Romans jeunesse et nouvelles

 

 

 

1.  Flora, l’inconnue de l’espace, « Castor Poche n° 184 », Paris, Flammarion, 1987. Réédition en 1999. Traduit en espagnol. Mon premier roman. Situé dans l’espace, ce récit est moins de la science-fiction qu’un grand poème à la vie.

 

 2. Le muet du roi Salomon, « Page Blanche », Paris, Gallimard Jeunesse, Paris 1989. Réédition en 1992. Publié dans une collection jeunesse, ce livre avait été écrit à l’origine pour les adultes. (Voir donc la page littérature adulte).  Il a d’ailleurs obtenu le Prix Erckmann-Chatrian 1991. J’en ai tiré une version simplifiée en « Scripto ». Voir ci-après.

 

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 3. Le signe de l’albatros, « Castor Poche n° 452 », Paris, Flammarion, 1994. Réédition en 1999. Aujourd’hui, je qualifierais ce roman d’écrit de transition. J’étais en attente d’un sujet qui ne venait pas. L’histoire se situe en Patagonie et raconte les aventures d’un vieux marin qui ne veut pas raccrocher et d’un jeune, Tamoun, qui entend bien se ménager une place dans le monde. La Machi, une chamane, servira de médiatrice entre le vieux Chico et le jeune Tamoun. Un roman d’apprentissage, en quelque sorte.

 

4. Issa, enfant des sables, « Page Blanche », Paris, Gallimard Jeunesse, 1995. Réédition en 1996 et 1999 ; en 2002  en Folio Junior. Traduction en japonais en 2004. Grand Prix du Comité Français pour l’UNICEF 1996. De l’écriture de ce roman, j’ai gardé un souvenir lumineux, l’impression d’avoir écrit dans l’évidence, comme on peindrait une aquarelle, sans retouches. Si je retourne au manuscrit, je m’aperçois en fait que ce récit a connu, comme tous les autres, bon nombre de reprises. J’ai écrit ce roman après deux voyages qui m’ont particulièrement marqué. Le premier m’a conduit au Hoggar et dans les Tassili du même nom, expérience inoubliable en compagnie de Touaregs. Le second fut un séjour de six semaines au Rwanda. J’y ai visité des villages perdus dans les collines et constaté le travail d’humanitaires dans ce pays essentiellement rural, où il y avait tant à faire en matière de nutrition, d’hygiène et d’éducation. Runaba, Bungwé, Kigali sont là, dans ma mémoire. J’y attache des noms devenus amis, tous gens de grand courage affrontés à des situations si difficiles, suite aux massacres génocidaires.Traduction en japonais : Motovun Co. LTD. Tokyo.

 

5. Ocre, « Page Blanche », Paris, Gallimard Jeunesse, 1998.Une œuvre de commande faite à dix auteurs pour célébrer les dix ans de la collection. L’histoire est celle d’un jeune garçon qui découvre l’univers d’un vieux sculpteur africain. Puissance de la création artistique qui fait surgir des mondes. Dans ce récit, j’ai travaillé la figure de la double apparence (on dirait, en langage savant : l’anamorphose). La statue de cet européen malintentionné représente-t-elle un singe ou un homme ? Souvent, dans la vie, les choses ne sont pas aussi claires que l’opposition entre le jour et la nuit. Le chemin du jeune héros, Doumo, se dessine entre la joie et les larmes.  

 

 6.  Ocre, suivi de La statuette de Jade (par Jean-Philippe Arrou-Vignod), Folio Junior, 2002. Nous avons regroupé là deux nouvelles consacrées à l’Afrique. Et comme toujours avec beaucoup d’élégance, Jean-Philippe a mis ma nouvelle en premier. C’est classe !                   

 

 

 

 

 7. Coeur de louve, « Page Blanche », Paris, Gallimard Jeunesse, 1999. Réédité en Folio Junior n° 1280. Prix Ados du salon de l’été du Livre, Metz, 2004. Ce roman témoigne de mes nombreux voyages et séjours au Québec pour cause de recherche et d’enseignement universitaires. Je connais le Québec par toutes les saisons, et j’ai gardé un souvenir très envoûtant des hivers. J’ai voyagé par route, par bateau ; j’ai caboté le long du Saint-Laurent, jusqu’au Labrador. Et j’ai découvert l’histoire de ce pays d’émigrés, venant côtoyer les gens des premières nations. Mon roman se situe au XIXe siècle, quand Mauve, qui a vécu douloureusement la commune de Paris, décide de partir pour la Nouvelle France, gardant dans son cœur l’idéal égalitariste de son père mort sur les barricades. Ma pensée va aux amis de là-bas, en particulier Micheline, qui sait si bien parler de ses Laurentides.

 

 8. La maison des lointains, « Scripto », Paris, Gallimard Jeunesse, 2002.  Traduction en portugais, S.M. Brésil 2007. Prix Jeunesse Saint-Dié-Des-Vosges 2003 ; Prix SNCF-Rouen 2003. Je rêve depuis toujours d’aller en Namibie, et je n’ai toujours pas accompli mon rêve. Un jour, en plein hiver, je suis entré dans une librairie de Québec et j’ai acheté tous les livres qui parlaient de ce pays africain, magique à mes yeux, et me suis mis à écrire. Je suis passé ainsi des moins 30 degrés de l’hiver à des températures beaucoup plus supportables ! Le roman raconte la vie d’une famille d’Afrikaners et l’attirance de Jan, le jeune garçon, pour la façon dont Kaboko, un Khoi-Khoi, voit le monde. C’est aussi la rencontre entre une lionne et Jan. Thème connu, bien sûr, mais toujours disponible  pour tout écrivain qui désire s’en emparer.

  

 9. Jeremy cheval,  « Hors Piste », Paris, Gallimard Jeunesse, 2003. Réédité en Folio Junior n° 1613. Jeremy Cheval : Prix Jeunesse de Brive-la-Gaillarde 2003. Sortant, un jour, du film « Une jeune fille à la fenêtre », de Francis Leclerc, j’ai gardé dans l’esprit les images de chevaux courant dans la neige. Ce fut l’origine de mon roman. Nous sommes quelque part dans l’Ouest américain, chez des fermiers. Un jeune garçon, Jeremy, part à la recherche de sa mère indienne. Il reçoit l’aide d’un cheval apaloosa qui le fait entrer dans une horde de chevaux sauvages. Le jeune garçon se métamorphose alors en animal, et apprend la loi impitoyable du grand Ouest, pour les animaux affrontés à tous les dangers. Livre traduit en espagnol : Un caballo llamado Jeremy,Panamericana, 2015.

 

   10. « L’oncle fantôme », nouvelle publiée dans :  Bonnes vacances, des écrivains au secours de l’enfance, « Scripto », Gallimard Jeunesse, 2004, p. 25-37.

 

 

 

 


11. La maison des Lointains. Texte et dossier,  « La Bibliothèque Gallimard », Paris,  Gallimard, 2004. Même texte que plus haut, accompagné d’un dossier pédagogique, comme tous les livres de cette collection

 

 

 

 12. Leïla, les jours, « Scripto », Paris, Gallimard Jeunesse, 2005. Prix Saint-Exupéry 2005 ; Prix de la Nouvelle Revue Pédagogique 2005.  L’idée de ce roman m’est venue de reportages sur les bibliothèques menacées par les sables, dans la ville de Chinghetti, en Mauritanie. Une jeune aveugle, Leïla, qui fait semblant d’y voir, un garçon en recherche de repères, un vieil homme à la recherche d’un livre perdu dans les sables, chacun, dans ce récit, est en quête d’un paradis perdu. Des destins se croisent, rendent la dureté des chemins plus supportable.

 

13. « Comment le moula moula sauva la caravane du sel », nouvelle publiée dans : De l’eau, de-ci de-là,  L’écrit du cœur, Solidarités, « Scripto », Paris, Gallimard Jeunesse, 2005, p. 21-30. Il existe beaucoup d’histoires sur ces oiseaux noirs à tête blanche, peu farouches, amis des Touaregs. J’ai entendu celle-ci, sur la caravane du sel, dans les Tassili du Hoggar.

 

 

14. "Le toit du monde", nouvelle publiée dans : Va y avoir du sport, "Scripto", Gallimard Jeunesse, 2006, p. 25-40. J’écrivais cette histoire quand j’ai appris la disparition d’un grand de l’alpinisme, Jean-Christophe Lafaille, disparu au Makalu dans une course hivernale, en solitaire. J’ai toujours eu un grand respect pour ces sportifs de l’extrême, moi qui n’ai jamais atteint qu’un seul 4000 dans ma vie : le Grand Paradis, en Italie.

 

15.  « Le diable de Tombelaine » nouvelle publiée dans : Entretiens avec le Diable, Paris-Québec, Les quatre cents coups, 2007, p. 63-77. Tomblaine, c’est une banlieue de Nancy, mais Tombelaine, c’est une île, située dans les grèves, non loin du Mont-Saint-Michel. Je m’y suis quelquefois arrêté, l’été, en traversant les grèves en compagnie d’un guide. Voilà pour les lieux. Quant au Diable, mon Dieu, tout le monde le connaît…

 

 16.  Archéopolis. 1. Le pilleur de tombes, « Hors Piste », Paris, Gallimard Jeunesse, 2006. La collection « Hors piste » s’adresse à des lecteurs plus jeunes que ceux de « Scripto » pour lesquels j’écris plus souvent. Alisson est la filleule d’un archéologue distrait, qui se souvient mieux des noms des Pharaons que du sien. Un jour, pourtant, il l’invite à un stage d’initiation en Égypte. Début d’une intrigue policière, sur fond de recherche de la tombe d’une princesse ougaritaine, devenue femme de Ramsès II.

 

 17. Archéopolis. II. L’oiseau du secret, « Hors Piste », Paris, Gallimard Jeunesse, 2007. Dans le sud de l’Égypte, en Nubie, Alisson et son parrain sont à la recherche de la tombe de la princesse. Quand on sait que le nom de cette jeune ougaritaine est Bat-Yarik,  c’est-à-dire « fille de la lune », on se doute que la clé du mystère aura quelque chose à voir avec l’astre de la nuit.

 

 

 18.  Archéopolis. III. Les tablettes magiques, « Hors Piste », Paris, Gallimard Jeunesse, 2008. Grâce aux tablettes magiques retrouvées dans la tombe, Alisson remonte le temps et devient Alissatou. Une belle amitié se noue entre elle et Bat-Yarik, effaçant ainsi quelque 33 siècles de distance. Le temps  est si peu de choses quand il s’agit de faire se rencontrer des gens qui se ressemblent et qui s’aiment.

 

19. Le muet du roi Salomon, Nouvelle édition remaniée, en « Scripto », Paris, Gallimard Jeunesse, 2008. Cette édition, sous la belle couverture d’Olivier Tallec, propose un texte plus abordable pour ados que l’édition en « Page blanche » citée supra. L’histoire est celle d’un jeune Nubien, Gol, muet de naissance, qui s’enfuit de chez lui. Il marche dans le désert et finit par échouer dans une oasis où se cache une autre fugitive, Cippora. Mais seuls les dieux connaissent les destins. Celui de Gol le pousse vers la ville. Une rencontre avec Salomon dont on dit qu’il a pouvoir de guérir, tourne à la catastrophe. C’est pourtant au palais du grand roi qu’il finira par vivre, avec Cippora la fugitive, qui elle n’oubliera jamais le désert. Car le désert contient mille fois plus de richesses qu’il n’en existe dans les palais des rois. 

 

Jesus-une-rencontre-en-Galilee.jpg20. Jésus, une rencontre en Galilée, « Épopée », Paris, Casterman, 2010. J’ai puisé dans mes connaissances universitaires de l’histoire du premier siècle pour bâtir un roman historique, un vrai. Le héros en est Mika, qui parcourt avec ses mules toute la Palestine pour vendre les produits de la ferme de son père. Dans les auberges où il descend, il fréquente toutes sortes de gens. On parle, on discute, il écoute. Bientôt le bruit se répand qu’un mystérieux prophète opère des choses invraisemblables. Mais tant d’illuminés courent les chemins ! Des fous qui en appellent à chasser les Romains, des sectaires qui se retirent du monde pour vivre dans le désert, des faux messies qui profitent des malheurs des gens. La rencontre aura lieu, entre Mika et le Nazaréen, une rencontre toute simple, quelques mots échangés, dans les collines, sous un olivier. Une rencontre comme en passant… L’intérêt de ce récit est à mon sens de retracer sous forme de roman, mais avec une grande précision historique, le milieu sociologique si diversifié d’un certain Nazaréen, nommé Jésus, qui fit beaucoup parler de lui dans les siècles suivants ! Ce roman n’a rien de confessionnel. Son approche est de bout en bout historienne et culturelle. Une édition revue et corrigée va paraître en mai 2025 aux éditions Salvator.

 

21.  Laomer. La nouvelle histoire de Lancelot du lac, Paris, « Grand Format », Gallimard Jeunesse, 2018. Un roman d'aventures au souffle épique dans un Moyen-Âge fascinant.

En cette fin du XIIIe siècle, des guerriers nordiques attaquent les côtes d'Irlande et d'Écosse, enlèvent les jeunes gens pour repeupler leurs terres lointaines cachées derrière la mer des Brumes. Morgane l'enchanteresse et Calogrenant, chevalier de la Table ronde, embarquent pour l'Irlande, à la recherche de Robert de Laomer, mystérieux chevalier qui a vu sa femme et son fils périr dans l'incendie de son château. Porteurs d'une nouvelle qui devrait lui redonner le goût de vivre, Morgane et Calogrenant le retrouveront-ils? De la Sicile aux terres gelées du Nord, de la Cornouailles à Venise, de joyeuses rencontres en dangereuses péripéties, jusqu'où les mènera ce périple ?

Lancelot est un personnage de légende et l’on ne compte plus les livres ou les films qui l’ont mis en scène. J’ai beaucoup aimé, celui de Robert Bresson, sorti en 1974, très étrange, très fascinant. Je crois que chaque artiste a le droit de chercher à continuer la légende, à imaginer des aventures nouvelles. Je suis donc parti du personnage de Lancelot amoureux de la reine Guenièvre, pour leur bonheur et leur malheur, et j’ai continué l’histoire à ma façon, en partant du moment où Lancelot quitte la cour du roi Arthur Pendragon. Auprès de lui, j’ai posé quelques figures célèbres des légendes arthuriennes comme Morgane, Viviane, Calogrenant, chevalier de la Table ronde. Puis je me suis demandé comment l’aventure pouvait continuer dans la seconde génération, celle des fils. Ils doivent vivre leur vie, répondre aux questions de leur temps qui ne sont plus tout-à-fait celles de leurs parents. Des guerriers nordiques viennent ravager les côtes d’Écosse et d’Irlande, le monde se découvre plus vaste qu’on ne le pensait. Mes héros vont voyager, aller en Sicile, à Venise, et jusque derrière la mer des Brumes où se cachent les Nordiques. Ils vont découvrir d’autres façons de vivre, hors du monde de la chevalerie. L’action se situe précisément au temps de Marco Polo. Et ce n’est pas un hasard si je le fais rencontrer à l’enchanteresse Morgane quand elle se rend à Venise. Plus de deux siècles avant Christophe Colomb, le négociant Nicolo Polo, son frère Matteo et son fils Marco voyagent jusqu’en Extrême-Orient. Ce sont eux qui fournissent à Morgane une carte des pays du Nord qui l’éclaire sur la géographie réelle de régions demeurées longtemps mal connues.

J’ai voulu montrer une société faite non seulement de chevaliers, mais aussi de clercs, d’étudiants, de savants, de saltimbanques, de commerçants, de voyageurs, de pèlerins. Et surtout, j’ai imaginé pour certains d’entre eux la possibilité de passer d’une classe sociale à l’autre. C’est le cas de Robin, fils d’éleveurs de moutons sur les grèves du Mont-Saint-Michel, qui va à l’école de l’abbaye, puis se rend en Champagne, où il devient membre de la cour. C’est le cas de Pernelle, comédienne ambulante, jongleuse, qui devient femme de châtelain. Mon idée était de montrer que la conduite très transgressive de Lancelot, amoureux de la femme du roi, pouvait augurer d’autres transgressions sociales, comme les deux que je viens de citer. C’est d’ailleurs dans le château de Lancelot que la jongleuse Pernelle et le jeune chevalier Ael vont trouver le lieu pour vivre leur amour, malgré des origines sociales qui ne devraient pas les conduire à se rencontrer pour une vie commune.

 

22. Ulysse I. Prince d’Ithaque, Paris, « Grand Format », Gallimard Jeunesse, 202 

Je résume ici quelques points des entretiens que j’ai eus à l’université de Lorraine-Metz, dans l’île du Saulcy, le 23 octobre 24, sur invitation de Madame M. Bile, responsable de l’association Kallirrhoé. J’ai pensé qu’il peut aider les enseignants lecteurs de ma trilogie sur Ulysse, aux éditions Gallimard Jeunesse. Ce ne sont que des notes rédigées sans trop de souci esthétique. Bonne lecture quand même !

J’ai appris beaucoup en rédigeant cette trilogie sur Ulysse. Et tout d’abord, bien qu’ayant commencé l’étude du grec en classe de cinquième, j’ai découvert ma grande insuffisance dans la connaissance du grec d’Homère, que j’ai trouvé bien difficile. Mais, heureusement, c’est en romancier et non en traducteur que j’ai abordé ce travail. 

Ensuite, j’ai dû éprouver la misère psychologique du romancier appelé à écrire une histoire, pris entre le texte original, ou des textes anciens, ou parfois presque rien, et le texte à créer pour en faire une réécriture. Les choses ne sont pas simples, vous vous en doutez bien. D’autant que pour la jeunesse d’Ulysse, il y a très peu d’éléments dans Homère.

J’ai bien sûr dû me soumettre à certaines lois du genre « littérature de jeunesse ». Au plan de l’intrigue, par exemple, on évite les ruptures dans le déroulement du temps, les retours en arrière ; on lisse la narration de façon qu’elle ne cause pas trop de difficultés. Il faut garder le souci d’un fil d’Ariane pédagogique pour que le jeune lecteur ne se perde pas. Dans l’Odyssée, le célèbre passage du chant VIII où Ulysse entend l’aède Démodocos parler de lui comme d’un héros du glorieux passé, doit être simplifié. J’ai donc enlevé de la bouche de Démodocos ce qu’il raconte du héros pour le faire dire par Ulysse.  J’ai ainsi remis le matériau narratif dans l’ordre chronologique. Et, de ce fait, j’ai effacé une grande originalité du récit d’Homère.

Au plan lexical, on évite bien entendu les mots ou les formules compliqués. Cela dit, j’ai constaté qu’on peut dire beaucoup, et sur des sujets pas toujours faciles.

Une interculturalité

A titre personnel cette écriture m’a permis de me poser des questions nouvelles sur la société grecque et sur ces textes anciens. Le texte homérique fait référence lui-même à des époques anciennes, « au temps où… », au temps des héros que chantent les aèdes.  Et j’ai noté qu’en plusieurs endroits, le texte d’Homère se rapproche de vieux textes proche-orientaux.  J’ai ressenti en plusieurs endroits des signes d’interculturalité du bassin méditerranéen où les cultures se brassaient. 

Sans trop chercher dans ma mémoire, je note par exemple que le dieu Hermès offre à Ulysse, sur le chemin qui conduit au domaine de Circé, une plante de vie, le molu. Il s’agit d’une étrange plante blanche et noire, un pharmakonqui conjure les élixirs nocifs de la rusée magicienne. On songe bien sûr à la plante de vie de l’épopée de Gilgamesh, répandue dans une très grande partie du Proche-Orient vers 1500 avant JC. J’ai aussi découvert que la déesse Athéna décide de « prolonger la nuit » pour favoriser les retrouvailles d’Ulysse et Pénélope, ce qui n’est pas sans me rappeler Josué arrêtant le soleil et le cours de la lune pour permettre aux Hébreux de venir à bout des Gabaonites (Jos 10). 

Ce sont de bien petites remarques (j’en rajouterai quelques-unes plus loin) mais qui ont corrigé mon idée que le grec était une langue classique pure et n’ayant subi aucune influence, faite pour être diffusée dans les collèges comme celui de l’Institut Saint-Paul de Cherbourg, où j’ai commencé l’apprentissage de cette langue, en 1953. Troie, elle-même, est une ville qui ne ressemble pas aux cités grecques, mais évoque quelques cités proche-orientales. 

Ulysse I, Prince d’Ithaque

Une jeunesse à inventer

La principale difficulté rencontrée pour écrire le premier volume, c’est qu’il n’existe pas de livre ancien concernant Ulysse. Flavius Josèphe a écrit une partie de son enfance, dans son ouvrage Bios. Pour Jésus, on a des récits d’enfance.  Il n’y a rien de tel pour Ulysse.  La difficulté est donc de trouver du matériau. 

On cherche dans Homère lui-même, et aussi dans la littérature postérieure, les tragiques grecs par exemple, et plus largement. Par exemple le pseudo-Apollodore Bibliothèque (2e siècle av JC) rapporte des histoires intéressantes ; je lui ai pris la matière de mon chapitre 24, vol 1, où Achille est enfermé dans le palais de Lycomède par sa mère Thétis, pour qu’il ne parte pas à la guerre. J’ai romancé l’histoire, avec Athéna soufflant un rêve à Ulysse pendant qu’il dort avec Patrocle dans une cabane de pêcheurs. Le rêve lui fait voir une sœur fictive d’Achille). Vous avez là un bon exemple  du travail : j’apprends cette histoire de harem d’un grand roi, je construis une petite intrigue autour et je l’intègre dans l’histoire, en la modifiant et en ne gardant pas tous les éléments. 

J’ai découvert d’autres épisodes que je ne connaissais pas, par exemple le récit d’Ulysse simulant la folie, poussant sa charrue pour creuser des sillons dans le sable et y semer du sel. Il feint la folie pour ne pas partir à la guerre. Mais un prince perçoit sa dissimulation et jette Télémaque devant la charrue au risque de le tuer, et Ulysse, arrêtant la charrue, se dévoile. Il est loin d’être fou. Nulle part dans l'Iliade ou l'Odyssée, il n'est question de Palamède et de sa rivalité avec Ulysse. Mais Apollodore raconte cet épisode (Epitoméd'Apollodore III, 6-7), un petit bijou de récit dont un romancier ne peut que saisir quand il le découvre. 

J’ai donc glané un peu partout, bâti une intrigue, où j’ai pu placer des personnages qui me paraissent tous s’imposer par une force, une lumière, une légèreté pour certains d’entre eux, une fantaisie pour l’autres, en tous points remarquables. Je n’ai eu qu’à romancer autour d’eux.

Bien sûr, j’ai veillé à annoncer dans le récit sur l’enfance des choses qu’on retrouve dans Ulysse adulte vu par Homère. Par exemple, j’ai relié la cicatrice à la cuisse d’Ulysse à l’épisode concernant Briséis. Je l’ai imaginée en partie,  cette Briséis, lui donnant une mère grecque et un père roi, alors que dans la mythologie, elle est femme du roi Mynès, cité dans l’Iliade comme guerrier valeureux avec un autre appelé Epistrophe (chant 2, 690-692), et son père est prêtre d’Apollon. (Dans l’Iliade encore, Agamenon qui la vole à Achille la lui rend en disant qu’elle est vierge).  En fait,  je n’en fais pas une reine, mais une fille de roi (Voir mon tome 2, page 72) ; j’ai écrit que son père, roi de Lyrnessos, a une femme grecque qui vient se retirer avec Briséis, dans une maison des pentes du Parnasse, et prier Apollon au sanctuaire de Delphes. Et Ulysse sauve Briséis du sanglier qui la menace. Le lien entre sanglier et Briséis est fait par moi ; il m’a permis de tisser une intrigue romancière plus solide. 

Briséis, bien sûr, m’a beaucoup marqué. Mais encore :

- Le père de Pénélope, Icarios, frère du roi de Sparte, Tyndare. J’ai marqué son souci pour sa fille, son amour des attelages attesté dans les textes anciens. Je ne sais plus trop aujourd’hui ce que disent les vieux textes et ce que j’ai raconté.

- Achille. Là, j’ai fait ce que j’ai pu. Écrivant pour des jeunes, il m’était difficile d’en faire un guerrier, le plus grand, à l’horizon limité ou peu intéressé à autre chose qu’à la gloire des héros. J’en ai fait un ami proche d’Ulysse, ce qui n’est pas trop faux, mais appellerait sans doute des réserves chez un historien. Je passe, bien sûr, très vite sur le fait qu’il a tué la famille de Briséis, au cours des phases de conquête des villes satellites.

- Eumée. Personnage est fascinant. Fils de roi d’une île située très à l’ouest si je me rappelle bien, enlevé par sa nourrice désireuse de retourner dans son pays, vendu à des marins bandits, acheté par Laërte sur demande d’Ulysse.  C’est pour moi un personnage-clé. J’avais envisagé de finir le dernier volume de la trilogie avec lui. Eumée et la sœur d’Ulysse dont je fais l’amoureuse (ce qui n’est pas dit dans Homère) annoncent leur départ pour l’île de son enfance. Il devient ainsi le contrepoint d’Ulysse partant pour la guerre sous la contrainte. Lui, il part librement, et c’est la sœur d’Ulysse qui entreprend son voyage librement elle aussi, par amour. Mais mon éditeur m’a conseillé de terminer avec le héros principal, Ulysse.

Une autre difficulté, en littérature de jeunesse en particulier, c’est qu’on tend à faire des grands héros des gens sympathiques, auxquels le jeune lecteur peut s’identifier. Or chacun sait qu’Ulysse, chez Homère, mais encore plus dans les tragiques grecs et aussi chez les auteurs romains, n’était pas toujours considéré comme le chevalier sans peur et sans reproches.  Il suffit de lire le Philoctète de Sophocle pour saisir combien le personnage d’Ulysse y est décrit comme rusé, menteur et capable d’impolitesses et de graves méchancetés pour récupérer les armes d’Héraklès. J’avoue avoir peu insisté sur les défauts d’Ulysse, qui sont pourtant grands. J’ai cédé à la loi du genre, mais je crois que je ne pouvais pas trop faire autrement. J’ai réussi en quelques endroits à souligner des défauts ; par exemple, Athéna lui reproche son comportement quand il tend un piège mortel à Palamède, celui-là même qui avait osé risquer la vie de Télémaque dans l’épisode de la plage où Ulysse simulait la folie.  Mais cela reste minime. J’ai fait d’Ulysse un ami d’enfance d’Achille, ce qui est sans doute exagéré. 

Ce que j’ai aimé dans ce premier volume consacré à la jeunesse du personnage, c’est broder autour d’Eumée, le prince devenu serviteur. Et aussi traiter des caractères plus rudes, plus complexes comme celui du père de Pénélope, Icarios.

J’ai aussi romancé autour d’Autolycos, le grand-père maternel d’Ulysse, disciple de Hermès et chef d’une confrérie autour du dieu des voleurs. Dans mon roman, c’est chez lui que Briséis rencontre Ulysse. J’en ai fait un personnage un peu à la Robin des bois, qui a toujours le souci des plus pauvres.

J’ai inventé des personnages quand cela m’arrangeait : les deux nains par exemple, qui, comme dans Chrétien de Troyes, sont des êtres très souvent maléfiques. C’est un nain qui invite Lancelot à monter dans une charrette pour retrouver la reine ; or la charrette est un véhicule dysphorique lié à la mort et aux exécutions. Mais dans ma trilogie, j’ai inversé les valeurs et fait de mes deux nains des êtres marginaux et positifs.  Une chanson de Fabrizio de André m’a inspiré également. Dans son album No al denaro, no all’amore ne al cielo, il fait le portrait de personnages de l’Ouest américain  qu’il emprunte à un certain Edgard Lee Masters, auteur américain que de André lisait dans sa jeunesse. Le livre de Masters, Spoon river (paru en 1916) est fait de témoignages de gens morts racontant depuis leur tombe ce que fut leur vie. De André, lui, leur donne la forme de textes pour ses chansons. Il fait ainsi le portrait d’un nain qui déclare :

 « La maldicenza insistebatte la lingua sul tamburo

fino a dire che un nano è una carogna di sicuro

 perché ha il cuore troppo,  troppo vicino al buco del culo. »

« La médisance insiste, bat la langue sur le tambour, 

allant jusqu’à dire qu’un nain est assurément une crapule

 parce qu’il a le cœur trop, trop près du trou du c… »

 

Outre mes deux nains, j’ai aussi inventé « Tout-oreille » et ses fils qui surveillent pour le roi les allers et venues des troupeaux et de leurs voleurs. Ces personnages m’ont permis de développer un des aspects économiques du temps, à savoir l’élevage du petit bétail. C’est d’ailleurs à la recherche de troupeaux volés qu’Ulysse, débarquant sur le continent, fait la rencontre d’Iphitos, qui lui fait don de son arc magique. Ceci m’a permis d’introduire l’histoire d’Iphitos et de ses rapports avec Héraklès.

Je n’ai pas inventé Athéna, mais j’ai aimé la raconter. Moi qui viens de la Bible où le Dieu unique est bien esseulé dans son ciel par rapport aux polythéismes, j’ai eu à gérer ce rapport si beau des dieux et des hommes. Un calque, un double pas si double que cela ? Des dieux menteurs, des hommes beaux comme des dieux. Je signale à ce sujet la dernière parution d’un grand spécialiste, Pierre Judet de la Combe, Quand les dieux rôdaient sur la Terre, Albin Michel-Belles Lettres, 2024. 

 

 23. Ulysse 2. Vainqueur de Troie, Paris, « Grand Format », Gallimard Jeunesse,  2023.

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 Des trois volumes, c’est le second, consacré surtout  à l’Iliade, qui a été le plus difficile à rédiger. Le texte homérien en fait ne raconte qu’une cinquantaine de jours de la guerre contre Troie, entre le moment où Achille pousse sa grande colère et le celui où ont lieu les funérailles d’Hector dont Achille a redonné le corps à Priam. Mon second volume ne reconduit pas ce schéma narratif, mais commence avec Ulysse quittant Ithaque pour la guerre. La géante colère d’Achille n’arrive ici qu’au chapitre 10, page 48.  Tout ceci pour des raisons de clarté. En fait, j’ai élargi l’horizon de la cinquantaine de jours que raconte l’Iliade. Départ d’Ithaque, puis une série de chapitres qui traitent de la guerre certes, mais aussi de ce qui se passe chez Pénélope, Laërte et Télémaque. 

L’Iliade narre la guerre et ses violences avec une précision j’allais dire diabolique. Peu de détails nous sont épargnés concernant les blessures, les corps percés, les articulations déboîtées, les noyades, les morts par le feu, et j’en passe. Détails anatomiques à la limite du sordide. Le tout accompagné par de jolies formules, comme le refrain « la nuit lui couvrit les yeux ». 

Soulignons aussi l’importance des rites mortuaires par le feu, des bûchers sur la plage. Et notons la présence de métaphores insistantes qui accompagnent le récit guerrier et convoquent ainsi le monde de la chasse, de la nature, de la mer, des nuages, des oiseaux, etc. Ces métaphores sont une sorte de temps de respiration et déjà une interprétation, limitée certes, mais réelle, des tueries décrites avec tant de réalisme. Voir par exemple le chant X, vers 360 ss : « Tels deux chiens aux crocs aigus, experts à la chasse, à travers un pays boisé, pressent obstinément une biche ou un lièvre… » (Iliade, Classiques en poche, traduction Victor Bérard, Les Belles Lettres, 2015, p. 81).

Importance aussi des signes du ciel. Un serpent qui mange des petits passereaux devient un présage. Le tout fait un monde étonnant. Il arrive qu’on se dispute sur le sens du présage ou qu’on refuse ce que dit un devin. Par exemple Hector ne voit pas un présage dans un serpent qui est pris dans les serres d’un aigle ; il ne veut croire en effet que les messages que Zeus lui livre directement. Il n’a pas besoin de serpent ni d’aigle (Chant 12, vers 231 ss. Belles Lettres , Iliade vol. 2, p. 177). 

Nous sommes là dans une société de guerriers, avec des mœurs bien difficiles à raconter pour des jeunes. Comment rapporter l’aspect systématique de la destruction des villes satellites de Troie la capitale ? C’est le cas, de Lyrnessos, ravagée par Ulysse qui détruit la famille royale de Briséis. Hommes tués, femmes emmenées en captivité, condamnées à devenir servantes de leurs tortionnaires. 

 J’ai noté aussi, bien sûr, combien la guerre fait partie des rythmes de la vie. Il y a une saison pour cela. Dans un livre pour la jeunesse, il est difficile d’avoir des descriptions trop longues. Je n’ai donc pas pu exploiter autant que j’aurais aimé la description du bouclier d’Achille, œuvre d’Héphaïstos le forgeron, ami du feu volcanique. Sur ce bouclier, le temps de la guerre y est inscrit, en opposition avec le  temps de paix représenté, si j’ai bonne mémoire, par une fête, un mariage peut-être, bref, une cité en fête.

Deux passages m’ont beaucoup impressionné dans l’Iliade. 

1. La colère du fleuve. Le texte décrit la haine d’Achille, aveuglé par la mort de Patrocle, qui n’obéit plus au règles  ordinaires de la guerre, mais massacre tout ce qu’il trouve devant lui, hommes, éléments de la nature, comme les vagues du fleuve. Le Xanthe, c’est le nom du cours d’eau créé par Zeus, refuse le massacre, et cherche à faire périr Achille pour que le massacre s’arrête. Alors qu’il va mourir noyé, comme ses ennemis, Achille sort du fleuve, mais le Xanthe déborde et continue de le poursuivre. C’est Thétis qui le sauve en s’adressant à Héphaïstos. Celui-ci envoie sur la plaine des boules de feu. C’est la lutte entre feu et eau, l’eau bouillonne, s’évapore, le fleuve a asséché la plaine. Il y a dans cette scène un retour aux éléments cosmiques primitifs, le feu, l’eau. La rage d’Achille est telle qu’aucun humain ne peut l’arrêter dans sa folie meurtrière. La course d’Achille vers le fleuve, dans l’eau, hors de l’eau poursuivi par le fleuve sorti de son lit est proprement géante. Et géante aussi l’intervention d’Héphaïstos jetant ses boules de feu.

2. Le vieux Priam vient réclamer le corps de son fils.  Le film Troie, de Petersen, 2004, a scénarisé l’épisode. Mais malgré le vieux Peter O’Toole et le jeune Brad Pitt, je trouve que c’est plus beau dans un livre. Comme pour le fleuve, j’ai vécu cela comme un changement d’échelle, voire d’esthétique. Le vieux père Priam demande à dormir, il dort. On passe ici à un stade différent. On n’est plus dans des parcours figuratifs de gens déterminés par leurs métiers (des soldats, des chefs d’armée), mais on passe à un niveau autre : la génération, la paternité, la filialité. C’est le père que Priam met en avant, et ses réflexions tournent autour des différentes situations dans lesquelles le père et le fils peuvent se trouver. Cette sorte de décrochement fait une rupture avec les scènes de guerre si précises dans le vocabulaire qui reste essentiellement technique guerrière et de combat. On est ici dans un vecteur non de métier des armes (culturel), mais quelque chose de plus biologique ou de plus génétique : la paternité. Il faut que Priam descende à ce niveau plus fondamental, non plus la guerre, mais la paternité, pour faire son réquisitoire.

 

24. Ulysse, marin perdu, Paris, Gallimard, "Grand Format", 2024.

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Marin perdu, est un titre trouvé et suggéré par la responsable des collections, Aurélie. Il me permet d’introduire un thème qui me paraît essentiel dans ce Nostos, et qui est la reconnaissance (en grec, « anagnôrisis »).

Reconnaître

Arrivant sur son île, Ulysse ne reconnaît rien ; il doit refaire le parcours de la reconnaissance. Il y a tout un jeu, à cause des dispositions d’Ulysse à cacher, tout un jeu autour du cacher/révéler. C’est le cas avec le Cyclope quand Ulysse lui révèle qui il est, depuis le bateau, lui qui s’est caché sous le nom de personne.  Ou encore quand il dit qui il est aux Phéaciens. Mais ici, le jeu concerne Ulysse, qu’on ne reconnaît pas certes, mais qui, arrivé de nuit sur Ithaque, déposé avec son lit sur la côte, ne reconnait pas. On assiste donc a des péripéties conduisant au dévoilement de son île. Le symbole en est la brume versée par Athéna autour de lui, et qui va se lever et lui révéler où il est. Le marin perdu ne l’est plus. 

Le récit va gérer beaucoup de « ne pas connaître » et de « connaître » ou de « reconnaître ». Reconnaître la terre, la grotte, le port. Se faire reconnaître par Eumée, Télémaque, etc.  qui vont pour cela devoir passer chacun par une petite péripétie. N’oublions pas le vieux chien, Argos, bien sûr. Arrivé au palais, déguisé en mendiant, Ulysse voit des prétendants qui ne le reconnaissent pas. La servante Euryclée, elle, le reconnaît à la cicatrice de sa cuisse d’Ulysse. Pénélope qne sait pas, se doute, pose un piège (l’histoire du lit déplacé), reconnaît son homme. À Laërte dans sa campagne Ulysse lui révèle qui il est, après l’avoir sermonné pour sa saleté. Ajoutons les signes : les arbres plantés jadis par Laërte et dont Ulysse se souvient,  la cicatrice faite par un sanglier. Il y a aussi le lit que Pénélope demande de déplacer alors qu’Ulysse l’a chevillé à l’olivier dans la chambre ; à sa réponse elle reconnaît que c’est bien lui. Il y a encore l’arc que Pénélope présente aux prétendants en promettant d’épouser celui qui saura l’utiliser pour traverser les haches. Il y a là, dans ces petites séquences d’anagnôrisis (reconnaissance) une voie royale pour comprendre les derniers chants de l’Odyssée.

 

Les personnages 

J’ai pris quelque liberté avec le récit homérien. Je marie Eumée et Ctimène, sœur d’Ulysse. On ne dit rien de tel dans Homère. Des traditions marient d’ailleurs Ctimène à un compagnon d’Ulysse. En fait, mon idée était de montrer qu’il n’y a pas que des départs pour la guerre. On peut voyager aussi par amour, et donc Eumée, éloigné de son île natale par violence rentre dans son pays et c’est sa femme, Ctimène, qui va s’exiler pour le suivre. Dans mon manuscrit, je terminais par cet épisode qui permettait un renversement des perspectives de voyage. Mais l’éditeur m’a fait remarquer qu’il ne convient pas terminer un livre centré sur un héros par un autre personnage, en l’occurrence Eumée. 

Les passages forts  

Ils sont si nombreux que je ne peux pas les signaler tous ici. M’ont particulièrement marqué l’île de Calypso, où j’ai tenté de créer des figures sémantiques pour marquer un endroit aux limites de notre espace-temps. Par exemple la neige qui ne fond pas dans les mains d’Ulysse, ou encore la vigne qui produit toujours des grappes, sans respecter les saisons. Calypso me rappelle aussi un personnage connu dans le Proche Orient Ancien, Outa-Napishtîm. Cet Outa-Napishtîm se trouve dans l’épopée de Gilgamesh, d’origine sumérienne mais connue largement au Proche Orient, vers 1500 avant JC.  Gilgamesh, roi d’Ourouk, voit mourir son ami Enkidou. Il entend parler d’un humain qui ne connaît pas la mort. Mais pour le joindre, il faut traverser la mer et en particulier l’endroit où sont les eaux de mort. Gilgamesh entreprend donc la traversée.  Je remarque que Outa-Napishtîm et sa femme vivent loin des humains, exactement comme Calypso. Ils ne connaissent pas la mort. Pour Outa-Napishtîm, cette vie sans mort a été donnée par privilège des dieux à l’humain qu’il est. Pour Calypso, la raison est qu’elle est une nymphe. Mais dans les deux cas, on touche à la thématique de la vie sans la mort. La vie sans la mort reste une chose hors de portée des humains, elle n’est pas à portée de leurs mains. Il faut traverser la grande mer pour rencontrer un homme qui a reçu des dieux le privilège de ne pas mourir. Dans ces deux récits, se développe toute une réflexion sur la mort, la condition des humains qui meurent et celle des dieux qui ne meurent pas. 

Ulysse choisit de refuser l’immortalité que Calypso se fait fort de lui obtenir auprès du dieu Hermès. Il repart auprès de Pénélope la mortelle. Gilgamesh, lui, s’entend dire par Outa-Napishtîm que les hommes sont mortels. Mais il existe cependant une plante de vie, au fond de la mer, qui permet à qui la mange de ne pas mourir. Gilgamesh va donc la récupérer au fond de l’eau, mais il se la fait voler par un serpent. Il doit rentrer chez lui en sachant qu’il mourra. Ulysse et Gilgamesh sont deux héros mortels.   

J’ai aussi beaucoup aimé le voyage d’Ulysse aux Enfers, endroit où règne Perséphone, endroit où sont les morts. Ulysse s’y rend parce que Circé la magicienne lui dit que s’y trouve le devin Tirésias qui connaît le chemin pour qu’Ulysse rentre chez lui. Pour se rendre chez Perséphone, il faut arriver au pays sans lumière où vivent des humains, les Cimmériens, qui ne connaissent ni le jour ni la nuit ; il faut traverser le fleuve Océan qui fait le tour de la terre. Et sur l’autre rive, près d’un marais aux plantes et aux arbres pourris, se trouve l’endroit des morts. Ulysse doit faire exactement les rites que lui a indiqués Tirésias (importance du rite du sang :  tout mort qui s’approche et boit le sang de la bête sacrifiée retrouve quelque vie). Ulysse y retrouve beaucoup de monde, Tirésias le devin, mais aussi Agamemnon tué à son retour de la guerre de Troie, et sa propre mère, Anticlée, morte de chagrin à cause du départ d’Ulysse pour la guerre.

Mais il est temps pour moi de m’arrêter. J’aurais encore tellement à dire. Je n’ai même pas parlé du passage le plus connu des enfants, l’histoire de Polyphème le Cyclope, fils du dieu Poséidon qu’Ulysse aveugle et défie, ce qui provoque la haine du dieu à son égard. Je laisse à mes lecteurs le soin de découvrir tant d’autres merveilles. Le retour en Ithaque, le conflit avec les prétendants, l’épreuve de l’arc d’Iphitos et des haches, les retrouvailles avec Pénélope, etc.

 

25. Nuka et la Baleine, Bibliomobile N° 9, Gallimard. Texte édité en numérique  au moment de la crise du Covid.  Vous le trouverez facilement  en chargement sur le web. En 2010, j'ai fait un voyage de deux semaines sur un  brise-glace de Saint-Pétersbourg loué par une agence de tourisme.  40 touristes sur ce bateau conçu à l'origine pour les expéditions scientifiques arctiques. J'y ai beaucoup appris et vu. La nouvelle ici s'inspire , bien sûr, de ce voyage, non par le thème, mais par l'ambiance et aussi, bien sûr, les animaux terrestres et aquatiques aperçus. Je consacrerai une page à ce voyage dans l'espace "Horizons".

 

 26. Réédition du numéro 20, revue et corrigée.

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J'ai ajouté quelques scènes autour de Mika et de Marie Madeleine et de Marie, mère de Jésus. Ce livre est un travail  à partir de mon métier d'historien de l'Antiquité, spécialisé dans la Bible. Le personnage de Mika, totalement imaginaire, me permet de faire le tour de la Galilée, de la Samarie et de la Judée et de présenter ainsi un tableau de la situation politique, sociale, économique et religieuse du premier siècle de notre ère, dans les années 30.