mêmes éditions, de J.-P. Arrou-Vignod et de ses collaborateurs (graphiste, lecteurs de textes, dessinateurs…), les auteurs se sont retrouvés pour un déjeuner bien sympathique. Ce fut l’occasion de bonnes rencontres, car nous travaillons souvent en solitaires, dans notre bureau, reliés par mail et par téléphone à nos interlocuteurs. J’ai pu ainsi partager avec mon relecteur habituel, Pierre Jaskarzec, mon cartographe Vincent Brunot (auteur des cartes de Laomer), mais aussi avec des auteurs de textes anciens, grecs et latins, ou adaptateurs des textes modernes. Un salut spécial à Marie-Ange Spire,  qui a rédigé les carnets de lectures pour Marco Polo et Gargantua. Elle-même a traduit et adapté des textes du Proche-Orient (Ali Baba, Aladin, …).

Le temps passe vite. J’ai publié sept titres dans cette jeune collection : L’épopée de Gilgamesh, Les fabliaux du Moyen-Âge, Yvain le chevalier au lion, Lancelot ou le chevalier à la charrette, Le livre des merveilles de Marco Polo, Récits de la Bible et, tout récemment, Gargantua. J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à me pencher sur les textes passés pour les faire partager aux lecteurs d’aujourd’hui. Je me suis passionné pour cet exercice de traducteur adaptateur,  et j’espère bien que les lecteurs trouveront du plaisir à découvrir ces ouvrages et à les commenter à leur tour.

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Un ange passe sur la mer. 7 août 2019

7 août 2019. À la passée du soir.ange-creances-1.gif

Après que les oiseaux de mer, à la passée du soir, ont regagné les havres pour nuiter, aux promeneurs rares et questionneurs, quelquefois d'étranges ailes se plaisent à se montrer, glissant dans les airs.

Interview sur mon roman Laomer. 29 octobre 2019

Voici, en format PDF, l’interview écrite à propos de mon roman Laomer, sur l’initiative d’une étudiante en Lettres Modernes - Sorbonne. J’ai pensé que ce long texte serait susceptible d’intéresser les lecteurs de mon roman. Il fournit une série de réflexions sur la fabrication de ce récit, sur le XIIIe siècle, où j’ai situé anachroniquement l’intrigue. Chrétien de Troyes en effet vivait au XIIe siècle, et se plaignait déjà qu’à son époque, les chevaliers courtois n’existaient plus ! Ce déplacement dans le temps permet de visiter un siècle extrêmement riche du Moyen-Âge, son apogée très certainement. J’ai ainsi contribué à élargir la fourchette dans laquelle les écrivains et les cinéastes situent le roi Arthur et ses chevaliers. Le King Arthur de Antoine Fuqua, réalisé en 2004, situe l’action au temps de l’empire romain déclinant, soit au Ve siècle. Les échos concernant mon roman m’ont paru très intéressants. Je renvoie mon lecteur vers le Web, où il trouvera les principaux.

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Nouvelles de mes activités. 06 décermbre 2019

06 décembre 2019. Nouvelles de mes activités.

Un visiteur du site se plaint de n’avoir rien de nouveau à se mettre sous la dent depuis quelque temps. Voilà, voilà, j’arrive.

Peu d’excuses pour faire oublier ma paresse. Une seule peut-être, j’étais absorbé par le travail de révision d’un roman, sur l’immigration, qui me demande plus de temps et d’investissement que prévu. Dans ces cas, on se perd vite en soi-même, dans un tête-à-tête avec le papier imprimé et l’écran. Tout écrivain, tout artiste sait cela, connaît ces temps de solitude, où le monde s’efface, où dès le lever on se retire au plus vite pour retrouver l’écriture ou l'atelier.

Ce roman m’a fait découvrir depuis deux ans plusieurs films et livres sur le sujet et/ou sur l’Afrique. Je cite de mémoire et de façon non-exhaustive,  pour les films : La pirogue, de Moussa Toure (2012), Hope, de Boris Lojkine (2014),  L’Atlantique, de Mati Diop (2019) ; pour les livres : Élisabeth Combres, La mémoire trouée,« Scripto », Gallimard, 2007 ; Gaël Faye, Petit pays, Grasset, 2016 ; Kouamé, Revenu des ténèbres, XO, 2018, tous les livres de Scholastique Mukasonga, etc. 

Nous voici déjà en route vers Noël. Le jardin dort sous les feuilles tombées – je ne dis pas mortes, à cause de leurs couleurs vives. Depuis quelques jours, c’est le gel. Les mésanges charbonnières viennent chercher les calories nécessaires à leur survie, sous forme de graines de tournesol et de boules de graisse. Si le froid persiste, je verrai le rouge-gorge sortir du bois. Les poissons, eux, sont plus autonomes : ils hibernent sous la glace. Quand le temps se réchauffe, je leur donne de la nourriture, mais ils la boudent la plupart du temps, engourdis qu’ils sont en cette saison, qui n’est encore pas l’hiver.

En dehors de mon roman sans cesse remis sur le métier, j’ai réussi à faire quelques lectures dont un beau livre de Erri de Luca, Impossibile,  chez Feltrinelli, acheté en septembre en Ligurie. Un livre aisé de lecture, mais d’une belle densité par les sujets abordés. Le texte, dont le corps imite les caractères de la machine à écrire, est en fait un dialogue. Dialogue dense entre un juge et un prévenu, entrecoupé de lettres, en italiques et dans un autre corps, que le prévenu destine à son amie, qu’il appelle « Ammoremio ». Le texte est le compte-rendu des interrogatoires pour lesquels le prévenu sort de sa cellule d’isolement.  On assiste à une sorte de jeu du chat et de la souris entre le juge (le chat) et lui, « la souris ». Mais il y a beaucoup de ruse dans l’un et l’autre personnage, et l’on n’est pas certain que la souris perdra, ni que la souris ne soit en fait « chat » elle aussi ! De fait, si le juge trouve la solution, c’est parce que le prévenu lui donne la clé, mais sans avouer le crime. Il sera relaxé, non sans avoir dîné avec le juge qui cherche jusqu’au bout à le faire tomber.  

Le prévenu a vécu une période chère à De Luca, à savoir les agitations politiques et sociales des mouvements de gauche extrémistes, avec luttes ouvrières, grèves, assassinats, attentats, et soulèvements. Disons les années soixante 60-80 (Brigades rouges, assassinat d’Aldo Moro). J’ai personnellement connu une partie de cette période, en tant qu’étudiant en Italie, de 1966 à 1970. En fait, ce que le juge reproche au prévenu, c’est d’avoir assassiné un homme dont on découvre qu’il avait milité dans un même groupe gauchiste que le prévenu. C’est le prévenu qui a averti par téléphone les secours. La victime se trouvait au fond d’un ravin d’une montagne fort dangereuse.

On va découvrir que la victime a dû être poussée, et que celui qui a averti les secours est sûrement le coupable. Mais comment a-t-il fait ? Je l’ai vu glisser et tomber, dit le prévenu au juge ; il tiendra la thèse jusqu’à la fin et sera libéré bien que le juge découvre, lors de ce fameux repas, la façon dont il a procédé. Le mobile du crime ? La victime a fait partie des « pentiti », ces terroristes qui se mirent à dénoncer leurs amis en contrepartie d’un allègement de peine. Voilà, je n’en dis pas plus. Ce livre est dur et beau. Un des plus beaux, à mon sens, dans les dernières publications de De Luca. 

Dans mon prochain billet, je parlerai des livres en attente de lecture. Pour l’instant je les feuillette, les survole. Ce sont tous des livres sur Homère. Je signale dès maintenant le Tout Homère, Albin Michel, Les Belles lettres1294 pages, qu’une collègue amie vient de m’ offrir.  Nouvelle traduction de l’Iliade, nouvelles notes pour l’Odyssée, textes inédits de la légende de Troie.  Un beau festin de lecture en perspective.

Bonne année 2020

25 décembre 2019. Bonnes fêtes de fin d'année.

Les fêtes de fin d'année se suivent et ne se ressemblent pas. Je garde particulièrement le souvenir de celles passées à l'étranger. Il nous est arrivé de fuir l'ambiance commerciale de Noël en nous réfugiant dans le désert de Ksar Ghilane, sous des tentes de berbères où il faisait si froid que l'eau tournait à la glace. A Québec, désireux d'assister à une messe catholique du crû, nous nous sommes dirigés vers la cathédrale ; mais comme nous venions d'arriver, nos vêtement européens n'étaient pas adaptés pour nous permettre une trop longue marche dans le froid. Une église anglicane, sur le chemin, nous a fait bon accueil. Surprise, la liturgie anglicane ressemblait comme deux gouttes d'eau aux Noëls catholiques de ma jeunesse, avec chorale et enfants de chœur en soutane rouge et surplis blanc. A Québec encore, nous avons partagé la joie des grandes tablées familiales, sur l'invitation de l'amie de toujours, Micheline. Et pour le passage au troisième millénaire, nous étions, à l'heure précise, sur le toit de notre immeuble, surplombant le fleuve et les plaines d'Abraham, aveuglés par les lourds flocons qui s'étaient invités à la fête.

La ville de Québec est un merveilleux endroit pour passer le temps des fêtes de fin d'année. La neige, les plaines d'Abraham, le fleuve enchantent le paysage. Par arrosage municipal, certaines places se transforment en patinoires. Des groupes de comédiens habillés à l'ancienne parcourent les rues et donnent le spectacle. Un vrai ravissement qui vaut bien une semaine de ski dans les Alpes.

Etudiant, j'ai connu les Noëls romains, quand les bergers descendus des Abruzzes parcouraient les rues en jouant sur leur flûte aigrelette les chants populaires, tel le fameux "tu scendi dalle stelle…". J'ai encore passé un Noël dans la campagne des environs de Bologne, mangée par la brume et blanchie par une neige éparse, dans un village rural que n'eûssent pas renié Peppone ni don Camillo. En évoquant ce souvenir, il me vient à l'esprit la chanson de Faber "Sale la nebbia sui prati bianchi… Monte la brume sur les champs blanchis". Elle reconstitue parfaitement l'ambiance que j'ai gardée dans mon esprit depuis quelque cinquante ans.

Ce dernier Noël, je le termine au coin du feu. Un Noël confortable donc, comme je le souhaite à tous. Le compteur de mon site a dépassé les 20.000 entrées. Je sais que beaucoup d'entre vous viennent visiter ce site en vrais "followers" pour savoir ce que je deviens et ce que j'écris. Il y a eu le gros roman sur Laomer, et le Gargantua que j'ai eu grand plaisir à écrire et dont j'apprécie particulièrement la couverture de Beppe Giacobbe, avec ce Gargantua un tantinet enfantin, mais tenant dans la main droite un cochon vivant et dans l'autre un tonnelet (du vin, bien sûr, quand on connaît le personnage …) bref des provisions bien ordinaires pour la route.

J'ai publié ensuite  ce qui sera certainement ma dernière contribution à l'exégèse : Les enjeux de l'exégèse contemporaine, C. E. 189, Editions du Cerf. Il s'agit d'une réflexion herméneutique sur la façon dont se pratique l'exégèse aujourd'hui. J'attire surtout l'attention sur les points obscurs et aveugles  de la pratique exégétique, trop souvent écartelée entre le désir d'être science et celui de servir une cause. Peut-on servir deux maîtres à la fois ? Vaste question que je transmets aux futurs chercheurs.

A tous les amis, collègues, anciens étudiants, lecteurs de mes livres, je souhaite de très heureuses fêtes de fin d'année, malgré le contexte socio-politique dont on ne peut pas dire qu'il soit paisible et favorable aux réjouissances.

Confinement. 31 mar 20

31 mars 2020. Confinement.

Né durant la guerre de 1939-45, j’assiste, sur la fin de mes jours, à une autre guerre, bactériologique cette fois. De la première guerre, je n’ai pas gardé de souvenirs, mais j’en ai conservé en mémoire les récits de mes parents, cet obus incendiaire sur notre maison, le premier étage en feu, la fuite de la famille dans la nuit, par les champs du Teilleul. Ma vie aurait pu s’arrêter là, à peine commencée, lors de la contre-attaque des Allemands à Mortain.

Cette épidémie, qui l’a vue venir ? Et nous voilà à la subir comme une guerre, une guerre d’autant plus sournoise que l’ennemi est invisible. Pour le battre, il faut adopter des gestes qui  évoquent des rituels apaisants face aux dieux, se laver les mains, purifier ses habits, se tenir à distance des contaminables. (J’ai lu, sur France Inter, l’adresse d’Annie Ernaux au Président de la République. Elles préfère ne pas parler de guerre, et garder ce vocabulaire pour qualifier la société libérale ; c’est une idée tout à fait respectable).

En tout cas, je suis prévenu par l’expérience italienne et alsacienne, par Monsieur Trump et par les déclarations de plusieurs responsables français : si je suis porté aux urgences en mauvais état, je n’aurai pas priorité pour la réa. On sélectionnera un plus jeune. La crise a au moins l’avantage de vous révéler la pure et stressante vérité. Vous avez, Monsieur, des co-morbidités. Dans votre cas, une année de plus ou de moins… acceptez de rendre service et ne faites pas d’histoires. Me voilà prévenu, mieux vaut ne pas attraper ce maudit virus. Je n’ai plus l’âge. De toute façon je viens d’apprendre que dans ma ville, l’hôpital est en rupture d’appareils de réanimation.

Cette crise inattendue, je la partage par mail, téléphone, sms depuis mon lieu de confinement. Je ne sors pas, j’ai deux ou trois semaines de provisions pour tenir, plus si nécessaire. Car ma vie, sinon ma survie, paraît importante aux jeunes qui multiplient les propositions de service. J’éprouve ici une véritable et simple entraide inter-âges qui me réjouit.  J’en sais gré aux jeunes générations. Merci les amis. Et moi, à mon tour, je me découvre un regain d’utilité. On vient me chercher, par voie électronique, pour aider quelques élèves, surtout ceux du lycée, qui croulent sous les devoirs. Je corrige, je conseille.

Les crises sont toujours l’occasion d’invention langagière ou artistique, de parodie, d’ironie. Très vite, les messages de toute sorte circulent, dont certains ne manquent pas de sel. On en fera sans doute  un best-off dans l’avenir, comme on le fit des slogans de Mai 68 ou des pancartes des manifs pacifistes au temps de la guerre du Viêt Nam. Je note en tout cas que les échanges se multiplient considérablement par temps de confinement. Je n’ai jamais été aussi longtemps sans voir âme qui vive et j’ai rarement écrit autant de messages et autant papoté.

Il y a dans la crise une sensation de vivre, de ressentir les choses plus intensément. On s’inquiète beaucoup pour la famille et les amis. Ayant enseigné de nombreuses années dans le grand Est, région actuellement fort atteinte, je revois les visages des collègues, des étudiants, j’échange avec certains, et le message est toujours le même « on tient à vous, surtout protégez-vous bien ». Les amis italiens sont aux premières lignes. Beaucoup de Milanais ont des maisons secondaires en Ligurie. Il semble que c’est par cette voie, en grande partie, que la contamination est arrivée sur la côte ligure. J’ai tant appris et reçu des amis du Haut-Adige, du Piémont, de Ligurie, qu’il ne se passe pas une journée sans que je pense à eux.

Qu’adviendra-t-il après la crise ? Si on est pessimiste, on dira qu’il ne se passera rien de plus qu’après la crise des sub-primes et de la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008. Les États sauvèrent les banques en détresse, celles-ci un an après se portaient comme un charme, remboursaient les prêts que les États leur avaient concédés, et tournez manège. Mais cette fois, on touche à des vies, et cette crise sanitaire sert de déclencheur pour rameuter tant de questions que les lanceurs d’alertes avaient exprimées, sans grand succès quant aux résultats. Le fait est que l’Europe comme la grande majorité des pays du monde vit dans une économie libérale, qu’elle soit mâtinée de dirigisme d’état, ou d’idéologie nationaliste. L’écroulement des régimes socialistes du temps de l’URSS n’a laissé que pratiquement un seul modèle économique à disposition, le capitalisme financier. On sait qu’il fait des morts, des blessés, des exclus. Qu’on pense à la violence qui accompagne la crise migratoire, aux murs ou aux barrières censés gérer la crise. Qu’on pense à la brutalité de la mondialisation qui nous conduirait vers un monde meilleur en supprimant toutes les barrières pour les marchandises, sans se soucier des drames causés par les délocalisations et les fermetures d’usines. Optimisations, flux tendus, management hyper-rationnel, devaient nous apporter le paradis. Il est étrange de constater que ce monde ultra-efficace que nous pensions construire révèle sa fragilité à cause d’un virus qui paraît plutôt nous ramener à l’âge préhistorique des cueilleurs-chasseurs. Notre Covid-19 nous vient tout droit en effet du monde animal sauvage, comme le Srass, comme Ebola, comme le VIH. Il a suffi d’un marché où les animaux sauvages sont vendus, dépecés, d’une promiscuité entre animaux des forêts et humains pour que la planète entière se mette à broncher en un temps record. Et ceci, dans une Chine qui prétend pourtant tout contrôler et s’est hissée, dans le capitalisme financier, au rang de pourvoyeur de tout ce qui fait notre modernité : pharmaceutique, matériel médical, électronique, informatique, robotique, etc.

Tous le soirs, à 20 heures, mous applaudissons le personnel médical, mon épouse et moi. Le quartier est peu bâti, et seuls nous répondent les habitants d’un immeuble d’en face. Qu’importe ! Juste avant la crise, bien des personnels médicaux avaient alerté sur la crise hospitalière. Des chefs de service avaient démissionné, faute d’être entendus. L’après-crise nous rendra-t-elle plus disponibles pour revoir les fondamentaux d’une société devenue de plus en plus dure, irresponsable, inhumaine ? Et qu’adviendra-t-il de notre maison commune, l’Europe ? Il existe bien quelques solidarités entre la France et la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse pour transfert de patients. Mais qui entend parler des pays du Nord ou de ceux de l’Est (à part celui qui s’est distingué par le vol de masques destinés à l’Italie, lors d’une escale !) L’Italie, quant à elle, fait l’expérience, pour la seconde fois, du manque quasi complet de solidarité européenne. Une première fois quand l’Europe n’a rien fait pour l’aider à gérer la crise migratoire, une seconde fois avec ce Covid-19 alors qu’elle est le pays le plus touché, et avec quelle intensité. J’ai vu à la télévision que des jeunes Italiens brûlaient le drapeau de l’Europe. Quel avenir pour ces jeunes en proie à des taux très élevés de chômage, et se retrouvant devant une Europe qui ne tient pas ses promesses de solidarité ?

Les 101 romans préférés des lecteurs du Monde.22 janvier 20

 

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La version numérique du journal Le Monde a publié pour ses abonnés la liste des 101 romans préférés de ses lecteurs. Résultats publiés le 27 décembre 2019 (https://le monde.fr/ les-décodeurs/article/2019/12/27/de-harry-potter-a-voyage-au-bout-de-la-nuit-les-101-romans-preferes-des-lecteurs-du-monde). Cette liste faisait suite à une première liste exprimant le choix des critiques travaillant pour le Monde. Première constatation, peu de titres sont communs aux deux listes, seulement 17.

Le nombre des lecteurs concernés est de 26 000.  Parmi les 70.000 titres de livres proposés, écrits par des auteurs français ou traduits en français,  il leur était demandé de sélectionner cinq titres. Sur les 70.000  titres, 11.000 ont été retenus dans les choix des 26.000 lecteurs.

Commentaire du Monde : « Nous avons retenu les cent un premiers de cette liste, laquelle contient évidemment quelques surprises. Car l’appel aux lecteurs suppose la liberté des critères. Les plus beaux romans ? Les plus émouvants ? Les plus dérangeants ? Ceux dont l’écriture a tout emporté ? D’autres qui tiennent par la puissance de l’histoire et de l’imaginaire ? (…) Cinq livres par personne, pas plus, dans un exercice redoutable, mais si agréable, de questionnement, de sélection et de partage. 26 000 lecteurs ont ainsi fait comme s’ils nous ouvraient leur bibliothèque, ils ont cheminé dans leurs lectures passées, ont pioché dans leur mémoire, ont mis de côté un titre, puis deux, puis dix, puis ont retranché ceux qui étaient un tout petit peu moins indispensables ; ou bien ils ont fait exactement l’inverse, sélectionnant mentalement les titres absolument essentiels, ceux qui figurent dans leur Panthéon personnel, ceux qu’ils ont déjà fait lire à leurs enfants ou à leurs meilleurs amis ».

De fait, la liste des 101 romans est remplie de surprises.  En numéro un, figure Harry Potter, suivi, en deux, de Céline, Voyage au bout de la nuit, et en numéro trois de M. Proust, A la recherche du temps perdu, précédant lui-même G. Garcia Marquez, Cent ans de solitude. Des écrivains vivants côtoient les disparus. Petit pays de Gaël Faye, classé 65, précède L’œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, classé 66.  La liste nous promène à travers des dizaines d’années de production littéraire et à travers de nombreux pays. On y voit défiler Le petit Prince,  du Zola, du Hugo, Vernon Subutex de Virgine Despentes. J’ai encore remarqué J. Gracq, Le rivage des syrtes, P. Sallinger, l’Attrape-cœur,  U. Eco, Le nom de la rose, et encore Cormac McCarthy… Je n’y ai repéré, en revanche, aucun titre de nos deux derniers prix Nobel, à savoir J. M. G. Le Clézio et P. Modiano. On comprend que le Monde dise de cette liste : « Elle surprendra. Elle déconcertera. Elle rassurera. Elle fera l’objet de débats. »

Mon impression est qu’on y voit bien comment la lecture est finalement une aventure très personnelle, que les choix des lecteurs ne doivent pas grand-chose à quelque formatage, quelque raison injonctive. On y devine des chemins singuliers, des coups de cœur, quelques restes, certes, de matraquage publicitaire, des échos de lectures scolaires, des échos d’événements cinématographiques, etc. Tout cela me rassure et m’édifie. On pourrait en tirer des éléments pour une théorie de la lecture. Le lecteur, écrivait M. de Certeau, est un braconnier. Il chasse sur les terres des autres (les écrivains). Finalement, on ne lui dicte pas tellement ses chemins.

Dans cette édition numérique du Monde, on avait le choix de taper le nom de l’un ou l’autre de ses auteurs préférés, pas assez sélectionné pour entrer dans la liste des 101, mais pas absent des choix des lecteurs. Il suffisait de saisir le nom d’un auteur pour savoir combien de fois une de ses œuvres revenait dans les 26 000 x 5 titres choisis par les lecteurs (26 000 lecteurs choisissant chacun cinq titres = 130.000).

Il était donc tentant de taper… Beaude.

Résultat : Leïla, les jours, roman publié chez Gallimard jeunesse, a été sélectionné par 7461 lecteurs.

Et Le livres des merveilles de Marco Polo, roman palimpseste écrit par moi chez Gallimard jeunesse a été sélectionné par 6779 lecteurs.

Ce résultat m’a surpris et ravi. Leïla, les jours, publié en 2005, est un des mes romans ados les plus proches des adultes.  Voici comment je le présente dans la page Romans et nouvelles : "Leïla, les jours, « Scripto », Paris, Gallimard Jeunesse, 2005. Prix Saint-Exupéry 2005 ; Prix de la Nouvelle Revue Pédagogique 2005.  L’idée de ce roman m’est venue de reportages sur les bibliothèques menacées par les sables, dans la ville de Cinghetti, en Mauritanie. Une jeune aveugle, Leïla, qui fait semblant d’y voir, un garçon en recherche de repères, un vieil homme à la recherche d’un livre perdu dans les sables, chacun, dans ce récit, est en quête d’un paradis perdu. Des destins se croisent, rendent la dureté des chemins plus supportable ».

Et pour Marco Polo, en page Traductions et adaptations : « Le récit de Marco Polo, transcrit par Rustichello, rapporte très peu les sentiments individuels, parle plus des peuples et des communautés que des personnes. Ceci constituait une réelle difficulté pour des élèves des collèges auxquels est destiné mon livre. Je n’ai donc pas hésité à créer des personnages et à les insérer dans l’itinéraire du voyage aller et retour tel qu’il est rapporté par Rustichello. Le personnage d’Angelo, petit berger descendu de ses montagnes pour venir travailler à Venise, dans les entrepôts de la famille Polo, me permet de montrer ce que le livre des merveilles tait en matière de sentiments. J’ai puisé naturellement abondamment dans Le livre des merveilles  pour la description des pays, des mœurs des peuplades rencontrées, de la cour du grand Khan. Le livre des merveilles, je l’ai dit, est déjà un très beau livre d’ethnologie, et ceci deux siècles avant Christophe Colomb. Une belle initiation à la rencontre de l’autre. »

Il s’agit pour moi d’un roman palimpseste. Je suis parti d’un carnet de voyage, assez monotone sinon ennuyeux, écrit par Rustichello, pour créer un vrai roman, inventer autour de Marco Polo des personnages à moi. Bref, une œuvre littéraire qui, pas plus que Leïla, les jours, n’est tombée dans l’indifférence, loin de là.

Hubert Mingarelli. 28 janvier 20

 

 Hubert Mingarelli nous a quittés. Soixante-quatre ans, c’est bien jeune pour mourir. Et l’on se dit qu’il avait encore bien des choses à dire, ou plutôt à écrire, car question tchache, c’était plutôt un taiseux.

Nous nous sommes connus au début des années 1990. Nous avions publié dans la même collection, « Page Blanche », aux éditions Gallimard Jeunesse, dirigée alors par Claude Gutman. Et nous nous sommes retrouvés dans plusieurs salons du livre, côte à côte, à dédicacer nos livres. Lui, La lumière volée (aujourd’hui en Folio Junior) et moi Le muet du roi Salomon (édition remaniée aujourd’hui en « scripto »). Hubert Mingarelli est ensuite passé au Seuil, pour publier dans une collection ado, puis la collection ayant disparu, il fit paraître ses premiers livres en adultes. Je l’ai perdu de vue, mais pas ses livres. J’étais même dans le jury Erckmann Chatrian quand le prix lui fut décerné pour La beauté des loutres. Il y eut ensuite Quatre soldats qui obtint le prix Médicis.

J’ai toujours gardé de Mingarelli le souvenir d’un homme droit, d’une grande discrétion, dont le paraître n’excédait jamais l’être. Il avait beaucoup bourlingué et s’était frotté à la rugosité du monde. Il n’y avait jamais rien de trop dans ses livres, écrits avec une économie de mots, pour mieux laisser plus de force à ceux qui trouvaient grâce à ses yeux. Le mieux est de lire tous ses ouvrages, on ne perdra pas une miette. Et si l’on me demandait par quel livre commencer, je crois que je répondrais La beauté des loutres.

Adieu, l’ami. Dans l’énigmatique pays où tu te tiens désormais, j’espère qu’il existe des terres désolées et lointaines à explorer. Quelque chose comme les espaces des romans de Cormac McCarthy. Un auteur qui ne te laissait pas indifférent, comme pas mal d’écrivains américains.

Toujours le Covid. 28 02 21

28 février 2021. Toujours la Covid.

On vit difficilement la pandémie de Covid. On s’y habitue d’autant moins qu’elle dure, ce qui est en somme un paradoxe. Nous sommes trop bousculés dans nos habitudes. Les interdictions deviennent pesantes. Elles demeureront pourtant bien présentes dans les mois qui viennent. Mon âge m’a offert le privilège de la vaccination. Pfizer-Biontech aidant, je renais quelque peu, tout en éprouvant quelque fatigue morale après un an de mesures anti-épidémie. Il y a, je le sais, plus malheureux que moi. Je pense au personnel médical, aux enseignants, à ma voisine directrice d’école, aux restaurateurs, aux gens mal logés et soumis au confinement… Je suppose que bien des choses changeront après une crise d’une telle ampleur, dont on se souviendra longtemps.

Voilà deux mois que je n’ai rien écrit sur ce « Quoi de neuf ? » Je n’ai pourtant pas chômé puisque j’ai inauguré une nouvelle page intitulée « flânerie dans ma bibliothèque » (Voir Manuscrits, ma bibliothèque Espace Manuscrits). Elle est encore en chantier, mais déjà substantielle. L’idée m’est venue de présenter quelques livres qui m’entourent. Je fais partie des gens dont le métier se nourrit des livres, et cela depuis des décennies. J’ai donc sélectionné un petit parcours, très limité certainement, mais qui me donne une occasion de faire connaître des livres et des auteurs qui ne sont pas toujours très mis en valeur dans notre société, loin des éclairages médiatiques. Je vous souhaite donc une bonne flânerie devant mes livres. Cette promenade numérique est possible par temps de Covid. Profitons-en.

Corona-virus. Courrier des lecteurs. 21 avril 20

21 avril 2020. Corona-virus.  Courrier des lecteurs.

 Cette lettre est celle d’une infirmière, retraitée des Hôpitaux de  Paris, Myriam Bocek. Ses mots sont l'écho d'une vie d’expérience.

 Je viens de lire votre papier du 31 mars 2020 et je tenais à vous envoyer un petit signe d'encouragement, de ceux qui font du bien, en cette période tellement pesante. La seule contribution à l'amélioration de cette terrible situation et la seule aide  que nous pouvons apporter aux soignants est le confinement chez soi. En règle générale il est plutôt respecté. Je me permets de faire deux courtes réflexions qui me viennent  à propos de votre commentaire du 31 que j'ai trouvé très juste.

 A propos des soignants, la France apprend que grand nombre de médecins, qui soignent avec les moyens du bord sans relâche, et qui sont reconnus par leurs pairs dans leurs spécialités, ont l'humilité de reconnaître qu'hommes de science, ils ne sont pas infaillibles et qu'ils n'ont pas réponse à toutes les questions. La France découvre aussi, médusée, que les infirmières (iers) et les soignants en général, souvent considérés avec une certaine condescendance, par "l'élite", les"sachants" comme l'on dit, ont un cerveau et font preuve d'un professionnalisme sans faille et d'ingéniosité infinie dans l'exercice de leur combat, en équipe, contre le covid 19.

 Dans votre troisième paragraphe, vous évoquez la situation des personnes "âgées" qui ne sont pas prioritaires dans les choix de réa. Pour avoir travaillé dans ces services, moins sous tension qu'actuellement, mais toujours sur le fil du rasoir, cela ne se passe pas ainsi. Ce n'est pas une question d'âge mais d'évaluation de l'état du malade pour savoir si l'organisme de la personne sera en mesure de supporter une agression supplémentaire due aux produits injectés pour réaliser l'anesthésie et les gestes au cours de l'intubation elle-même. Infliger un supplice supplémentaire à un corps déjà très malmené fait partie des interrogations qui sont posées de manière collégiale.

Bien sincèrement, M. B.

Cette seconde lettre m’est envoyée par ma sœur, Marie-Thérèse, habitant dans la banlieue de Cherbourg. Ces deux lectrices me corrigent avec raison sur la question de la réanimation des personnes âgées.

J’ai lu ta réflexion sur le Covid 19 et sa prise en charge. Nous allons malheureusement bientôt arriver au nombre de morts enregistré par l’Italie alors qu’on s’en croyait loin. Effectivement, pas de quoi être très optimiste, mais j’essaie de l’être malgré tout.

Tu évoques la non prise en charge en réanimation des personnes âgées ou fragiles; c’est bien ce que nous pouvions comprendre malgré des discours rassurants et quelque peu alambiqués de certains médecins qui affirment qu’il n’en est rien et qu’ils pratiquent comme auparavant : selon eux, les personnes trop fragiles (à savoir où se situe la barre) n’ont jamais supporté une réa lourde et ne la supporteraient pas plus en la circonstance. Il y a cependant de petits miracles, des gens très âgés en témoignent.

Chez nous, et pour l’instant, l’hôpital de Cherbourg ne semble pas vraiment saturé. Dans la Manche 80 personnes sont hospitalisées et il y a eu je crois 26  décès, peut-être plus à ce jour. Je voyais sur un graphique que sur la Normandie, il y a des personnes entre 69 et 79 ans en réa et même quelques-unes entre 80 et 89 ans, ce qui viendrait  infirmer certaines thèses. Mais je crois que cela dépend beaucoup des régions et de la disponibilité de lits de réa. Je pense qu’il n’y a pas de politique générale.

Même si je commence à trouver le temps long et les restrictions de sorties un peu pénibles, je crains maintenant la levée du confinement. Comment, combien de temps.... Devrons nous vivre avec le virus et sa charge d’inquiétude durant des mois ? La société va-t-elle prendre une nouvelle direction, nul ne le sait..... On verra bien. M.-T.

Nuka et la baleine. 27 avril 20

 

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Pour le temps du confinement, les éditions Gallimard Jeunesse publient  tous les deux jours une nouvelle d’auteurs contemporains, à destination des 8-12 ans. Elles sont en téléchargement gratuit, sur le site Labiblimobile.gallimard-jeunesse.fr  Il suffit de s’inscrire, en renseignant ses nom et son mail. Ensuite on fait son marché en insérant dans son panier. Chaque nouvelle est à zéro Euros.

Bonne lecture  aux jeunes comme aux adultes.

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Masque et voile. 01 juin 20

Masque et voile. Lundi 1 juin 2020.

On commence seulement à voir paraître des réflexions sur les conséquences sociales et psychologiques du port du masque. Je n’ai pas lu encore de mise en relation avec le port du voile et tous les débats qu’il a suscités. Il serait intéressant d’approfondir ce point. En effet, voilà que pour des motifs de santé publique, les gens se voient contraints de se masquer le visage, soit dans tout l’espace public comme en Italie, soit dans les transports comme en Île-de-France. En revanche, se cacher entièrement le visage par un voile est interdit. Le motif de l’interdiction est cette fois d’ordre socio-religieux.

 À noter toutefois que l’extension de l’obligation du masque, pour motifs sanitaires, et du voile, pour motifs religieux, n’est pas la même.  Ce sont les femmes de certaines confessions ou de certains groupes internes aux religions qui sont concernées par le voile. Les hommes n’en portent pas. Pour les femmes de ces groupes, montrer le visage est de l’ordre du privé. La tradition rabbinique a même gardé des exemples de femmes zélées, telle cette femme de grand-prêtre dont les poutres de la maison n’avaient jamais vu la chevelure (elle gardait donc le voile sur ses cheveux même dans l’espace privé). Rester les cheveux voilés  en privé devenait alors le signe d'une rare piété. Mais il serait assez vain de vouloir apporter quelque nouveauté sur le sujet. Tant de commentaires ont été faits.

 Ce qui est commun au masque et au voile intégral, c’est qu’ils cachent le visage. Ils perturbent ainsi la relation sociale entre deux individus qui ne peuvent pas lire les réactions sur le visage. Un enfant de maternelle a besoin de lire la réaction que son comportement suscite chez la maîtresse d’école et réciproquement. Les pédiatres soulignent le fait que la relation n’est pas complète et peut générer des désagréments pour les enfants. J’ai eu récemment le témoignage d’un commerçant qui me disait préférer la visière au masque, parce que le rapport au client ne se fait pas bien quand on est masqué. Pour lui, la persuasion ou la captation de l’attention du client, ou l’exercice d’un certain charme destiné à convaincre l’acheteur (une rhétorique en somme) est difficilement compatible avec le port du masque. L’échange fonctionne moins bien. Ceci nous renvoie à un problème de sémiologie. Notre relation à l’autre, par la conversation par exemple, n’est pas seulement une question de linguistique. Dire à quelqu’un « il fait beau ce matin », affirmation qui relève bien sûr de la linguistique, relève aussi de la sémiologie. Il s’agit d’un discours en situation, d’un énoncé en somme, dont le contenu est accompagné, voire précisé ou contredit, par la mimique du visage, un plissement des lèvres, un clin d’œil, le ton et la clarté de la voix, etc. Si on veut utiliser un mot, malheureusement souvent galvaudé, on dira qu’il n’existe pas de parole sans cette mise en scène des mots prononcés. Si la nécessité du masque, pour raisons sanitaires, se prolonge plusieurs mois, voire plusieurs années, Il suscitera certainement des réflexions anthropologiques autour de la communication avec masque. Il entrera dans la catégorie des objets qui perturbent l’échange, sans atteindre sans doute la perturbation provoquée par les baladeurs vissés aux oreilles chez les passagers des bus, métros ou les sportifs.

 Pour conclure avec le masque : son port a fait revenir dans ma mémoire les années d’après-guerre, moi qui avais 9 ans en 1950. Il y avait, dans le cellier de mon grand-père maternel, un objet cylindrique long d’environ 50 centimètres, d’un diamètre de 15 ou 20 centimètres, de couleur gris bleu. Une lanière de cuir permettait de le porter en bandoulière. Il contenait un masque à gaz qui nous apparaissait comme l’objet d’un autre monde, un univers fantasmagorique, le reliquat d'un monde disparu. On ne résistait pas à la tentation d’essayer cet objet qui couvrait entièrement le visage, était fixé par des lanières de caoutchouc, vous enfermait les yeux derrière des hublots de mica, et vous affublait, en guise de barbe, d’un objet de métal qui n’était autre que le filtre censé protéger l’air respiré par les soldats des fameux gaz mortels utilisés depuis la grande guerre, gaz moutarde ou ypérite, gaz sarin. Les masques à gaz sauvèrent sans doute bien des vies, ou évitèrent de graves brûlures aux poumons. Les gaz s’en prenaient aux voies respiratoires comme aujourd’hui le covid-19. Les guerres ont ainsi fait mourir des milliers d’humains par atteinte des voies respiratoires volontairement programmées. C’est au moins une différence avec le covid-19 qui ne semble pas avoir eu besoin de l’aide des humains pour décimer des populations.

Une dernière remarque concernant les États-Unis où le Covid-19 qui frappe fort dans les minorités (d’où décès par le virus, mais aussi pertes de l’emploi dans un pays qui ne connaît pas les indemnités financières) se voit relayé par un virus d’une autre sorte, la haine raciale. La mort du noir George Floyd, pris à la gorge par le genou d’un policier blanc, au point d’en succomber un peu plus tard, et les manifestations dans les grandes villes du pays, dont la capitale fédérale, montrent que le virus du racisme n’était pas vaincu mais restait en sommeil. Et cela, malgré les avancées légales visant à régler le problème. Les États-Unis voient ressurgir un très vieux démon dont on espère qu’il ne fera pas d’émules dans les nombreux pays où la haine raciale ne dort que d’un œil. Quel pays aujourd'hui oserait revendiquer le fait qu’il n’est pas concerné ?

Par temps de virus. 02 août 20

2 août 2020. Par ces temps étranges que nous impose le virus.

 Deux mois que je n’ai pas ajouté une ligne à ce « Quoi de neuf ? ». La covid-19 aurait dû pourtant favoriser l’avancement de mes chantiers en attente sur ce site. Il y en a tellement. Je me fais reproche de n’avoir pas eu le coeur à ajouter l’un ou l’autre voyage dans Espace Horizons. New-York, la Côte Ouest des Etats-Unis, le Spitzberg par exemple, sont en attente. Mais le changement des habitudes, ce ressassement de la musique covid sur les médias ne m’ont pas fourni le courage nécessaire. Ayant décidé de supprimer de mon agenda les séjours habituels en Normandie et en Italie, je vis des jours tranquilles, somme toute assez confinés. Je ne m’autorise que des sorties jugées nécessaires, et je reçois assez peu de monde. Le périmètre vital se restreint finalement au jardin et à la maison. Jean Grosjean m’avait dit un jour : « Vous verrez, en vieillissant, le périmètre de vie se rétrécit ». Si au vieillissement, on rajoute le virus, la prophétie s’accomplit largement. Nous avons planté des poireaux, de la salade, des tomates, semé du persil, des endives, puisque nous serons à la maison pour les consommer.

Les journées se ressemblent. Plages d’écriture le matin et en fin d’après-midi, lectures, bricolage et entretien de la maison qui, comme tout le monde, subit l’usure du temps. Quelques promenades dans les jards de la ville, un peu de vélo le long du canal. Avec les amis et la famille, on échange par courriels et messages. Ce ne sont pas les moyens qui manquent, de nos jours. Je repense à mes parents qui eurent leur première ligne téléphonique et me téléphonèrent pour m’annoncer la grande nouvelle. C’était dans les années 80. Et j’ai souvenir que dans les années 50, mes oncle et tante, partis au Cameroun, n’avaient que le courrier postal pour donner des nouvelles. Les lettres mettaient trois semaines à arriver, par bateau.

Parlons donc lectures. Depuis cet hiver, je suis plongé dans Homère. Je n’avais jamais lu l’Iliade en entier. C’est chose faite. Ce récit m’a fasciné et épouvanté tant la violence guerrière y est décrite avec une précision j’allais dire « diabolique ». Les « serviteurs d’Arès » célèbrent le courage de donner la mort et de la risquer pour eux-mêmes. Et les métaphores récurrentes, le lion cerné par les chiens, le lion dévorant la vache, le sanglier agressé de toutes parts, ne nous épargnent pas les descriptions réalistes de la pique ou de la javeline pénétrant entre les côtes pour ressortir par le cou, ou les dents qui se brisent. J’admire au passage les traducteurs qui réussissent à placer dans le récit qui un péricarde qui un os rare. Le récit ne nous épargne pas grand-chose, par exemple quand Agamemnon envoie rouler une tête coupée, tel un billot, à travers la foule. Je consulte plusieurs traductions, je regarde le texte grec dont je découvre qu’il ne m’est pas d’abord facile, malgré mon expérience du grec classique. J’apprécie la traduction de Paul Nazon, et la toute récente traduction de Pierre Judet de la Combe, dans le livre intitulé Tout Homère, Albin Michel. Les Belles Lettres, paru en 2019. Je sais gré à ma collègue amie, spécialiste de grec ancien, de me l’avoir offerte.

Parmi mes autres lectures, j’entends signaler l’ouvrage du japonais Sôseki, paru en 1906, Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique. On y côtoie, le temps d’un voyage en montagne, l’esthétique et l’éthique du peintre qu’est Sôseki, son jugement sur ce que font, à son époque, les peintres occidentaux (et aussi les cuisiniers !). Beaucoup de considérations sur la beauté du monde, sur la façon orientale de l’exprimer. On est plongé dans une nature à l’étrange beauté, on découvre la façon dont le peintre l’envisage comme motif pictural. Sôseki n’oublie ni les considérations sur le thé, ni la façon de bien voyager et de passer les heures. Il peint peu, au cours de ce voyage, car les conditions pour se mettre à l’ouvrage sont très strictes, et il ne les réunit pas.

Autre lecture : Train de nuit pour Lisbonne, paru en 2004. Rangé dans ma bibliothèque après lecture au moment de sa parution, je l’ai ressorti en pensant à ma nièce qui vient de le lire et m’a donné ses impressions. J’ai découvert beaucoup de choses qui m’avaient échappé, en particulier cette présence parfois un peu pesante du philosophe qu’est l’auteur de ce roman. Il y aurait sans doute à dire et à redire sur le côté littéraire de l’ouvrage, les longues citations du poète portugais (ou autres) qui coupent la narrativité. Ce livre, un peu « fabriqué », reste un bel hymne à la lecture et à la vie. Je ne dirai rien de bien original de Gregorius parti très subitement de Berne et de son lycée vers Lisbonne, ou il découvre et une autre façon de vivre, et l’oeuvre et l’ombre du poète Prado, engagé dans cette période fort agitée que fut la dictature de Salazar. Ce livre vaut le détour, à coup sûr. Pourquoi pas une lecture de vacances ? 

 
Covid et théorie du complot. 03 octobre 20

3 octobre 2020. Covid et théorie du complot.

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Falaises du Tréport.

            La Covid, à l’évidence, n’est pas près de nous lâcher. Difficile d’allumer la TV sans tomber sur des débats répétitifs qui nous donnent l’envie de fermer définitivement l’appareil. Quelques nouveautés, en fonction de l’évolution de l’épidémie, mais bien peu, au total. J’ai cependant noté des réflexions pour le moins surprenantes évaluant l’épidémie chez les personnes âgées en jours de vie possiblement perdues, et déduisant que la perte est moins lourde que chez les personnes plus jeunes. Quelqu’un a-t-il pensé à évaluer les décès des personnes âgées à partir des jours d’expérience définitivement perdus ?  Qui disait qu’un Ancien qui s’éteint est une bibliothèque qui disparaît ? Ces derniers jours, le problème du Président américain réveille la monotonie des discussions. Je suis les aspects politiques du statut sanitaire des dirigeants avec un peu plus de curiosité.

            Mais c’est surtout la résurgence massive de la « théorie du complot » qui m’a frappé ces dernières semaines. Mes vieux réflexes de prof me poussent à me demander comment je pourrais présenter à des étudiants de premier cycle ce qu’est cette théorie et ce qu’elle met en cause. Je rappellerais tout d’abord que la théorie du complot est ancienne. Elle est l’un des instruments les plus aptes à refaire l’unité d’une nation autour d’un pouvoir fort, a fortiori dictatorial. L’ennemi en veut à notre nation, il ment, il complote, il nous assène des fausses vérités. Il y a dans le pays des citoyens qui complotent avec l’étranger. On va montrer du doigt les traîtres, les emprisonner, les anéantir.

            Récemment, l’empoisonnement de l’opposant russe A. Navalny a ainsi été présenté comme un complot des dirigeants de l’Europe pour imposer, sous ce faux prétexte, des sanctions économiques à la Russie. De l’autre côté de l’Atlantique, le président des USA estime que des extrémistes gauchistes ont propagé le feu en Californie et que le réchauffement climatique, qui rend les sols plus secs par manque de pluie, argument avancé par des scientifiques, n’y est pour rien. La théorie du complot est très active aux USA : une organisation secrète rassemblant politiciens de gauche, acteurs, artistes et autres personnes influentes dirige le pays, derrière les structures politiques qui cachent la vérité. De nos jours, la théorie du complot s’est nettement démocratisée. Elle se diffuse par les voies royales des réseaux sociaux, y trouvant une caisse de résonance internationale. Le vrai et le faux s’y mélangent, les pires ragots et les plus énormes invraisemblances s’y côtoient, comme  c’était le cas jadis, à plus faible échelle, dans les discussions de lavoir. Lavoirs, soit dit en passant, que j’ai connus dans ma petite enfance, quand j’accompagnais ma mère à la rivière, la brouette remplie de linge sale ; elle louait une hotte en arrivant au lavoir et je passais de longs moments à côté d’elle, étourdi par les conversations, intéressé surtout par le drap lâché par inadvertance et partant au fil de l’eau, et que les femmes situées plus en aval finissaient par rattraper.

            La caisse de résonance des réseaux sociaux amplifie à l’échelle de la planète nos micro-conversations, nos jugements sans discernement et nos opinions les plus fantasques. Face aux réseaux sociaux, les journalistes mettent sur pied des émissions chargées de mettre au jour les « fake news », preuves à l’appui.  Efficace ? Sans doute pas pour les addicts du complot, dont le fonctionnement de pensée n’est pas celui de la rationalité du journaliste vérifiant ses sources (une des lois sacrées de la profession), apportant pour preuve tel ou tel document dûment authentifié.

            Les sujets qui font l’objet d’un soi-disant complot se sont élargis, disons « peopolisés ».  Tout, ou presque, peut servir à alimenter la machine à dénoncer les complots. Les Américains ne sont jamais allés sur la lune, ils ont fait « comme si » en créant des documents et des fausses images. Le nouveau virus a été créé par les dirigeants politiques pour masquer les vrais problèmes ; la critique de l’hydroxychloroquine est le fait de laboratoires qui veulent imposer leurs thérapeutiques financièrement plus rentables ; tous les vaccins sont des poisons qu’on nous injecte sous l’influence des laboratoires. Etc. Etc. Je n’ai nullement l’intention ici d’ouvrir la discussion sur ces dossiers. Je signale seulement combien les affirmations sont massives, se développent très vite et franchissent toutes les frontières et toutes les barrières.

            Peut-être ce phénomène du complot peut-il être éclairé par deux mots qui, chez les anciens philosophes grecs, permettaient de mettre un peu d’ordre dans la diversité du savoir. On distinguait d’une part ce qui ressortissait au domaine du « logos » (entendons : la rationalité) et d’autre part ce qui était du ressort de la « doxa ». Je relève, pour faire bref, cette définition sur le site internet « La toupie » : « Plus ou moins homogène, la doxa est constituée d'opinions pouvant être confuses ou pertinentes, de présuppositions communément admises, de maximes, de préjugés populaires, qu'ils soient positifs ou négatifs. Le concept de doxa peut être utilisé en sémiologie, dans l'étude du discours, en sociologie et en épistémologie ». On peut opposer la doxa-opinion au logos-rationalité, ou encore comme le fait Husserl à l’ensemble du savoir et des connaissances  scientifiques d'une époque.

            À partir de ces considérations, je dirais que la théorie du complot soumet au jugement populaire des sujets qui sont du ressort de la science, donc traités par des procédures contrôlables par la communauté scientifique, réitérables, validables. N’étant plus soumis au contrôle du logos, le jugement populaire peut prendre toutes les directions. Il y a une quarantaine d’années, un de mes collègues, grand amateur des États-Unis, me parla d’un auteur américain disant que l’Amérique n’existait pas, n’avait jamais existé, mais que son existence était le fruit d’un immense complot commencé avec Christophe Colomb et qui continuait à masquer l’évidence de nos jours. C’est cet ami qui m’éveilla à la théorie du complot et me poussa à approfondir cette étrange façon de fonctionner.

            Je sais que dans la « doxa », il existe des idées moins extrémistes. On y trouve en effet tout ce qui concerne le savoir par empathie, qui fait entrer dans le jugement la croyance, le désir, l’attrait, sans enclencher un raisonnement scientifique. La croyance par exemple, gérée ou non par une religion, est de cet ordre : « je crois que Dieu existe », « je crois que Dieu n’existe pas ». Cette affirmation échappe à la mise en place d’un raisonnement péremptoire. De même, dans l’art, l’appréciation d’un tableau ne dépend pas de la mise en place d’un argumentaire scientifique, mais met en branle des composantes de l’esprit humain fort estimables, tels le sentiment, l’expérience individuelle, le goût. Je reviendrai sans doute un jour sur ce point que j’esquisse ici. Pour conclure,  quand la théorie du complot soumet à la doxa des sujets qui sont du ressort de la science médicale, de l’histoire, de la biologie, de la physique, et j’en passe, on se trouve dans un monde de l’ambigüité qui tord le réel, et rend la vie beaucoup plus difficile. Tel est du moins mon avis. Nous sommes devenus des gens crédules, peut-être à force d'avaler chaque jour des discours persuasifs vantant les mérites d'un objet, d'une banque, d'un produit ménager. Le discours publicitaire qui envahit l'espace public cherche avant tout à persuader de consommer, voire à changer les mentalités, et non à faire oeuvre scientifique de démonstration. Un homme en blouse blanche vantant les mérites d'une marque de dentifrice fait vrai. Il reste que nous sommes ici dans le discours de la doxa.

            Je rentre de quinze jours de congés dans la Somme. Le temps automnal nous a concédé des journées de soleil généreux. Nous avons apprécié les balades près des falaises de craie, à Ault, le port tranquille du Crotoy en cette saison, les galeries d’art de Saint-Valéry, les quelques heures de visite du parc ornithologique du Marquenterre, les maisons « vintage » de Mers-les-bains... Nous avons observé la vie du quartier, en bord de plage, à Ault, avec ces pêcheurs de carrelets, de maquereaux et de bars. Notre voisin nous approvisionnait régulièrement en remontant de la mer. Cela m’a rappelé ma jeunesse, passée en bord de mer, à Tourlaville, où nous vivions orientés vers les différentes activités liées à la pêche amateur.

Mes lectures : essentiellement Homère, que je lis à fond et annote. Une belle expérience que je n’avais jamais faite. J’en reparlerai.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Covid et religion. 23 novembre 20

23 novembre 2020. Covid et religion.

Un ami psychanalyste m’envoie un extrait du journal Ouest-France, avec ce petit commentaire « un article qui me laisse rêveur… » Ledit article, intitulé Le Covid endeuille l’Église des Balkans, est signé Jean-Arnault Dérens (spécialiste des Balkans) et Laurent Geslin (photographe professionnel), en date du 21/11/2020. On le retrouve facilement sur internet. L’article nous apprend que deux dignitaires de l’Église orthodoxe serbe sont morts de la Covid. Le 1 novembre avaient lieu les obsèques du métropolite Amfilohije du Monténégro, mort du virus. Des milliers de personnes avaient défilé devant le cercueil ouvert, selon la tradition, baisé la main ou la mitre du défunt. Pas de masques anticovid, et communion donnée à la façon orthodoxe avec une petite cuillère, une seule pour des centaines et, sans doute, des milliers de personnes. Résultat,  le patriarche Irinej, qui présidait la cérémonie, est mort du covid dans un hôpital de Belgrade, et deux archevêques ont été hospitalisés, positifs au covid. L’article informe que le synode de l’Église orthodoxe a décidé de ne prendre aucune précaution sanitaire spéciale pour l’inhumation du patriarche Irinej, à Belgrade. Il rappelle que le patriarche Irinej, complaisant envers les autorités politiques, intransigeant en morale, avait fait suspendre des enseignants «modernistes » de la faculté de théologie de Belgrade qui avaient affirmé que l’usage d’une seule petite cuillère pour distribuer la communion n’avait aucun fondement théologique.

La France, qui n’est pas une grande terre de l’orthodoxie, n’a pas eu ce problème à régler. Mais elle a connu des manifestations de catholiques réclamant le retour des messes. « La messe me manque », affirmait l’un d’eux à la TV. Je n’ai pas les moyens de savoir quel pourcentage  ces catholiques en manque représentent chez les pratiquants. J’ai vu qu’au moins un évêque, celui de Valence, s’est désolidarisé du mouvement, préférant insister sur la solidarité des catholiques avec toutes les personnes qui souffrent de la Covid, par exemple les petits commerçants.

Voici donc des catholiques  qui se mettent en position de réclamation pour eux-mêmes. Il est vrai que l’aile plus moderne et moins égocentrique du catholicisme s’est rétrécie comme peau de chagrin au cours de ces dernières décennies. Là non plus, je n’ai pas de chiffres. Mais le nombre de croyants qui ont quitté les églises en estimant avoir mieux à faire ailleurs est loin d’être négligeable. Où sont-ils partis ? Bien difficile à dire. Sans doute ont-ils rejoint les « sans religion », expression qui peut inclure le croyant  en Dieu sans église, le « sympathisant », l’agnostique, l’athée. J’ai lu, dans le Point  (23/05/19), que la moitié des Français adultes déclarent croire en Dieu mais ne fréquentent pas obligatoirement les églises. Les catholiques représentaient, en 2018, 32 % des Français, et sur ces 32 %, 19 % n’étaient pas pratiquants, et n’allaient pas même à la messe des grandes fêtes (Noël, Pâques). Autant dire que ceux qui se trouvent, par temps d’épidémie, en manque de messe sont à chercher parmi les 13% de pratiquants  des 32% de catholiques que compte la population française. C’est une constance des petites minorités soit de ne pas faire parler d’elles, en particulier dans les régimes totalitaires, soit de se faire entendre pour défendre leur identité. Devenus clairement minoritaires, les catholiques français n'échappent pas au constat.

Voyages suspendus. 10 décembre 20

En ces temps de voyages suspendus, je me suis offert un retour vers 2004, année du Svalbard. Ce temps de confinement est finalement propice à ces retours en arrière, ces seconds départs vers l’aventure qui ne réservent plus la surprise du seul et vrai départ, mais exhalent une odeur vintage fort agréable. Et je  me suis dit, en montant ma page Svalbard, en revoyant photos et vidéos, et cahier de voyage, que ce Svalbard n’est certainement plus le même seize ans après. Nous avons été prisonniers de la banquise, nous avons dû rebrousser chemin à cause d’elle, nos zodiacs ont slalomé entre les icebergs. Qu’en est-il maintenant ? Depuis ce temps, j’ai eu le grand bonheur de remonter la côte ouest du Groenland. C’était en 2012 et déjà la fonte des glaces était dans les conversations. Nous sommes même allés en zodiac découvrir les « nouvelles terres », c’est-à-dire les terres récemment libérées de leurs glaces à cause du réchauffement climatique. Je mesure la chance  que j’ai eue de découvrir Svalbard et Groenland dans de sublimes conditions. Et je garde tout cela bien au chaud dans mon esprit. N’hésitez pas à aller voir ces pages  en Espaces Horizons. De bons voyages et beaucoup d’air pur vous attendent pour temps de confinement. Le Svalbard.

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