Fjord de Etah et superbe iceberg
Remontant la baie de Melville, nous sentons la morsure de l’hiver. Nous ne sommes qu’à la mi-septembre, mais déjà les oiseaux ont émigré et le pont du Gregoriy Mikheev se recouvre de glace. Le 17 au matin, trois de nos guides vont reconnaître la côte pour débarquer en zodiac. Nicolas prend sa décision : trop dangereux. Rochers glacés, vagues, brume. On remplacera par des balades autour des icebergs et des spectacles somptueux de lumières rasante sur la banquise. On poursuit vers le cap York (75 deg 55) et découvrons des conditions encore plus détestables. Nicolas nous souhaite de goûter comme il convient ce voyage « quasiment mystique » dans la brume.
Les enfants de Nussuaq nous accompagnent aux zodiacs. Le Gregoriy, comme je viens de le dire, va affronter des conditions difficiles dans la baie de Melville, surtout au cap York et dans le détroit de Smith pour arriver jusqu’au fjord d’Etah. Etah est le point le plus au nord de périple. Voici un extrait de notre journal de bord :
« Le pack a déjà envahi cet étroit passage de Smith situé entre l`ile d`Ellesmere (Canada) et la Terre d`Ingelfield (Groenland). Un vent froid balaie la banquise, poussant de grosses plaques vers le sud. Notre progression est lente, la coque du bateau tape lourdement dans cet amas de glaces, libérant un mince passage. A tribord les côtes du Groenland, a babord, un peu plus au loin, les côtes d`Ellesmere, toutes deux couvertes de neige. A 78 deg 18 min N et 72 deg 42 min O, nous filons vers l`est en direction de la Pointe Cairn. De l`ancien village d`Etah, blotti dans le fond d`un superbe fjord proche de celle-ci, ne restent que des debris de cabanes et une maison en tourbe occupée il y a quelques décennies encore. Un refuge récent permet aux chasseurs de la région de s`y installer le temps d`une campagne (boeufs musques, caribous, renards, lièvres, ours, phoques et de nombreuses espèces d`oiseaux). L`approche est délicate, la zone n`étant pas cartographiée. Les alarmes du sondeur de notre navire s`affolent à plusieurs reprises, passant en quelques secondes de 100 mètres de profondeur à 10 mètres. La tension est palpable au poste de commandement. Tout à coup, la radio retentit. Des chasseurs présents sur le site tentent de rentrer en contact avec nous ».
Le cap York en Zodiac
Le fjord d'Etah
Le fjord a des couleurs superbes. Au fond un glacier. Il nous faudra quelques heures pour faire l’aller et retour à pied. Quand Jean Malaurie, dans son livre Les derniers rois de Thulé, Terre Humaine, Plon, 1955, raconte son séjour dans ces régions en 1950-1951, Etah possède encore un village. Aujourd’hui, il n’y a que quelques ruines et ce refuge pour chasseurs dont parle le journal de bord. Les chasseurs sont quatre. Ils sont venus en barques très sommaires, ont tué un bœuf musqué et attrapé au piège plusieurs renards arctiques. Notre cuisinier leur achète un morceau de viande (le bœuf musqué est un capridé) qui nous sera servi au repas du lendemain. La météo n'étant pas très rassurante, notre chef d’expédition invite les chasseurs à rentrer avec nous. On treuille leurs barques sur le pont. Et le soir, nous aurons droit à des chansons inuit d’un des chasseurs qui s’accompagne en frappant en cadence une omoplate de morse avec un os de renne.
Chasseurs à Etah (78 deg 18 min)